Passage du Nord Ouest sur un voilier de série : témoignage

Marc Pédeau et Bénédicte Michel à bord d'Opale, leur Allures 44, reviennent d'avoir franchi le Passage du Nord Ouest. Ce périple hors norme d'une durée de 15 mois et d'une distance de 16 000 milles nautiques nous est raconté par Marc. Il a permis au couple de rejoindre l'Alaska par le passage du NO en partant de La Rochelle en juin 2018.

Un couple amoureux du large

Marc est un amoureux des mers froides, et un navigateur passionné et confirmé. Il a fait ses armes aux Glénans, a continué au GIC (Groupe International de Croisière) pendant 40 années, et a réalisé des navigations partout dans le monde. Ingénieur des télécommunications et jeune retraité, il voit enfin la possibilité d'accomplir avec sa femme Bénédicte et ses proches, ce rêve de contrées boréales qui l'anime depuis de nombreuses années.

Un voilier préparé avec soin

Ils achètent en 2014 cet Allures 44 construit en 2011 et baptisé Opale. C'est un dériveur intégral en aluminium de 13,60 mètres de long, 4,25 mètres de large et de 1 à 3 mètres de tirant d'eau. Ces 2 critères essentiels permettent de traverser les glaces et de pouvoir se rapprocher des terres pour bénéficier de leur protection dans des mouillages assez reculés.

Marc témoigne : « L'année du passage du NO en 2019, sur les 13 bateaux qui ont franchi le passage, 12 voiliers étaient en alu ou en acier et un seul était en bois ».

La préparation d'Opale est une étape cruciale. La volonté délibérée est d'avoir une grande redondance des outils et des logiciels de navigation à bord. La centrale avec traceur Simrad équipant Opale est doublée d'un PC fixe intégrant le logiciel Max Sea, d'un PC portable de secours avec Squid (logiciel de météo marine et de routage) et d'une tablette indépendante du bateau en énergie, équipée avec Boating et Weather4D. C Map et Navionics permettent d'avoir deux cartographies distinctes car elles sont toutes deux imprécises dans certaines contrées, avec des erreurs différentes. Il est essentiel dans certains chenaux intérieurs du Groenland de pouvoir fiabiliser la position du voilier avec 2 types d'informations.

Les énergies à bord sont produites par l'alternateur et 4 batteries de service, complétés par des panneaux solaires, une éolienne et un hydrogénérateur.

Pour la communication, le choix d'un AIS (système d'identification automatique des navires) en émission et en réception est validé, couplé avec VHF fixe et portable et un téléphone Iridium Extrême pour la récupération des fichiers météo.

Afin de garantir une plus grande sécurité au mouillage, Marc décide de compléter l'ancre Kobra 20 kg avec une Spade 30 kg couplée à une chaîne de 55 mètres (plus 90 mètres de câblot). « Tous nos mouillages se sont très bien passés, même si les autres bateaux ayant fait le passage du NO avaient tous 100 mètres de chaîne ». En complément, 2 sangles de 70 mètres sur rouleaux permettent d'accrocher le bateau et éviter qu'il tourne autour de l'ancre.

L'autonomie en gasoil est de 550 litres + 100 litres en jerricans. Idem pour l'eau.

Pour la préparation des repas, le butane ne supporte pas le froid et il faut prévoir de le remplacer par du propane. On trouve des bonbonnes américaines très chères et des bonbonnes canadiennes bien meilleur marché. L'installation d'un poêle à gasoil Reflex apporte enfin le confort à bord pour chauffer et assécher le bateau dans le Nord.

La dernière étape est de faire une révision générale du voilier avant le grand départ.

De La Rochelle à Saint-Pierre et Miquelon

Fin juin 2018, Marc et Bénédicte entament leur long et passionnant périple, par la traversée du Golfe de Gascogne, de nombreux cabotages le long des côtes de Galice et du Portugal, une étape à Madère puis Graciosa (Lanzarotte). Opale poursuit son parcours à la découverte des Canaries et descend au Cap Vert (Mindelo). L'équipage prend son temps et révèle des paysages et des mouillages magnifiques.

La traversée de l'Atlantique Nord en 16 jours permet à Opale de rejoindre et de découvrir le continent américain à partir des Caraïbes et en remontant par les Bahamas le long des côtes de Charleston jusqu'au Maine, avec une étape emblématique qu'est la traversée de New-York par l'East River (NYC). L'arrivée à Saint-Pierre et Miquelon le 29 mai 2019 couronne cette première partie du périple qui a durée une année.

