Sécurité en mer : quels réflexes les plaisanciers doivent-ils adopter face à la piraterie moderne ?

Menace historique toujours bien réelle, la piraterie sème le trouble sur les routes maritimes internationales, y compris pour les plaisanciers. Alors que ces derniers sillonnent les océans pour réaliser leurs rêves de voyage au long cours, la vigilance reste de mise dans certaines zones sensibles du globe.

Quand on lève l'ancre pour un tour du monde, la liberté a parfois un prix. Dans l'euphorie de la préparation, il est facile d'oublier que certains mouillages ou passages obligés exposent les plaisanciers aux risques d'attaques. La piraterie maritime, bien loin des clichés romantiques véhiculés par la littérature ou le cinéma, demeure une réalité inquiétante. Face à cette menace potentielle, plusieurs questions se posent : Où sévissent ces pirates d'un autre temps ? Quels sont les dangers concrets ? Et surtout, comment se prémunir efficacement pour naviguer en sécurité ?

Piraterie et brigandage : une réalité contemporaine

Depuis l'Antiquité, la mer attire les convoitises. Là où les routes terrestres s'arrêtent, les océans ouvrent des perspectives infinies, y compris pour ceux qui veulent s'enrichir par la force. Les pirates d'hier ont laissé place aux assaillants d'aujourd'hui tout aussi déterminés. Si le mythe de Barbe-Noire et du Capitaine Crochet amuse encore, les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus de 4 000 attaques ont été recensées entre 2000 et 2020, avec des zones particulièrement actives comme la Corne de l'Afrique, le golfe de Guinée, ou l'Asie du Sud-Est. Deux types d'agressions sont distingués : la piraterie, actes violents perpétrés en haute mer par un bateau contre un autre, et le brigandage, qui se produit dans les eaux territoriales d'un État. Les premiers relèvent du droit international, les seconds du droit national. Dans les deux cas, les plaisanciers ne sont pas épargnés.

Cartographie des zones à risque

Certaines routes maritimes concentrent l'essentiel des attaques. La plus emblématique reste le golfe d'Aden, passage stratégique entre l'océan Indien et la Méditerranée via le canal de Suez. Cette zone, qui canalise 40 % du trafic maritime mondial, attire les convoitises. Les pirates, souvent lourdement armés, s'y déplacent à bord de bateaux rapides et ciblent à la fois cargos et voiliers isolés.

C'est à bord de ce voilier que 4 adultes et un enfant français naviguaient vers Zanzibar, lorsque leur bateau a été capturé par des pirates somaliens en 2009
C'est à bord de ce voilier que 4 adultes et un enfant français naviguaient vers Zanzibar, lorsque leur bateau a été capturé par des pirates somaliens en 2009

Plus à l'ouest, le golfe de Guinée connaît une recrudescence inquiétante d'attaques, notamment au large du Nigeria. En Asie du Sud-Est, le détroit de Malacca, l'un des plus fréquentés au monde, reste une autre zone rouge. Plus près de nos latitudes, les Caraïbes, destination prisée des plaisanciers transatlantiques, voient proliférer le brigandage, en particulier la nuit avec des vols ciblant annexes, équipements de bord, voire agression physique des équipages dans certaines îles. Quant à la Méditerranée, si elle reste relativement épargnée, le risque zéro n'existe pas, surtout dans les zones proches de certaines côtes instables.

Le rôle clé des centres de sécurité maritime

Pour naviguer en sécurité, quelques règles s'imposent. Avant de franchir une zone sensible comme le golfe d'Aden, il est impératif de rejoindre le corridor international de sécurité maritime. Ce couloir, surveillé par des navires de guerre et des bâtiments marchands en liaison radio sur les canaux VHF 16 et 8, offre la meilleure chance d'assistance en cas d'alerte. Il est fortement recommandé d'avoir à bord un émetteur-récepteur AIS performant, un téléphone satellite avec géolocalisation régulière (idéalement toutes les 4 heures), ainsi qu'un moyen de messagerie satellitaire fonctionnel pour les échanges en temps réel avec les centres de surveillance.

La France dispose d'un organisme de référence : le MICA Center (Maritime Information Cooperation & Awareness Center), basé à Brest. Créé en 2016, il rassemble une trentaine d'experts, principalement issus de la Marine nationale, en lien avec plusieurs pays européens. Sa mission : fournir aux navigateurs des données actualisées sur les zones de navigation à risque. L'inscription, gratuite, se fait facilement via leur site avec transmission des intentions de route, du nombre de personnes à bord, des dates estimées de passage, et des coordonnées du bateau (numéro MMSI, position GPS, etc.).

Dans la zone mer Rouge-océan Indien, la cellule Alinden Marsec, composée de 4 officiers mariniers français basés à Abou Dhabi, assure un suivi spécifique des voiliers. Ils recommandent des tests préalables des équipements satellitaires pour garantir une liaison fiable avec leurs services, particulièrement vers la base de Marseille.

Contrôle d'un boutre indien par la marine américaine dans le cadre de la lutte contre la piraterie.
Contrôle d'un boutre indien par la marine américaine dans le cadre de la lutte contre la piraterie.

