Jean et moi sommes dans les meilleures conditions pour cette première navigation : les grands-parents des enfants les ont gardés pendant 3 jours, et nous avons mis à profit ces rares moments d'intimité pour nous préparer physiquement et mentalement à notre première traversée en famille, de Douarnenez à Morgat. 15 miles nautiques rallient les deux ports, mais pour moi qui suis de nature anxieuse depuis que je suis maman, avec toute ma petite famille à bord, 15 miles c'est le bout du monde.
Champagne sailing
Nous récupérons les enfants à Tréboul, et nous appareillons pour notre première aventure au long cours. Le temps est idéal, 15 nœuds de vent, au près d'accord, mais c'est une allure que l'Écume de mer aime bien, et un grand soleil coiffé de quelques beaux nuages donne des couleurs à cette belle après-midi. Clou du spectacle, nous sortons du port au moment où le départ de la Brest Finistère Classic est donné, et nous croisons sur la route les plus beaux voiliers du monde : Pen Duick, Moonbeam, et Mariquita ont bien du mal à rattraper notre bateau !
Enfin, c'est que nous faisons croire à nos enfants qui, dès que nous sommes dans un voilier ou une voiture, ne supportent pas d'être à la traîne, alors qu'ils ne stressent pas le moins du monde quand ils sont encore en pyjamas 5 minutes avant de partir à l'école...
Je vois mon fils cheveux au vents à côté de son père, je pense au long chemin qui nous a conduit ici, au paradis, dans la baie de Douarnenez, où nous rivalisons d'élégance et de vitesse (j'exagère à peine) avec les voiliers classiques, et je dis à Jean " C'est champagne sailing chéri ! ", le cœur gonflé de joie.
J'ai parlé trop vite...
Les nuages ont dû m'entendre et mon enthousiasme a dû les courroucer, car 10 minutes après ce parfait moment de félicité, les ennuis ont commencé. Ils se sont faits plus denses, et ont commencé à nous tomber dessus, en nous envoyant grains sur grains, pour bien nous rappeler que non, rien n'est jamais acquis. Nous confinons les enfants dans leur cabine, et prenons les choses en main. Enfin Jean prend les choses en main, car moi, pour la première fois de ma vie, je suis tétanisée, et je ne réponds même plus quand il me parle.
Je regarde les nuages noirs coucher notre bateau dans leur souffle pendant que les scénarios catastrophiques s'enchaînent à mon hyperanxiété, et dans chacun d'entre eux, nous finissons à l'eau avec nos deux enfants, là, juste devant chez nous, à la maison. Dans ma tête il y a Jamel Debouze qui hurle "On va tous mourir, on va tous mourir !" sur Thunderstruck d'AC/DC alors que la situation est parfaitement maîtrisée, mais la maman en moi ne contrôle plus rien. J'entends des hurlements dans la cabine, je descends paniquée, mais je vois avec soulagement que les enfants se tordent de rire parce que le bateau bouge dans tous les sens et les fait rebondir dans la pointe avant.
Il faut réagir
Je reprends le dessus sur mon état de panique générale, je retrouve la parole et nous établissons une stratégie pour éviter les grains, comme nous ne pouvons pas partir en fuite parce que notre abri est devant nous, nous passons notre temps à louvoyer entre les nuages noirs en régulant le bateau à la barre pour Jean et à l'ecoute de GV pour moi. Je passe mon temps à choquer.
Il y a beaucoup trop de bruit, il pleut, tout est gris, c'est l'enfer. Je m'en veux à mort et je fais une croix définitive sur tous mes rêves de tour du monde à la voile en famille. Je suis prête à raccrocher les cirés et à vendre le bateau ! Au bout de 2h de lutte acharnée avec les éléments, nous arrivons au port de Morgat, tout le monde est sain et sauf, et je suis la seule que cet évènement a traumatisée. Jean est un peu sonné, mais pas choqué, et les enfants sont radieux ! La seule satisfaction que j'ai c'est que nous ne leurs avons pas communiqué notre stress, ils se sont sentis en sécurité du début jusqu'à la fin.
Sains et saufs au port de Morgat
Bien sûr, une fois les amarres bien tendues, j'ai balayé mes angoisses aussi vite qu'elles étaient arrivées, et j'ai retrouvé mes rêves d'aventure autour du monde en famille. Et après cette première traversée épique, je me sentais prête à affronter toutes les épreuves que la vie maritime voudrait m'envoyer !