Retour d'expérience / Une transat prévue en duo qui se termine avec deux bateau-stoppeurs

Partis à deux pour transater depuis la Bretagne sans pilote automatique ni régulateur d'allure, nous voilà arrivés aux Canaries, éreintés de barrer 12 heures chacun par jour. Pour des raisons de confort mais aussi de sécurité, l'option d'embarquer des bateau-stoppeurs, s'offre à nous. A la fois pour nous aider mais également partager l'expérience, cette prise de décision peut s'avérer être humainement plus compliquée qu'il n'y paraît ...

Nous avons prévu de réaliser une transat au départ des Canaries vers les Antilles en passant par le Cap-Vert. Notre voilier est un Melody qui hélas ne dispose pas de pilote automatique en état de marche (comme raconté ici). Nous devons donc impérativement trouver des équipiers.

Un casting, en direct des pontons

Le port de Las Palmas où propriétaires de voiliers et bateau-stoppeurs se rencontrent
Le port de Las Palmas où propriétaires de voiliers et bateaux stoppeurs se rencontrent

Amarré au ponton du port de Las Palmas à Gran Canaria, un jeune couple se présente à nous : ils veulent traverser l'Atlantique en voilier par conviction écologique et souhaitent se rendre en Amérique latine afin de traverser ensuite le continent à cheval, dans le même état d'esprit. Souriants, sympathiques et motivés, nous prenons leur coordonnées et nous nous donnons le temps de la réflexion.

Nous croisons également d'autres bateau-stoppeurs : baluchon sur l'épaule, chapeau de paille sur la tête, guitare sous le bras. Ils n'ont jamais navigué, mais se disent être "cool et sympa", savoir cuisiner des pâtes comme jamais et proposent de faire de la musique pendant leur quart.

D'autres enfin partent pour "l'autre côté" afin d'expérimenter, de se réinventer, sans savoir ce qu'ils feront aux Antilles, mais juste parce que "la société en Europe, ca devient trop nul"...

Notre choix se porte sur le premier couple rencontré. Ils sont équipés simple et efficace, débordant de belles valeurs et si si, ils ont déjà navigué plusieurs jours en Méditerranée.

Transat et rêve de voyage à petit budget oblige, au moment de faire le gros de l'avitaillement, nous optons pour du riz, du frais et du fonctionnel.

Rangement de l'avitaillement
Rangement de l'avitaillement

Seulement, nos bateau-stoppeurs sont plus ou moins végétariens et ne mangent que bio. Manger bio n'est pas incompatible avec le fait de naviguer. Mais voilà, tant qu'à faire, on préférait ne pas avoir à cuisiner plusieurs services dans la journée.

Première navigation à quatre entre Gran Canaria et La Gomera
Première navigation à quatre entre Gran Canaria et La Gomera

Dès notre première navigation entre Las Palmas et le port de La Vuelta sur l'île de la Gomera, les estomacs de nos bateau-stoppeurs font de la résistance. Les repas (bio) sont vite rendus à la mer.

Un temps pour s'amariner sera nécessaire et il n'y aura de toute façon pas d'autre alternative à cela durant notre navigation entre l'île de Hierro et l'archipel du Cap-Vert, soit environ 7 jours de mer.

Plus à l'aise en rando à terre qu'en mer
Plus à l'aise en rando à terre qu'en mer

Malheureusement, pour Jules, le jeune homme, le mal de mer persiste. Marie quant à elle n'est pas à l'aise pour barrer dans des conditions de mer formée et reste encore un peu "barbouillée".

Hierro, archipel des Canaries
Hierro, archipel des Canaries

A Hierro, nous en profitons pour découvrir l'île, chacun de son côté, avant de nous retrouver en huit clos à bord dans quelques jours. Marie et Jules auront le mal de mer quasiment non stop jusqu'à notre arrivée au Cap-Vert.

Continuer l'aventure ou pas ?

Port de Mindelo sur l'île de Sao Vicente, archipel du Cap Vert
Port de Mindelo sur l'île de Sao Vicente, archipel du Cap Vert

Une fois arrivés au port de Mindelo, sur l'ile de Sao Vicente, la question de continuer l'aventure ensemble se pose sérieusement. Dilemme pour les bateau stoppeurs de trouver, en peu de temps, un embarquement fiable à bord d'un catamaran (plus stable) et il est également compliqué pour nous de trouver d'autres équipiers sans faire un peu connaissance avant. Après tout, encore un mois de navigation et nous serons arrivés. Nous gardons donc notre couple à bord.

Mouillage de Tarrafal, sur l'île de San Antao, Cap vert
Mouillage de Tarrafal, sur l'île de San Antao, Cap vert

Un peu avant de partir, nous soutons de l'eau au port de Mindelo sur l'île de Sao Vicente direction le mouillage de Tarrafal au Sud Ouest de l'île de San Antao juste en face. Trois jours après, nous voilà partis pour le grand saut, cap à l'Ouest toute, vers le soleil couchant.

