Lionel Péan, premier vainqueur français de la Whitbread, nous parle de cette course

En 1986, Lionel Péan aux commandes de l'Esprit d'Équipe, sera le premier skipper français à remporter la mythique Whitbread, course en équipage autour du monde en étapes. Il nous raconte sa vision de la coupe.

C'est en 1986 que Lionel Péan remporte, à bord de l'Esprit d'Équipe un bateau sponsorisé par Bull, la mythique Whitbread, course en équipages autour du monde. Premier vainqueur français de l'épreuve, le skipper et venu nous livrer sa vision de cette course de légende.

Tombé dedans lorsqu'il était petit

"Tout petit déjà" nous explique Lionel, "je me suis intéressé à cette course. Je voulais la faire en tant que navigateur ou en tant que skipper, responsable et en charge de ma course. Je cherchais un partenaire pour financer un bateau lorsque Bull a émis un appel à projets. Tous les autres proposaient de concourir avec un maxi." C'est là que Lionel Péan fait une proposition surprenante à son partenaire : "Je réponds à Bull avec un petit bateau qui serait capable de performer quelle que soit l'allure dans son handicap." L'Esprit d'Équipe, ex-33 Export, allait donc s'aligner sur la ligne de départ de la course.

Préparation de 4 courses pour une compétition

"Nous venions de remporter le Fastnet" continue le skipper, "je stressais avant tout pour la première étape de la course, car je sentais nettement que ce serait à ce moment de la course que nos choix techniques et humains seraient soient confortés, soit balayés. La formation que nous avions mise en place pour tout l'équipage a duré 2 ans. Deux années au cours desquelles nous n'avons pas préparé une course, mais 4 courses distinctes, une pour chaque étape de la compétition."

Un recrutement pointu 

L'équipage de la Belle Equipe
L'équipage de l'Esprit d'Équipe

Le recrutement de l'équipage, Lionel Péan l'a vite compris, doit se faire sur des éléments factuels. Éléments qui se doivent exempts de tout à priori de camaraderie ou de copinage. Il peut être compliqué de faire marcher de front une dizaine de bons hommes et un bateau. Le gagnant nous explique : "On a recruté plein de monde, le principe étant qu'on devait tester chaque équipier. Certains sont restés un jour, d'autres plusieurs années. Nous cherchions une alchimie qui corresponde au concept du bateau. Un véritable esprit d'équipe et de conquête devaient co-exister. Pas juste une bande de potes ou une réunion d'ingénieurs, mais une complémentarité totale de chacun." Néanmoins, le cursus de base des candidats était la gagne. "Je voulais constituer un équipage de personnes qui avaient un vrai parcours de gagneurs sinon de gagnants. Il fallait qu'ils aient pratiqué du Mini, du Figaro et de la course au large, car c'est la formation idoine pour un équipage. C'est dans ce vivier donc que j'ai pêché, en Bretagne notamment."

Maximum de prises de risques pour gagner

L'équipage reçu par le Président de la République Française, François Mitterrand
L'équipage reçu par le Président de la République Française, François Mitterrand

La gagne, toujours elle, transporte l'équipage dans la recherche d'optimisation extrême. Lionel Péan nous cite un exemple argumenté : "Des expérimentations en double aveugle [NDLR un bateau dans une configuration, un autre dans une autre et aucun des équipages ne sait dans quelle configuration il se trouve] ont été réalisées. Entre un bateau qui emporte une gueuse de 25 kilos et un qui ne l'a pas, le plus léger, à course équivalente, arrive systématiquement avant l'autre. Imaginez ainsi ce que peut représenter une tonne d'eau consommable. C'est pour cette raison que nous n'avions, sur l'Esprit d'Équipe, qu'un réservoir tampon d'eau douce d'une centaine de litres d'eau, tout le reste était produit au fur et à mesure par le désalinisateur. Mille litres d'eau jaugent une tonne, vous imaginez l'impact sur la performance du bateau !" Toujours l'expérience et sa validation, pour aller mieux et plus loin. Lionel Péan continue : "Il fallait en permanence viser à diminuer la masse variable autant que possible [NDLR Tout ce qui est ajouté au bateau après son armement complet et l'équipage]. Nous étions à 187 kilos de masse variable, toute la nourriture déshydratée, les emports accessoires diminués au maximum." Des conditions sans doute spartiates, mais efficaces.

