Imaginez : vous avez quitté les îles Canaries ce matin, poussés par une légère brise souffreteuse, qui ne savait même pas si elle était de Nord, de Sud, ou d'Est… L'équipage, fortement motivé, avait promptement établi le gennaker afin de "profiter" au maximum de cette manne éolienne.
Savoir adapter sa voilure
Mais Éole, cette divinité tantôt adorée, souvent décriée, toujours redoutée s'avère parfois d'humeur taquine. Aussi, en cours de journée, le code zéro dut s'effacer devant le génois, lequel ne tarda pas à subir l'amputation de quelques tours d'enrouleur. Et puis, dans l'après-midi, il fallut bientôt prendre un ris dans la grand-voile. La manœuvre en avait été un peu laborieuse. Il y avait eu quelques cris, des battements de cœur et autres fasseyements associés. Mais, au final, la voile était arisée convenablement. Puis, le soleil avait pris congé afin de goûter son quart de repos, tranquille derrière l'horizon, laissant la place à une nuit sans lune…
La nuit s'annonçait sereine, mais... Hélas, vers 1 h 30, une grain rageur avait ramené sa mauvaise humeur. Revêtu de ses sombres atours, il planta la trouille au ventre de tous les néophytes du bord en dépassant allégrement les trente nœuds, anémomètre en mode "vent réel" . Le skipper ne tarda pas à asséner sa raisonnable décision : "on prend le deuxième ris !"
C'est là que le savoir-faire et l'expérience procurent, soit une jolie manœuvre génératrice de bien-être, soit un moment de grand stress propre à dégoûter définitivement les moins aguerris.
Prendre un ris au portant à bord d'un multicoque
Contrairement à certaines idées reçues, cette opération ne nécessite nullement d'amener le bateau face au vent. J'irais même jusqu'à le déconseiller dans nombre de situations, pour limiter les mouvements du bateau et pour garder un vent apparent plus faible.
Voici un enchainement d'actions à réaliser promptement afin de réduire la grand-voile aux allures portantes, (soit à plus de 120° du vent réel), dans la joie et la bonne humeur !
- amener le bateau à 165/170 degrés du vent
- enrouler partiellement le génois jusqu'au tiers de sa surface totale
- choquer légèrement l'écoute de GV afin de diminuer sa puissance
- amener la bôme à 45° de l'axe du bateau
- régler la retenue de bôme de manière à prévenir un éventuel empannage intempestif
- choquer la drisse de GV. Elle s'affalera très peu, rapidement empêchée par les frottements.
- hâler fortement sur la bosse du deuxième ris. Vous obligerez ainsi la têtière à descendre sans abîmer les lattes
- reprendre progressivement le mou du guindant, à la main et continuer à souquer la bosse jusqu'à amener le croc d'amure à hauteur du vit de mulet
- assurer l'amure
- étarquer le guindant
- étarquer la bosse de ris
- installer un bracelet en sangle ou en dyneema autour de la bôme pour reprendre les efforts de la bosse
- soulager la bosse de quelques centimètres afin de faire travailler le bracelet et non la bosse
- ranger correctement la toile dans le lazy bag
- reprendre le mou de la bosse du troisième ris afin qu'il soit immédiatement opérationnel en cas de besoin
- reprendre la route
- ajuster la surface du génois pour l'adapter à cette nouvelle configuration
Des réglages à surveiller pendant la manoeuvre
Lors de l'étarquage du guindant, il faudra surveiller la retenue de bôme et l'écoute de GV. Elles demanderont peut-être à être soulagées si le point d'écoute de la voile arisée est situé plus haut qu'avant.
Si le bateau est équipé de longues bosses de ris dites "automatiques", il est absolument indispensable d'avoir créé, au préalable, des marques sur la drisse, de façon à prépositionner l'oeil d'amure à la bonne hauteur.
Des précautions guidées par le sens marin
Bien entendu, avant d'entreprendre cette manœuvre, il est indispensable de s'être assuré, qu'on a suffisamment d'eau à courir.
Si, par grande prudence, on a beaucoup réduit la surface de la voile d'avant, on sera bien avisé de rendre quelques tours d'enrouleur afin de ne pas se trainer le reste de la nuit… On n'hésitera pas, après le grain, à le dérouler, même entièrement, sachant qu'il est bien plus aisé à manœuvrer que la grand-voile et que sa réduction ne prend que quelques secondes.