Une traversée tranquille au programme
Ce récit débute avec une photo. Celle d'une belle dorade Coryphène. Et Michel nous en narre l'histoire. "Je ne suis pas un super pêcheur, mais une dorade de 2,5 kilos me convient très bien. Même si je suis certain que c'était une dorade suicidaire pour venir mordre à mon hameçon !"
C'est à bord de Babaorum, un Océanis 43, en route pour Marie-Galante depuis Las Palma que Michel a fait cette belle prise. Il était parti quelques jours plus tôt pour traverser l'Atlantique avec deux amis. André, cet ami de longue date avait racheté un bateau à Michel 30 ans plus tôt (un RC 20) et Régis n'avait jamais fait de grande navigation, mais avait envie de vivre une aventure.
Mal de mer et côtes cassées
Michel nous raconte : "Cette année-là, les alizés sont très au Sud. Je dois descendre bien bas vers l'équateur. Ce n'est d'ailleurs qu'en toute fin de navigation qu'enfin je les trouverai. Je m'aperçois, après 2 ou 3 jours de navigation, que l'ambiance à bord est assez camp de vacances. Je barre et gère le bateau, mes deux autres passagers gèrent, tant bien que mal, leur mal de mer. Régis, le plus touché visiblement, ne cesse de s'installer dans la descente, la tête au frais et le corps au chaud."
Michel sait que souvent le mal de mer disparaît de lui-même après que le corps se soit amariné. Aussi fait-il en sorte que ses passagers soient à l'aise, tout en essayant de garder le contrôle du bateau. "Je demande plusieurs fois à Régis de ne pas rester dans la descente. Il risque de chuter et en plus il bloque le passage,pour aller à la table à cartes." Mais Régis demeure sourd à ces conseils de bon sens.
Il aura fallu une vague, un coup de vent pour que provienne l'accident. Peu amariné, Régis chute de la descente et va heurter violemment la table du carré. Violente douleur à la poitrine. Michel décroche l'iridium qu'il avait pris à la demande d'André qui voulait regarder ses mails à bord : "J'appelle mon beau-frère qui est médecin généraliste. Je lui explique la situation, les symptômes de mon passager… Diagnostic à distance, une voire deux côtes cassées. Pas de risque médical majeur, du paracétamol fera l'affaire."
Adaptation nécessaire du rythme du blessé
"En transat les vents vous portent toujours vers l'ouest. Le temps de revenir au point de départ serait aussi long et beaucoup plus inconfortable que de continuer vers l'arrivée." Le blessé va donc falloir faire preuve de patience.
"Cette recherche des alizés crée des conditions de mer pas nécessairement adaptées au transport d'un passager qui souffre. Je dois passer mon temps à éviter les chocs, réduire la voilure et l'allure pour ne pas entendre mon équipier se plaindre de sa douleur." Passés quelques jours, Régis pense être un peu plus en mesure de participer aux tâches du bord. Il se porte candidat pour prendre un quart : "En pleine nuit, je sens le bateau se comporter bizarrement. Je vais voir ce qu'il se passe. Je trouve mon ami totalement prostré, glacé et incapable de faire quoi que ce soit. Je dois termine son quart à ses côtés."
Michel doit réduire la voilure de son bateau pour avancer en douceur. "Voiles en ciseau, je sais que je les abîme un peu, mais il vaut mieux ne pas faire trop faire souffrir Régis."
Situation évitable ?
Quand on lui demande s'il aurait pu détecter les choses au préalable, Michel nous explique : "Non, pas réellement, ce n'est qu'en allant sur l'eau que l'on découvrira les compétences réelles de chaque équipier. Dans les faits, nous n'étions que deux équipiers et un passager, pas trois marins. Le troisième copain, Régis, avait envie de vivre une aventure, et je pouvais la lui offrir. Et, sur le fond, je préfère naviguer avec des personnes peu expérimentées que de côtoyer des personnes qui vont sans cesse étaler leur savoir."
Arrivée à Marie-Galante, l'épouse de Régis l'attendait sur le quai pour l'accompagner à l'hôpital. "Confirmation de deux côtes fêlées. J'ai bien senti que l'aventure n'avait que trop duré pour lui, il a débarqué dès que possible, ne profitant même pas de la dernière soirée à bord. La douleur, le stress, la fatigue… Tous ces facteurs doivent être connus avant d'embarquer, car inévitablement ils apparaîtront à un moment ou à un autre de la navigation. Et ils seront amplifiés par le moindre événement anxiogène. Comme des côtes cassées par exemple. Il n'y a pas à proprement parler de formation d'équipier ni de passager, on découvre les gens en mer."
Une semaine de plus pour la traversée
La traversée aura duré 19 jours contre une douzaine en temps normal. Michel a volontairement réduit la cadence. À cause aussi de la présence des alizés vers les 6° N seulement de latitude en ce mois de janvier 2019, obligeant donc à une route très Sud.
Accepter le progrès pour la sécurité
Michel nous la livre sa conclusion : "Je navigue depuis tout petit et depuis tout petit, je sais que deux traversées ne seront jamais identiques. On aura beau se préparer à tout, tout peut survenir. De base, je ne suis pas un partisan des équipements connectés à bord style Iridium, mais je dois remercier André d'avoir insisté pour en prendre un, il nous a été bien utile pour cette télé consultation avec mon beau-frère. Savoir se remettre en question et remettre en question nos attentes et nos principes, ça peut aider !"
La suite des aventures de Babaorum : Le retour initialement prévu en mars 2020 est repoussé à juin après le confinement. La traversée retour se fera avec un ami de 73 ans qui y voit son dernier voyage. Le 22 juillet, Michel et son ami arrivent à Brest, sans encombre et en pleine forme !