Lionel Péan en présence de la Princesse Lady Diana Spencer
Lionel Péan en présence de la Princesse Lady Diana Spencer

Une optimisation gagnante

Les recherches de performances se sont montrées utiles et gagnantes. L'Esprit d'Équipe a remporté 3 des 4 étapes. Le manque de réussite de la seconde étape, Péan l'explique : "Nous sommes partis en faisant route Grand Sud. Le poids était centré beaucoup plus sur l'arrière et faisait se traîner le bateau. Il nous a fallu deux jours pour nous en rendre compte et recentrer toute la charge. Ce sont au cours de ces deux journées que Phillips a pris un avantage sur nous. Et il est très compliqué, voire impossible, sur une telle course, de rattraper un retard à l'allumage."

La Whitbread pour un compétiteur ?

Mythique certes, la Whitbread n'en demeure pas moins une course longue et harassante. Il est passionnant de comprendre ce qu'une telle compétition représente pour un navigateur, au cours de cet opéra silencieux qui se joue tout au long de la régate. Lionel Péan nous explique : "Gamin d'un papa breton et d'une maman dont les aïeuls s'appelaient Mc Cormick, j'ai fait du rugby à La Rochelle. La Whitbread, c'est la coupe du monde de rugby pour moi. Imaginez, c'est une course autour du monde, en équipage et par étape. Cette simple appellation représente la quintessence de ce pour quoi on va sur l'eau. On y trouve de la relation humaine, de la navigation, du pays et de la compétition. C'est un des Graals de la vie lorsqu'on peut la mettre à son palmarès." La Whitbread, c'est aussi des lieux, des mers et des personnages jamais identiques, nous explique le skipper : "C'est un voyage au long cours avec  diverses facettes. Descendre ou remonter l'Atlantique, traverser le Pacifique ou l'Océan Indien sont des expériences à chaque fois surprenantes et nouvelles, même si on l'a auparavant fait 10 fois au cours de sa carrière. Tout change, les paysages, les climats comme la mer. Et les étapes permettent de faire de belles rencontres aussi, que ce soit au sein de l'équipage ou en dehors, à terre. A cette époque, il y avait une longue escale en Nouvelle-Zélande, de près d'un mois. Un tel arrêt serait inimaginable aujourd'hui en termes de temps médiatique d'ailleurs. Eh bien, ce mois d'étape était un moment vraiment utile. Pas uniquement pour le repos ou le retour aux proches, mais aussi pour aller effectivement au contact des personnes et des lieux croisés."

La course a évolué et a perdu un petit peu de son âme.

La Whitbread s'est ensuite limitée aux navigateurs professionnels au cours de son histoire. Lionel Péan déplore ce changement. "Les Anglais ont voulu prendre un virage. Basculer vers du pur professionnel, c'est mettre en avant la performance et le défi, c'est motivant. Mais ça a le désavantage majeur de couper la course de ceux qui la font vivre de l'intérieur, ces propriétaires passionnés qui vont passer des années, à l'Anglaise, à bichonner leurs sublimes bateaux pour prendre part à la compétition. Ils ont écrit l'histoire de la course et on les remercie sans penser à leur apport. C'est une perte, mais aussi longtemps que la course était ouverte y compris aux amateurs, elle alignait une trentaine de concurrents. Dès que ça a changé, on est passés à une dizaine. Et l'exposition de la course, aux médias comme au public, a fondu comme peau de chagrin. Il n'y a plus le relais des clubs locaux de passionnés, des entreprises locales ou des notables des étapes. On est entrés dans une course de sponsors puissants. C'est inéluctablement une aventure pour autant, mais elle a laissé un peu de son âme en changeant."