Cap sur le soleil couchant
Cap sur le soleil couchant

Dès le lendemain nous commençons à utiliser l'eau soutée pour les cafés et la cuisine. Jules, en plus de son mal de mer contracte une turista assez sévère. Nous sommes tous plus ou moins atteints, mais Jules se trouve de plus en plus mal, s'affaibli et se déshydrate. Il refuse catégoriquement de se soigner autrement qu'avec ses huiles essentielles et nous sommes contrains d'attendre qu'il soit au plus mal avant de réussir, 7 jours plus tard, par le convaincre de prendre une médication allopathique.

C'est qu'au beau milieu de l'océan, sans contact possible avec la terre, la route des Alizés peut rapidement se transformer en milieu hostile. La survie et le bon sens doivent alors primer, pour le bien de tout l'équipage et le bon déroulement de la navigation.

Exocet appelé aussi poisson volant
Exocet appelé aussi poisson volant

Jules se remet doucement et péniblement. Marie s'occupe beaucoup de lui en se partageant tout de même avec le quart de barre restreint que nous lui avons attribué.

Une semaine plus tard, la météo s'est largement réchauffée et l'atmosphère, chargée d'humidité. Les premiers pailles-en-queue et mammifères marins font leur apparition et nous nous émerveillons toujours autant à chaque arc-en-ciel qui apparait après un grain.

La pêche à la traîne fait partie intégrante d'une transatlantique et vient agrémenter les menus de protéines fraîches. Sans parler de la satisfaction de cuisiner et se nourrir de sa prise vaillamment attrapée. La capture de notre première dorade coryphène est pour le capitaine et moi-même, vécue comme une véritable fête.

Notre première dorade coryphène
Notre première dorade coryphène

Tandis que le capitaine dépèce sa proie en énonçant la manière dont elle va être cuisiner, Jules tourne de l'œil. Marie, quant à elle, semble partagée entre la foi mise dans son régime alimentaire et ses instincts d'omnivore.

Une arrivée en demi-teinte

Tandis que le capitaine et moi-même nous délectons de ce que le quotidien de cette transat nous offre à vivre comme moment de vie à la fois intense et unique, l'impatience d'arriver et la lassitude de nos deux bateau stoppeurs viennent inexorablement altérer quelque peu l'expérience.

Après un départ poussé par un Alizé timide, puis une période de grains orageux, nos derniers jours se révèlent assez éprouvants avec une grosse houle et un bon 25 nœuds de vent.

Dix sept jours après avoir quitté le Cap-Vert, Marie et moi prenons notre quart de nuit. Soudain une effluve chaude, terreuse et épicée empli nos narines. Si l'océan n'a pas d'odeur, celle de l'arrivée après une traversée de plusieurs jours en a une absolument délicieuse.

Avant même de voir la terre, nous la sentons !
Avant même de voir la terre, nous la sentons !

Au petit jour, la Désirade est en vue, puis Marie Galante et la Guadeloupe. Les Saintes sont notre destination choisie pour notre atterrissage.

Une fois l'explosion de joie manifestée pour tous par des "hourras" déclamés bruyamment, chacun se recroqueville dans sa coquille. Le deuxième effet provoqué par l'émotion nous replonge inexorablement dans le déroulement de cette tranche de vie si atypique.

Tous les quatre, ensemble, nous avons traversé l'Atlantique. Chaque mille parcouru a été barré à la force de nos biceps et la ligne d'horizon aura été balayée sans relâche des milliers de fois par nos regards rêveurs.

L'ancre s'abîme par 5 mètres de fond à quelques encablures entre la rive et l'emblêmatique rocher du Pain de Sucre.

Nous fêtons notre arrivée par une baignade
Nous fêtons notre arrivons par une baignade

J'ôte mes vêtements et me jette à l'eau sous le regard amusé du capitaine. Marie hésite une seconde puis me rejoins en riant : le bonheur de la première baignade aux antilles ponctue positivement d'un point final cette traversée. Jules observera la scène en esquissant un sourire.

Le soir venu, nous pensons que les quelques tensions accumulées se sont dissipées en partageant notre premier poulet boucané. En réalité, dès le lendemain, nos deux bateau-stoppeurs quitteront rapidement le bord pour ne plus nous donner de nouvelles.

Nous leur avons fait traverser l'Atlantique, comme ils le souhaitaient et en toute sécurité. Si cette navigation s'est toujours déroulée dans le calme et le respect de chacun, le manque d'enthousiasme, de convivialité et un peu de reconnaissance, nous laisse un goût légrement amer.

Maya, bien arrivé de "l'autre côté", aux Antilles
Maya, bien arrivé de "l'autre côté", aux Antilles

Heureusement, toutes les co-navigations ne se déroulent pas ainsi et certaines personnes embarquées par la suite sont devenues de véritables amis.

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Melody La fiche technique
10.55 mLongueur hors-tout
3.38 mLargeur - Bau
15.87 mTirant d'air (hauteur maxi)
Voir la fiche technique du Melody

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