C'est l'heure du premier bilan et des retrouvailles avec 4 équipiers qui rejoignent le bord.

Les problèmes majeurs rencontrés sur la route sont réparés : colonne de barre, hydrogénérateur, alternateur, changement d'hélice, arrivée d'air sur le poêle à gasoil. Le mythique Passage du Nord Ouest est à portée de mât pour Opale.

La traversée

Opale quitte Nuuk (capitale du Groenland) le 1er juin 2019, après avoir renouvelé l'équipage. Claire, leur fille, les y rejoint.

La remontée le long des côtes du Groenland permet d'amariner les nouveaux équipiers et de prendre contact avec les Inuits et leur mode de vie, entre traditions ancestrales (chasse aux phoques) et tourisme sportif à Ilulisat. Les paysages somptueux donnent un avant-goût de l'aventure, et de la prudence qui est de mise car la cartographie n'est pas toujours juste, et les chenaux étroits. Un dernier ravitaillement est organisé à Upernavik le 31 juillet car il est temps de traverser la mer de Baffin vers le cœur du passage du Nord Ouest. Trois jours sont nécessaires pour atteindre Pond Inlet, rarement accessible à cette période de l'année.

La magie et l'intensité du passage et des navigations dans les glaces opèrent sur l'équipage.

« J'ai toujours à l'esprit le bruit des glaces le long de la coque » confie Marc. Il faut rester prudent et aller très doucement même si la coque écarte les morceaux qui flottent. Les safrans (gouvernails) situés sous la coque doivent être protégés car on ne voit que la partie supérieure du « glaçon ». Celui-ci est souvent beaucoup plus gros sous l'eau et peut dépasser. Deux longues perches de 4 mètres permettent de les écarter au mieux des flancs d'Opale et de limiter le raguage.

La beauté et la puissance sacrée des paysages traversés marquent l'apogée de cette aventure pendant dix jours et demi de navigation au total dont 5 jours et demi non stop et sans mouillage, pour accéder à Cambridge Bay.

Opale poursuit sa longue route froide le long des côtes canadiennes et de l'Alaska pour atteindre Nome mi-septembre et découvrir une sympathique ville américaine au temps du far-west et des chercheurs d'or. Le voilier de Marc et Bénédicte ne peut pas rester ici, car la mer regèle et l'hivernage à terre n'est pas possible.

Les trains de dépressions sont resserrés en mer de Béring et il ne faut pas attendre pour l'emprunter. Opale rejoint Sand Point (îles Aléoutiennes) pour conclure ce périple de 6300 milles nautiques au total parcourus (équivalent à 3 fois la traversée de l'Atlantique) sur une durée de 4 mois.

Lorsqu'on décide de franchir le Passage du Nord Ouest, il faut accepter de faire une grande partie de la route au moteur. Soit il y a de fortes dépressions, auquel cas on cherche un abri, soit il y a pétole et on avance au moteur. On doit s'assurer de ne pas arriver en mer de Béring trop tard dans la saison car elle devient périlleuse à partir de fin septembre.

De nouvelles aventures en perspective

Opale est en cale sèche à Sand Point, ce grand port de pèche Nord américain, depuis maintenant plus d'un an et demi.

« Nous espérons aller le récupérer dès que les frontières américaines seront ouvertes car il nous manque beaucoup ». Le terrain de jeu des prochaines navigations est établi, avec la découverte de l'Alaska pendant l'été 2021, puis l'année prochaine du cabotage le long de la côte Ouest des Etats-Unis et du Canada, et à l'horizon 2024-2025, l'Australie, la Nouvelle Zélande, la Patagonie et l'Antarctique.

De beaux projets à venir.

Ce périple n'est pas à la portée de tout le monde. Opale a pourtant écrit une page de ce passage mythique. Les discrets auteurs de cette performance sont ainsi la preuve qu'il est possible pour des plaisanciers de triompher en voilier du passage du Nord Ouest. Marc est tout disposé à partager ses expériences et cette sagesse vélique acquise au fil des années. Et de conclure avec une pointe de malice dans la voix : « Allez vous vous lancer dans l'aventure ? »