Les fêtes maritimes de Brest 2024 nous ont donné l'occasion de rencontrer Mathieu Goraguer et Iris Cordeau, des voileux passionnés pour qui le temps ne fait pas peur et qui ont démontré que la patience porte ses fruits. Et pour preuve, la remise en état de Basile, une goélette de 14,5 mètres dessinée par Michel Joubert et qui a connu des aventures polaires mêlant piolet et voile dans les années 70, leur a pris près de 7 années. Si aujourd'hui ce bateau, reconnu pour son intérêt patrimonial, a été transformé en école de croisière, c'est grâce aux efforts soutenus de ses nouveaux propriétaires et de toute une bande de bénévoles animés par un élan de solidarité collective. Aux côtés de Mathieu, sa compagne Iris partage avec nous le récit ainsi que quelques photographies de leurs réalisations.
Comment est né votre projet de rénover ce bateau ?
C'est Mathieu qui cherchait un bateau à la base. Pas n'importe lequel, un capable d'aller dans les glaces. Il avait toujours eu le désir de partir en mer pour rencontrer des gens et échanger avec eux, avec l'idée de troquer des crêpes ! Tous les deux, on s'est rencontré un peu avant qu'il trouve le bateau. C'est à cette époque qu'Halvard Mabire, président de la Class 40, lui a dit de venir voir Basile à Barnevile-Carteret, en Normandie. Au premier coup d'œil, Mathieu l'a trouvé trop gros et il a fini par repartir. À son retour, il a commencé à faire quelques recherches sur Basile. Finalement, il a demandé au deuxième propriétaire si il pouvait faire un tour à bord. C'est là que Mathieu a été conquis. Sa grande tante lui avait légué 20 000 euros pour qu'il puisse s'acheter un bateau. Le propriétaire a alors accepté de lui laisser à ce prix avantageux malgré sa valeur de marché plus élevée, je dirais dans les 30 000, voire 40 000 euros. Basile a été ramené à Brest, sorti de l'eau, et c'est là que les travaux de rénovation ont commencé. Il n'avait jamais vraiment été entretenu, seulement de l'entretien courant. Et c'est en démontant des choses que l'on découvre d'autres problèmes... Mathieu s'était projeté sur un 1 an de travaux, mais finalement ça a pris 5 ans à sec, 7 ans en tout.
Quelles ont été les étapes de la rénovation ?
On a commencé par vider entièrement le bateau lors de la première année pour inspecter la coque en acier à nu et vérifier son état général, car ce matériau est sujet à la rouille. Globalement, elle n'était pas en trop mauvais état.
D'abord, on a rénové la partie avant en ajoutant une cloison étanche. Le plan de pont a été légèrement modifié et toutes les cadènes et taquets ont été soudés pour éviter autant que possible l'utilisation de pièces boulonnées.
On a gardé pas mal de pièces d'accastillage d'origine. Après tous les travaux de soudure, on a pu sabler la coque puis l'enduire de peintures époxy bi-composant. L'isolation a également été entièrement refaite avec du liège projeté et des plaques de liège expansé, ce qui empêche la condensation de se former.
La particularité de ce bateau est sa quille relevable de 5 tonnes, où tout le lest est concentré, sans rien dans les fonds du bateau.
Un réservoir de carburant de 1200 litres est également intégré dans cette quille. Lorsque la quille est relevée, le tirant d'eau n'est plus que d'1 mètre, ce qui permet de s'échouer. Il nous a fallu 3 mois pour inspecter tout le système à cause des cônes grippés. À chaque fois, on devait vérifier plein de petites choses comme ça...
Au départ, on n'y connaissait pas grand-chose en rénovation de bateau, même si Mathieu avait un peu plus d'expérience, sans être spécialisé.
Il avait fait un bac pro en mécanique marine avant de devenir éducateur sportif, et il avait toujours aimé bricoler sur des bateaux. Vivant au bord de la mer, on avait l'habitude de naviguer, même si nos embarcations n'étaient pas très grandes. Les rénovations ont été possibles grâce à l'aide précieuse de bénévoles, qui apportaient leurs compétences spécifiques. On a eu la chance de bénéficier de l'assistance d'une trentaine de bénévoles âgés de 18 à 80 ans, d'abord des amis de Mathieu, puis des personnes rencontrées sur le terre-plein, qui se proposaient spontanément pour nous aider. Plus tard, on a utilisé Facebook pour élargir notre réseau d'entraide.
