Dans la famille des navigateurs aussi intrépides qu'originaux, certains s'illustrent par des options radicales. Parmi les adeptes des "waterlines" courtes, je propose de saluer bien bas Yann Quenet qui vient de repartir autour du monde sur son voilier de quatre mètres, poétiquement nommé Baluchon. À l'instar des amoureux de la classe Mini, limités à 6,50 mètres, nombre de navigateurs font le choix d'un certain minimalisme. Cependant que d'autres, et pas des moindres, ont adopté l'option opposée. Pour faire bref, je citerai les célèbres exemples donnés par Jean-Yves Terlain à bord de Vendredi 13, monocoque de 39 mètres, suivi par le délirant Clubmed d'Alain Colas 72 mètres...
L'importance de la longueur
Pourquoi ces démesures ? L'origine de ces choix audacieux se trouve dans un principe physique bien connu. Celui-ci énonce que plus un navire est long à la flottaison, plus son potentiel de vitesse est élevé. En clair, cela signifie qu'à poids et puissance propulsive égaux, le bâtiment le plus grand sera le plus rapide. Avec l'avènement des carènes planantes et des plans porteurs hydrofoils, cette règle de base est un peu malmenée, cependant elle reste vraie, notamment pour nos unités de croisière.
Dejauger pour gagner en vitesse
Ça plane pour certains, mais pas pour tout le monde. Dans le monde des carènes planantes, une embarcation de quelques mètres seulement, mais fortement motorisée et accessible à un large public, atteint couramment 50 nœuds et plus ! Pour l'utilisateur d'un tel engin, peu importe la longueur, pourvu que le rapport puissance/poids soit maximum. A contrario, lorsqu'un navire n'a pas l'aptitude à déjeauger, à cause de certains paramètres de sa conception, ce sera toujours le mode archimédien qui s'appliquera.
Les coques dites à déplacement sont systématiquement soumises à la dure loi de la résistance de vague. Résultat, en dépit d'une poussée colossale, un remorqueur est incapable de dépasser sa vitesse de carène, refoulant inexorablement devant lui une masse d'eau monumentale, sitôt cette limite atteinte.
Ce remorqueur, en pleine action, traîne une très lourde barge. Les centaines de chevaux dont il dispose ne lui permettent d'atteindre qu'une vitesse modeste, sensiblement inférieure à sa vitesse de coque. Ce qui explique la quasi absence de vague et le sillage plat. Le joli panache de mousse par le travers de la timonerie est dû à la rencontre avec une vague et non à la vitesse
Cette carène planante évolue à la vitesse la plus défavorable. Il a presque atteint sa vitesse critique, comme le montre sa vague très creuse, mais, par contre, il ne va pas assez vite pour déjauger. A cette allure, la majeure partie du carburant consommé ne sert qu'à créer des vagues et de la mousse, et très peu de vitesse.
Avec quelques centaines de kilowatts supplémentaires, la coque va déjauger, le navire accélèrer franchement et il déplacera moins d'eau.
Explications de la vitesse de carène
Alors, comment ça se passe ? Une embarcation qui avance génère un système de vagues particulier. À faible allure, on peut observer une ondulation qui se crée de chaque côté à partir de l'étrave. Plus on augmente la puissance motrice et la vitesse, plus cette "bosse" s'amplifie, en longueur et en hauteur, le long du bordé. En continuant à accélérer progressivement, on va s'apercevoir que cette vague arrive à faire toute la longueur du bateau et s'est largement creusée au milieu. À ce moment-là, nous avons atteint la vitesse de carène et il va devenir très compliqué de dépasser cette vitesse.
Un dessin de carène inventif
C'est là que certains types de carènes font la différence. L'architecture navale est un métier fascinant ! Ainsi, il ya quelques décennies, un concepteur, agacé par cette limite de vitesse liée à la longueur, a imaginé un type de forme de carène capable de s'affranchir (en partie) de cette règle physique. Il a conservé un avant pointu, afin de démarrer aisément, sans pousser beaucoup de liquide (comme c'est le cas avec une péniche chargée.). Puis il a progressivement vrillé les deux flancs de son étrave jusqu'à la transformer en une spatule bien plate, y ajoutant un panneau de bordé de chaque côté (pour que ça flotte…).
Bingo, l'ingénieur venait d'inventer la carène planante ! Une révolution architecturale qui a bouleversé le monde du nautisme. Résultat, lorsque le bateau accélère, la proue se soulève de plus en plus. Ce faisant, elle diminue la quantité de liquide à déplacer et permet à la partie arrière de glisser facilement à la surface de l'eau à la manière d'un ricochet.