La prochaine Whitbread ouverte aux IMOCA 

La prochaine édition de la course va s'ouvrir à une autre classe de bateau. Les IMOCA, les voiliers de 60 pieds qui participent au Vendée Globe, vont prendre part à la course. Lionel Péan distingue dans cette ouverture un nouveau souffle donné à la compétition. "Il y a eu des réticences très françaises à cette ouverture. Qu'une autre fameuse course s'ouvre à la classe IMOCA signifiait sortir du triumvirat Vendée Globe/Jacques Vabre/Route du Rhum. Mais c'est un vrai avantage pour les partenaires et les équipes que de pouvoir ajouter de nouvelles épreuves au catalogue d'usage des bateaux. Non seulement un sponsor pourra-t-il voir son bateau plus exposé, mais en plus localiser la course dans différents points du globe, c'est ouvrir le sponsoring à des entreprises situées ailleurs dans le monde. En définitive, tout le monde trouvera son compte à cette ouverture. Ce serait bien que d'autres courses d'envergure s'ouvrent à la classe 60 pieds. Plus il y en aura, plus les sponsors répondront présents. La classe dans son ensemble sera gagnante !"

Lionel Péan
Lionel Péan à la barre du Volov SFS

CV express

Lionel Péan est né en 1956 à Saint-Germain en Laye (Fr.)

Palmarès :

2017 : Record de Saint-Martin WI
2016 : Vainqueur de Cowes Dinard
2015 : Record du tour de Corse
2011 : Vainqueur de la Legend Regatta (Volvo Ocean Race) avec l'Esprit d'Equipe
2011 : 4e de la Maxi Transatlantique Race Newport Cowes sur SOJANA de Peter Harrison
2010 : Vainqueur de la Maxi Transatlantique Race Ténérife St Martin sur SOJANA de Peter Harrison
2001 : Champion du Monde de 12 JI sur SOVEREIGN
1998 : record de la traversée de l'Atlantique Nord en équipage sur Mari Cha III de R. Miller
1994 : 3e de la Twostar avec Pascal Hérold sur le catamaran Dupon Duran
1994 : 2e de Sydney Hobart avec KYOTE de Ortwin Kandler
1993 : 3e de Sydney-Hobart sur Wild Thing
1990 : 5e de la Route du Rhum avec le Trimaran Saint-Malo Esprit de Conquête
1986 : 3e de la Route du Rhum avec le Catamaran Hitachi
1985 : 1er de la Whitbread avec l'Esprit d'Equipe
1983 : 1er de la Solitaire du Figaro avec Hitachi
1981 : 10e de la Twostar avec Daniel Gilard sur le trimaran Brittany Ferries Fr

L'équipage victorieux, 30 ans plus tard
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4.80 mLargeur - Bau
14 700 kgDéplacement lège
Philippe BriandArchitecte
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Wake Ski
Wake Ski
Quand je lis " ... L'Esprit d'Équipe, ex-33 Export, ..." je trouve que l' article commence plutot mal ! 33 Export est l' ex RAPH construit par ACNAM pour la transat 68 en solitaire, skippé par Alain Gliksmann. Je ne vois pas le rapport avec l'ESPRIT d'EQUIPE plan Ribadeau Dumas ....
Wake Ski
Wake Ski
Autant pour moi ... Selon Wikipédia le nom initial de l'Esprit d'Equipe aurait été 33 Export monocoque lancé en 1981, dessiné par l'architecte Philippe Briand. Ce bateau là n'ayant évidemment RIEN A VOIR avec le 33 export mené par les frères Milllet et Dominique Guillet pour la 1ère édition de 72/73, et par Alain Gabbay pour la 2eme édition de 77/78.
Yann Venance
Yann Venance
@Wake Ski
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