Écoutez cet article
Nous sommes au mouillage à Sanna Bay, en Ecosse. Nous avons prévu de le quitter dans l'après-midi, pour aller nous abriter d'un coup de vent. Cependant, le vent forcissant plus rapidement que prévu, nous décidons de partir plus tôt.
Des conditions peu favorables
Le vent s'établit déjà aux alentours de 20 nœuds et la houle commence à entrer dans notre mouillage. La pluie tombe drue. Nous sommes fatigués et passablement de mauvaise humeur de devoir plier bagage en vitesse et de nous tremper à l'extérieur.
De plus, nous avons mouillé deux ancres : le mouillage principal à l'avant au plus près de la plage et un mouillage léger à l'arrière pour empêcher le bateau de trop se rapprocher d'une barrière rocheuse à bâbord, en fonction de l'orientation du vent qui oscille.
Le mouillage arrière est réalisé avec une ancre Fortress, un peu de chaîne de 10 mm et un câblot flottant de 100 mètres dont seule une partie est larguée. Le reste est disposé à l'arrière du bateau dans un sac. En raison de la houle, du vent, de la pluie et de notre empressement à partir, nous décidons de relever ce mouillage après le mouillage principal, à partir du bateau, et non en annexe comme nous le faisons en général.
Une série d'évènements qui mène à l'accident
Je suis à la barre tandis que Guillaume est à l'avant pour remonter l'ancre principale. Nous donnons du mou au bout de l'ancre secondaire pour avancer vers la plage. Le vent souffle et j'ai des difficultés à conserver le voilier face à la plage. Au moment où l'ancre principale se décroche, le bateau vire à bâbord vers des rochers et je me vois contrainte de faire une marche arrière.
Malheureusement, le bout flottant de l'ancre secondaire se prend à ce moment dans notre safran. Sans être complètement emmêlé, il gène la manœuvre. Guillaume vient à l'arrière et arrive rapidement à reprendre du bout en l'entassant sur la passavant. Le bateau vire et nous nous dirigeons vers l'ancre secondaire pour la récupérer.
Cependant, à un moment de la manœuvre, le voilier dépasse l'ancre secondaire. Guillaume ne se rend pas compte que son pied est dans le bout. En quelques instants, les 18 tonnes du bateau partent dans un sens pendant que l'ancre nous retient de l'autre avec la cheville de Guillaume entre les deux…
Première étape après l'accident : se mettre en sécurité
La douleur est insupportable, Guillaume hurle. Le temps que je comprenne ce qui se passe et que j'actionne vigoureusement la marche arrière, les dégâts sont fait. Nous arrivons à dégager le pied de Guillaume, mais nous sommes dans une toute petite baie entourée de rochers. Le vent et la houle sont soutenus. Il pleut, la visibilité est médiocre et le capitaine est hors d'état.
Nous abandonnons le mouillage arrière en larguant le bout flottant et en laissant filer. Les enfants sont vigoureusement invités à rester cloîtrer dans la cabine avant. Ils y resteront tous les trois très calmes pendant toute la durée des opérations de sauvetage.
Ensuite, nous nous dirigeons vers une anse à proximité immédiate, qui est mieux protégée de la houle. Heureusement, Guillaume l'avait étudiée auparavant et en connaissait les dangers. Il m'indique brièvement où aller et se traîne jusqu'à l'avant pour larguer l'ancre, pendant que je positionne le bateau.
Cela fait, nous sommes en relative sécurité. Toutefois, nous ne connaissons pas l'étendue des dommages au pied de Guillaume. Ce dernier souffre terriblement. Les contusions ont un aspect assez terrifiant et la douleur est très forte.
Deuxième étape après l'accident : appeler le 16
C'est décidé, j'appelle le 16 à la VHF pour un pan pan. Après quelques échanges avec les coast guards sur la situation du voilier, l'état de Guillaume et la composition de l'équipage, ils m'annoncent qu'ils envoient la vedette depuis Tobermory, le port le plus proche.
L'attente paraît longue, même s'il ne s'agit que de 30 à 45 minutes. Guillaume endure du mieux qu'il peut, mais les médicaments du bord ne peuvent rien pour ce niveau de douleur. J'installe des défenses et des amarres des deux côtés du voilier, n'ayant pas compris ce que les sauveteurs me demandaient exactement à la radio. Les échanges en anglais à la VHF ne sont pas très aisés, mais suffisants pour l'essentiel.
Troisième étape : la prise en charge de Guillaume
L'énorme vedette arrive enfin avec son équipage complet. Ils prennent tout de suite Guillaume en charge au niveau de la douleur. Nous échangeons sur les circonstances de l'accident. Ils décident rapidement d'évacuer Guillaume vers l'hôpital de Fort William par hélicoptère pour passer des radios.
Ayant compris que je ne suis pas en capacité de naviguer seule avec le voilier et les enfants, surtout par ce temps, ils décident de m'aider à rapatrier Arthur vers Tobermory dans la foulée. Après avoir emmené Guillaume au large pour l'hélitreuillage, deux sauveteurs embarquent sur le voilier pour l'emmener au port au moteur.
Quatrième étape : rapatrier le voilier au port
C'est ainsi qu'Arthur fait une entrée très remarquée à Tobermory, escortée par la vedette de la RNLI, avec des sauveteurs en grand équipement à bord et une bonne douzaine d'autres qui attendent sur le ponton pour attraper les aussières. On fait même déplacer un bateau pour nous laisser la meilleure place sur le quai !
Tout le monde est extrêmement attentif, sympathique et compatissant. De nombreuses offres d'aide me sont proposées par les sauveteurs et les équipages des bateaux de Tobermory, dont plusieurs français.
Cinquième étape : les suites de l'accident
Heureusement, les nouvelles de Guillaume sont rassurantes ! Le pied n'est pas cassé. Il reviendra à bord le jour suivant avec une énorme attelle, des pansements, des béquilles, des anti-douleur et une prescription de trois semaines de repos.
Néanmoins, l'expérience soulève un certain nombre de questions. En particulier, sur le fait qu'en qualité d'équipière, je ne suis pas en capacité de gérer seule le bateau si Guillaume a un problème grave.
Les premiers jours, le soulagement que l'accident se termine mieux que ce que nous pensions domine nos pensées. Puis l'angoisse de ce qui aurait pu arriver se fait sentir. Nous devons tirer les leçons de cet accident et revoir nos procédures de sécurité.
Par ailleurs, notre voyage vers le grand nord se trouve compromis pour cette année. La saison est bien avancée et la convalescence du capitaine va prendre un peu de temps. Le moment est venu de réfléchir à la suite de notre programme.