Une embarcation légère pour planer
Les enseignements qu'on peut en tirer. Beaucoup de choses sont devenues possibles avec cette découverte, mais il y a tout de même des limites. S'il s'est avéré réalisable d'atteindre des vitesses élevées grâce à ce principe, c'est au prix de motorisations pléthoriques et en gardant une grande maitrise du poids. En clair, dans le monde des coques planantes, la légèreté est un facteur prépondérant pour les performances. Les fanas de la célérité maximum qui font avancer leurs bolides (plus ou moins inconfortables) à coup de centaines de chevaux butent souvent sur le problème lié à l'embonpoint de leurs machines de propulsion. C'est la raison pour laquelle nombre de bateaux rapides ont une autonomie dérisoire. Il est impossible de rester léger si on embarque des moteurs lourds et beaucoup de carburant.
Les arguments sécurité et qualités marines
Imaginons-nous à la place de l'intrépide pilote qui chevauche une embarcation capable de voguer à 60 nœuds grâce à sa collection de moteurs hors-bord alignés comme à la parade : d'abord, il ne pourra naviguer que sur une mer quasiment plate. Et après quelques minutes de griserie, il lui faudra revenir au port, ne serait-ce que pour refaire le plein de carburant. En pluas, approchant du chenal d'accès, un panneau rappelle souvent qu'il serait raisonnable de progresser à allure modérée…
Sur une vedette à moteur de 9 mètres de long, la vitesse de carène est d'environ 6,9 nœuds. A cette vitesse, elle évolue encore en mode archimédien. ce qu'on peut aisément constater en observant, derrière, la monstrueuse vague que soulève son passage. Quand on décélère de 50 nœuds à 10 nœuds, tout à coup, on a vraiment l'impression d'avancer très lentement. Pourtant c'est encore souvent beaucoup trop. Dans une zone à vitesse limitée ou fortement fréquentée, il est tout simplement indispensable de ralentir jusqu'à descendre à 70 % de notre fameuse vitesse de carène, soit… 3,5 ou 4 nœuds (3 nœuds pour un jet ski). Je sais, on a l'impression d'être arrêté, mais c'est la seule manière de passer en douceur.
Et les voiliers dans tout ça ?
Certains architectes éclairés ont rapidement exploité le concept du planning au profit des bateaux à propulsion vélique. Ils ont alors dû déployer des trésors d'ingéniosité. En effet, quand l'énergie ne peut venir que des voiles, il est impossible d'obtenir des puissances comparables à celles de machines thermiques ou électriques. Si on ajoute à ça l'obligation (pour les monocoques) de transporter du lest, c'est beaucoup moins simple que de préconiser des chevaux supplémentaires. Alors, architectes, constructeurs, équipementiers, tout le monde a bossé sur le sujet. Et ils ont réalisé des progrès tels qu'aujourd'hui, la plupart des voiliers rapides sont capables de s'affranchir de cette sacro-sainte règle d ela vitesse de carène.
Le cas particulier des multicoques
Les multicoques, qui n'embarquent pas de lest, sont moins lourdement impactés que d'autres types de bateaux, mais ils le sont tout de même un peu. Cela dépend beaucoup de leurs poids. Mais, grossomodo, on peut considérer qu'avec un catamaran plus on fourni de la puissance, plus ça avance vite, sans bloquer lourdement sur une valeur liée à la longueur de flottaison.
Et pour le plaisancier ordinaire ?
Ici, nous parlons de ces amateurs de voiliers familiaux qui partagent avec compagnes, amis et enfants les joies de la navigation éolienne, soit le plaisancier. Au moment de l'acquisition d'une unité neuve, ce sont les critères de budget et de place de port qui pèseront le plus lourd dans la décision finale. Alors, même convaincu qu'un mètre de plus serait mieux, c'est souvent le portefeuille qui arbitrera.
Par contre, s'agissant de l'achat d'un navire d'occasion, le client doit faire son choix entre un yacht récent de dimensions modestes, ou bien un canote plus ancien, mais potentiellement plus long. Et c'est précisément dans ces circonstances qu'il est préférable d'opter pour un bateau plus grand que prévu, en particulier dans le cadre d'un projet de voyage lointain. On subira ensuite, sans aucun doute, quelques surcroits de tracas, voire de dépenses, liées à la taille, mais le niveau de confort, de sécurité et la durée des trajets s'en trouveront bien optimisés.
Nos valeureux "minitransateux" sont coincés parce qu'un Mini mesure 6,50 m et puis c'est tout. De même, celui qui dispose d'une place de port de 10 mètres risque fort d'être handicapé avec une acquisition de 40'. Par contre, lors du choix d'une embarcation destinée à naviguer vraiment en haute mer, et dans la mesure où le budget le permet, il est conseillé vivement de donner la préférence au bateau le plus long en flottaison.