En ce qui concerne les aménagements du bateau, on a étiqueté chaque morceau de bois pour les rénover et les remettre en place. C'est Jean-Yves Dubois, le frère de Loïc et Bertrand, qui s'en est occupé à St Lunaire, dans l'atelier où ils avaient été construits en 1976. Ils ont été remontés à l'identique pour la partie avant du bateau.
En 2020, on a commencé à travailler sur l'arrière du bateau. Les aménagements ont été vidés et on a construit une cabane à l'arrière du pont dans le but de refaire le cockpit, la descente et de construire une capote rigide en acier. À l'époque, il n'y avait aucune protection à l'avant, ce qui faisait que les marins partis en expédition se prenaient des paquets de mer en pleine figure ! Ces travaux de chaudronnerie ont pris de longs mois...
Le berceau moteur a également été modifié pour accueillir un moteur neuf, un Vetus 65 chevaux tout neuf. Le gouvernail a été redessiné et construit sur mesure. Un portique avec bossoir et support de panneau solaire a été ajouté et on a installé une éolienne. Comme ça, on est autonomes en énergie avec un circuit 24V, 12V et 220V, et on dispose aussi d'une réserve d'eau de 700 litres.
Après toutes ces modifications, l'arrière du bateau a bénéficié du même traitement que l'avant : sablage, peinture, isolation. Ensuite, on a remonté certains aménagements et reconstruit d'autres avec les changements apportés : nouveau cockpit et ajout d'une salle de bain. Après le nettoyage et quelques ajustements, on a remis les mâts, puis on a réalisé les peintures extérieures.
Enfin, on a pu le remettre à l'eau en octobre 2022. Prochainement, on va installer une voile sur enrouleur à l'avant. Nos voiles actuelles sont usées, il faut les changer. Facnord nous a offert un enrouleur, donc autant installer une voile qui va dessus.
Quelles sont vos ambitions futures avec le bateau ?
Depuis la mise à l'eau, on a navigué surtout dans le Finistère. On a lancé une école de croisière à l'été 2023 au départ de Brest ou de Bénodet, pour explorer la mer d'Iroise, les Glénan, Groix, etc. On est resté en Bretagne parce qu'il restait encore des ajustements à faire après la remise à l'eau du bateau. Avec nos licences en STAPS, on a la possibilité d'initier les gens jusqu'à 200 milles des côtes. On propose une découverte de la voile et de la nature, ce qui attire des personnes novices en navigation qui souhaitent découvrir de nouvelles expériences. Ils peuvent débarquer pour découvrir les lieux ou utiliser les paddle bord pour se balader.
Ils participent aux manœuvres et profitent d'un temps pour découvrir la Bretagne. On aimerait combiner des activités comme on pratique différents sports. Par exemple, on a organisé un séjour voile-escalade.
Peut-être qu'à l'avenir, on envisagera des séjours voile et ski en Norvège. L'idée est de retourner vers les pôles et à Saint-Pierre et Miquelon, où Mathieu a passé une partie de son enfance.
L'intérieur de Basile est vraiment confortable et fonctionnel, avec une partie arrière qui comprend le carré, la cuisine, la table à carte et la salle de bain. À l'avant, on trouve les couchages avec deux lits simples superposés et un lit simple dans le local technique, ainsi qu'un lit double. La cabine double à l'arrière est réservée pour nous puisqu'on vit à bord.
C'est fatigant d'emmener des gens systématiquement en mer, on ne va pas se le cacher, mais ça ne représente qu'une partie de l'année. En tant qu'éducateurs sportifs, ce qu'on aime, c'est justement partager, rencontrer les gens et échanger avec eux.
Pour l'instant, on ne vit pas encore de l'école de croisière. Cet hiver, on a travaillé. En haute saison, on pourra peut-être gagner un peu d'argent pendant 2-3 mois, mais ce seront de petits salaires. On devra encore travailler l'hiver prochain, mais on espère pouvoir vivre de ça petit à petit !