Les stratégies de prévention et de défense

Si vous envisagez de naviguer dans des zones à risque ou de vous y rapprocher, les spécialistes et plaisanciers recommandent vivement de ne pas divulguer votre itinéraire ni vos dates de départ auprès de personnes non familières, afin d'éviter d'attirer l'attention de potentiels pirates. La discrétion est donc essentielle. Tous les appareils électroniques peuvent permettre d'être suivis et il est conseillé de limiter les émissions radio à des situations d'urgence, de surveiller le canal 16 de la VHF, de réduire l'usage des radars, de minimiser les bruits et de tamiser les lumières la nuit.

Par ailleurs, naviguer en flottille avec plusieurs bateaux peut sembler une solutio, mais cela peut également augmenter le risque de détection par les pirates. Si vous choisissez de naviguer en groupe, il est important de maintenir un contact régulier, de prévoir des procédures d'alerte claires et de rassurer les équipages tout en décourageant toute attaque. En revanche, si votre bateau devient une cible malgré toutes ces précautions, il est impératif de ne pas faire preuve de témérité. Face à des pirates armés et organisés, il est essentiel de ne pas résister. De nombreux plaisanciers ont regretté d'avoir tenté de se défendre ; d'autres ont utilisé des subterfuges...

L'explorateur Mike Horn décide de passer en pleine zone pirate en Somalie, sur son voilier Pangaea © Mike Horn
L'explorateur Mike Horn décide de passer en pleine zone pirate en Somalie, sur son voilier Pangaea © Mike Horn
Mike Horn use d'un subterfuge face aux pirates en déguisant des poupées gonflables en marins avec de fausses kalachnikov en bois © Mike Horn
Mike Horn use d'un subterfuge face aux pirates en déguisant des poupées gonflables en marins avec de fausses kalachnikov en bois © Mike Horn

En ce qui concerne les armes à bord, il existe des réglementations strictes. Chaque pays a ses propres règles et la possession d'armes nécessite un permis spécifique. De plus, les armes doivent être déclarées à chaque escale et la procédure pour en obtenir peut être complexe, avec des risques de confiscation. Bien que certains plaisanciers envisagent d'avoir des armes pour leur défense, il est souvent déconseillé d'opter pour cette solution car le risque d'escalade de la violence est élevé. De nuit, ne tentez pas de prendre des photos, notamment avec des flashs, car ces derniers pourraient d'ailleurs être interprétés par les pirates comme un tir. Il est aussi fortement déconseillé d'utiliser des fusées de détresse comme substitut d'armement.

Les embarcations rapides utilisées par les pirates, capables de dépasser les 20 nœuds, proviennent souvent de bateaux de pêche piratés ou de boutres traditionnels. Les pirates visent les bateaux lents, notamment les voiliers, les navires de pêche ou ceux en cabotage. Ils opèrent généralement de jour comme de nuit mais leurs attaques ont lieu surtout à l'aube ou au crépuscule. Les skiffs d'attaque sont souvent difficiles à détecter à distance, d'où l'importance de maintenir une veille visuelle rigoureuse, en particulier dans les secteurs moins visibles tels que sous le vent et à l'arrière du bateau.

Les pirates se font passer pour des pêcheurs. En réalité leurs armes sont cachées sous les filets.
Les pirates se font passer pour des pêcheurs. En réalité leurs armes sont cachées sous les filets.
Embarcation pirate sur laquelle Evelyne Colombo avait été prise en otage au large du Yemen et dissimulée sous une bâche, suite à l'attaque de son catamaran en 2011. Son mari avait été tué.
Embarcation pirate sur laquelle Evelyne Colombo avait été prise en otage au large du Yemen et dissimulée sous une bâche, suite à l'attaque de son catamaran en 2011. Son mari avait été tué.

Réagir face à une attaque

En cas d'attaque, les plaisanciers ayant vécu cette situation recommandent de mettre le moteur en marche, si ce n'est pas déjà fait, et de maintenir la vitesse maximale tout en exécutant des manœuvres pour compliquer l'abordage. Les attaques ont pour but de mettre les équipages sous pression, de prendre possession de leur matériel de valeur, de l'argent liquide ou, dans certains cas, de faire des otages pour demander une rançon.

Couple de plaisanciers français pris en otage en 2008 à bord de leur voilier Carré d'As, dans le golfe d'Aden
Couple de plaisanciers français pris en otage en 2008 à bord de leur voilier Carré d'As, dans le golfe d'Aden

Les pirates s'intéressent à tout ce qui est volable à bord : téléphones, VHF, bijoux, papiers d'identité, argent liquide.

Le trois-mâts de la compagnie Ponant avait été attaqué par des pirates somaliens en 2008. Les otages avaient été libérés à la suite du versement d'une rançon.
Le trois-mâts de la compagnie Ponant avait été attaqué par des pirates somaliens en 2008. Les otages avaient été libérés à la suite du versement d'une rançon.

La probabilité de croiser des pirates loin des zones à risque reste relativement faible. En cas de doute, il est parfois préférable de confier son bateau à un transporteur spécialisé et de le retrouver une fois qu'il est passé dans une zone plus sûre. Faut-il pour autant renoncer à traverser certaines mers ? Bien sûr que non. Des milliers de plaisanciers naviguent chaque année sans encombre. Être informé, discret, et relié aux réseaux de sécurité maritime permet de réduire considérablement les risques.

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