Fort de son expérience personnelle, Will Sutherland a développé une pédagogie sur l'apprentissage par la pratique qui trouve sa pleine expression au sein de son association QBE. Grâce à des stages sur des voiliers traditionnels, Marie-Claude et Yseult, deux répliques du cotre-pilote l'Alouette, il initie des jeunes à la navigation tout en les préparant à la vie avec des compétences transférables. Nous l'avons rencontré à bord de l'un d'eux. Dans cette 2e partie, il aborde les aspects essentiels de son enseignement et met en lumière les défis liés à la maintenance des cotres-pilotes.
L'importance du collectif
Pour Will Shuterland, l'objectif des stages de QBE n'est pas seulement de former des navigateurs, mais d'enseigner des valeurs de collaboration, de leadership et de rigueur. "En mer, les jeunes doivent apprendre à anticiper, à s'organiser, et à prendre des décisions rapides et efficaces. Cela les prépare à faire face à bien d'autres situations dans la vie" détaille-t-il. La coordination entre l'équipage est primordiale pour que chaque manœuvre soit exécutée de manière fluide. Les stagiaires, venus du monde entier (Amérique, Europe, Chine...) trouvent ainsi en mer un espace de formation singulier. "Tous acquièrent une capacité à s'adapter et à travailler en équipe" ajoute-t-il. Les stages, limités à 6 ou 7 participants pour garantir une attention personnalisée, s'étalent sur 2 à 3 semaines. Will précise : "Pour les parents, l'essentiel est que leurs enfants apprennent à vivre ensemble.''
Une méthode basée sur l'action
La pédagogie de Will, natif d'Écosse, repose sur une approche anglo-saxonne appelée "learning by doing", ou apprentissage par la pratique. "En mer, les erreurs ont des conséquences réelles. Mon rôle n'est pas de tout leur dire, mais de les laisser gérer, tout en étant là pour garantir leur sécurité et celle du bateau", affirme-t-il. Cette technique permet aux jeunes de se confronter aux réalités de la mer, de s'approprier les manœuvres, mais aussi de développer un sens aigu de la responsabilité. Tout commence par des exercices simples dans le port : faire des nœuds, utiliser un taquet, etc. Puis les bateaux partent non loin de la côte pour de petits essais ; il faut mettre les voiles et voir comment chacun se débrouille. Ensuite, Will estime qu'ils sont prêts et leur demande : "Emmène-moi là-bas." Parfois, ils ne savent pas où c'est, mais je leur rappelle que toutes les informations sont à bord. Ici, tout est réel. Si une erreur se produit, le bateau le fait savoir. C'est l'environnement parfait pour apprendre rapidement."
Will insiste sur l'importance de la mise en situation : "Les élèves ne comprennent pas pourquoi je ne fait jamais de briefing. Cela me fait rire. En réalité, à la fin de chaque sortie, je préfère l'utilité d'un débriefing plutôt que de tout expliquer en amont : pourquoi as-tu fait ça ? Que ferais-tu différemment la prochaine fois ? Et après une semaine, c'est incroyable de voir leurs progrès.''
Les cotres-pilotes : une robustesse au service de la pédagogie
Les cotres-pilotes, bateaux historiques utilisés autrefois pour guider de plus grands vaisseaux à travers des eaux dangereuses, sont réputés pour leur solidité et leur fiabilité. "Ils étaient conçus pour naviguer dans toutes les conditions qu'il vente ou qu'il pleuve, et pour rentrer au port même par mauvais temps", explique Will. Depuis 2009, l'association QBE en possède deux, Marie-Claude et Yseult, inspirés des plans de l'Alouette, un bateau construit en France en 1891 par François Lemarchand.
Ces voiliers, construits à Falmouth en Cornouailles, sont de véritables plates-formes d'apprentissage pour les stages d'immersion proposés par QBE. "Les cotre-pilote sont stables et surtout très sûrs, ce qui permet de se concentrer sur la technique sans se soucier constamment de la vitesse. Les ajustements, sur ces bateaux, peuvent ajouter 1,5 nœud de vitesse. S'ils sont mal réglés, ça marche correctement, mais ce n'est pas optimal" précise Will.
Néanmoins, à bord des cotres-pilotes, chaque manœuvre compte et chaque erreur peut avoir des conséquences immédiates. "La navigation à l'ancienne exige une attention constante. Il faut connaître son gréement, savoir lire la mer, et anticiper chaque changement de vent" insiste Will avant de poursuivre : "Néanmoins, les jeunes apprennent très vite à être autonomes, car ils sont immédiatement confrontés aux exigences de la mer." Pour les participants, le quotidien à bord demande ainsi une discipline de tous les instants. Ils sont responsables de tout : de la barre, des voiles, des repas... Il n'y a pas de place pour la passivité.
Grâce à l'accompagnement des skippers de l'association, les jeunes apprennent ainsi à manœuvrer des bateaux traditionnels avec des voiles auriques et un gréement complexe. C'est un défi technique, mais aussi un retour aux sources de la navigation indéniable pour le fondateur de QBE: "Cette immersion totale dans la gestion du bateau forge des caractères et inculque des valeurs fondamentales de rigueur, d'initiative et de solidarité.
Les défis de l'entretien des vieux gréements
L'entretien des bateaux devient rapidement une priorité incontournable. "Sortir les bateaux de l'eau chaque année pour vérifier la coque et changer certaines pièces du gréement est indispensable pour garantir leur sécurité et leur longévité" souligne Will. Chaque saison commence par un travail minutieux : application d'antifouling, vérification des passe-coques, etc. Ces vieux gréements nécessitent une attention constante pour assurer leur performance en mer.
Dans les années 1960, la transition des coques en bois aux coques en plastique et fibre de verre a marqué une nouvelle ère pour ces bateaux. Malgré cette modernisation, le reste de la structure des bateaux restait en bois. "Ils ont commencé par des petits bateaux de 16 pieds, puis des 22 pieds et finalement des 28 pieds qui se sont beaucoup vendus" raconte Will. Monsieur Dupré, architecte français, commanda justement l'Alouette, un modèle de 28 pieds, version racing, équipé d'un pont flush, d'un mât élargi et d'un bout-dehors plus long. Ce bateau, conçu pour porter beaucoup de voiles, s'est illustré dans les régates, notamment à L'ARC. Après plusieurs victoires, Dupré demanda au constructeur de lui faire un navire plus grand pour accueillir toute sa famille. Le bateau navigua à partir de 1891 pendant 40 ans, "ce qui est exceptionnel pour l'époque, car généralement un bateau durait 20 à 25 ans" précise Will.
Ce modèle, portant le nom Marie-Claude, attira l'attention d'un banquier anglais qui fit construire une réplique mise à l'eau en 2000. Le constructeur, avant sa mort prématurée à 55 ans, avait commencé à travailler sur un autre bateau, encore plus grand sans jamais pouvoir le terminer. "Après sa mort, le chantier a été vendu, et tous les moules des bateaux ont été perdus ou détruits. Pour moi, ces bateaux sont uniques, presque impossibles à reproduire. Aujourd'hui, reproduire de tels navires coûterait un million, voire un million et demi d'euros, un investissement colossal" confie Will, fier de ces bateaux de 14 mètres qu'il a acquis en 2009.