Le BEAmer, Bureau d'Enquête Accident sur les événements de la mer, est chargé d'analyser, a posteriori, les événements survenus en mer qui déclenchent blessures graves, dégâts importants ou décès… Suite à son investigation, cette administration réalise un rapport d'accident et émet des préconisations que le législateur et les autres acteurs appliqueront ensuite ou non.
Un accident qui peut arriver à tous les plaisanciers
C'est suite à un accident survenu en août 2021 à Saint-Pierre d'Hyères dans le Var, qu'un rapport a été rédigé. L'incident, décrit et expliqué dans ce rapport, peut arriver à tous les plaisanciers, quelle que soit la taille de leur bateau : "Le 28 août 2021, un navire à moteur est au poste d'avitaillement en carburant du port de Saint-Pierre d'Hyères. Lorsque le skipper redémarre après s'être servi à la pompe à essence, une explosion se produit dans le compartiment des moteurs puis un incendie se déclare."
C'est donc une situation courante qui est à l'origine de cet accident : un bateau faisant le plein au poste de carburant.
Le bateau dispose de 2 réservoirs. Dans le premier, le propriétaire mettra 120 litres de SP98. Dans l'autre, il ajoutera une centaine de litres. Pour passer d'un réservoir à l'autre, de bâbord à tribord, le skipper a dû passer le tuyau de la pompe par-dessus le cockpit du bateau. Nous avons là une vision claire des faits et des circonstances qui ont précédé cet accident.
Passons sur les flammes, l'incendie, le chien sauvé de la noyade … qui ne sont que des conséquences de l'accident en lui-même. Le bateau sombre définitivement sous 10 mètres d'eau, peu de temps après l'incendie. Malheureusement, l'incident a fait une blessée grave, l'épouse du skipper, brûlée par les flammes.
Carnet d'entretien tenu à jour
Le bateau était en parfait état d'entretien. Peu de navigation et quelques réparations courantes comme le contrôle des batteries ou le remplacement de filtres. Son propriétaire a fait procéder à l'hivernage du moteur, des œuvres vives et de tout l'équipement dans les règles de l'art.
Un bateau qui ne navigue pas est un bateau qui s'use
Avec seulement 300 heures moteurs enregistrées depuis 2003, le bateau victime de cet accident naviguait très peu. Quelques dizaines d'heures par an, en comptant les essais techniques.
Ce sont les éléments mécaniques tels que les joints, colliers, durits, pompes d'alimentation qui demeurent, pour leur portion interne, au contact avec le carburant. Leurs portions externes, elles demeurent exposées aux éléments, soleil et eau salée. C'est là qu'on arrive à un début d'explication de l'incident. Tous ces éléments transportant du carburant sont prévus pour le faire dans des conditions normales, tantôt au soleil, tantôt à l'ombre, avec un fluide en mouvement… Ce qui n'est pas le cas lorsque stationne un bateau.
Première leçon à tirer, un bateau qui ne navigue pas s'use plus vite qu'un bateau qui navigue. Le remplacement, notamment des durits de carburant, devrait-il donc être plus fréquent sur un bateau qui ne navigue pas ? Il en va de même de tous les éléments qui font partie de la chaîne du carburant, depuis la poire d'amorçage jusqu'aux colliers de raccords de la plaque de jauge.
Des circonstances simples pour des dégâts sévères
Le Rapport du BEAmer explique que "le Super 98 a une limite d'explosivité comprise entre 1.4 % et 8.7 % du volume de l'espace confiné". En dessous de ce chiffre, pas de risque, au-dessus non plus. Toujours selon le rapport du BEA, pour un volume de 1,5 m2, correspondant au volume d'une petite cale moteur, il suffit seulement de 21 à 114 litres de vapeurs d'essence pour que se produise une explosion. Pour générer ce volume, que chacun considèrerait comme énorme, 13 à 72 centilitres d'essence liquide sont nécessaires. Soit l'équivalent, en gros, de la taille d'une pinte de bière. Lorsqu'il fait chaud, elle se transforme très rapidement en vapeur.
De simples précautions à prendre pour éviter un nouvel accident de ce type
Il est évident que le plaisancier victime de cet accident n'a pas consciemment laissé ses réservoirs déborder ni fait en sorte que de l'essence ne se déverse en dehors des réservoirs. Raisonnable, il a attendu le "ploc" de fin de remplissage, a sorti le pistolet du réservoir. Quelques gouttes sont tombées.
Il a apporté le pistolet au second réservoir, de nouveau quelques gouttes du précédent contenant. De nouveau "ploc", sortie du pistolet à carburant et de quelques gouttes. Ajoutez les gouttes perdues par chaque durit, par chaque raccord et chaque joint. Le demi-litre de carburant arrive très rapidement.
Parmi les bonnes précautions contre ces gouttes, mettre un entonnoir en entrée de réservoir pour non seulement filtrer le carburant - précaution toujours utile - mais aussi, concentrer en un seul endroit les fameuses "dernières petites gouttes".
Avant de procéder au remplissage, essuyer le tuyau de la pompe pour s'assurer qu'il ne transporte aucune autre goutte avec lui. De même pour le pistolet de distribution. Puis, une fois les pleins réalisés, essuyer les fonds pour les rendre propres et exempts de tout reliquat de carburant.
Chacune de ces précautions semble superfétatoire et inutile. Elle consomme quelques instants, que les plaisanciers aiment passer sur l'eau plus qu'à la station essence, notamment en ce moment. Mais les secondes investies dans cette sécurité valent probablement, si elles permettent d'éviter de perdre son bateau, voire pire.
Connaître son bateau et son mode d'emploi
Complet, le rapport du BEAmer explique : "le manuel d'utilisation du bateau émis par les fabricants met en garde les utilisateurs contre les fuites de carburant. Il leur est recommandé un contrôle des durits avant chaque utilisation".
Plus loin, il explique que la ventilation de cale, en application de la norme ISO 11105:1997 via une aération mécanique, lorsqu'elle est disponible, et une ouverture des capots d'avitaillement après l'opération d'au moins quatre minutes, sont nécessaires pour évacuer toute vapeur résiduelle et que, durant cette période de 4 minutes, il est prohibé de démarrer le moteur.
Il est évident que ce temps "perdu" après les pleins, notamment en été lorsqu'il y a la queue à un ponton carburant, est une contrainte lourde. Il est aussi évident qu'aucun témoin sonore ou visuel n'indique sur les bateaux que la ventilation n'a pas été réalisée.
Toutes ces indications, toutes ces précautions, sont présentes dans le manuel du propriétaire des bateaux de plaisance. Ils sont rappelés dans les manuels des motorisations et sur les pontons à carburant.
Habitudes et précipitation
Il n'est pas question de pointer ici la responsabilité du propriétaire. La vaste majorité des plaisanciers aurait agi et continue d'agir comme lui. Le propriétaire de ce bateau ayant connu cette avarie est avant tout victime des habitudes. Habitudes d'aller vite, de partir vite, de payer vite, de naviguer.
La plaisance est un moment de détente et de prise de recul d'avec le quotidien rapide que nous vivons tous. Les quatre minutes d'aération préconisées par le constructeur sont de ces moments de "rien" qui devraient peupler nos vies.
Et éviter les accidents évitables !