Un pied de nez aux Anglais
Dans le cadre de l'exposition Universelle de 1851, la Grande Bretagne invite un yacht américain à participer à une régate intitulée "la Coupe des 100 Guinées". Ce yacht, financé par le Yacht Club de New York, sera mené par un équipage composé de pilotes portuaires. A l'époque, ceux-ci étaient de fins régatiers, car les différentes compagnies de pilotes se livraient au jeu de la régate pour atteindre les navires en approches du port de New York. Le premier pilote à atteindre le navire à guider remportait la contrat.
Financée par un groupe de yachtsmen, l'architecte James Rich Steers est choisi pour dessiner une goélette qui sera baptisée America. Mesurant 30 m pour un déplacement de 170 tonnes, elle est manœuvrée par un équipage de neuf hommes. Menée par le capitaine Richard Brown, America quitte New York le 21 juin 1851, puis atteint l'Île de Wight le 30 juillet, après une courte escale au Havre.
"Majesty, there is no second"
America se présente face à ses concurrents le 22 août 1851. Quinze yachts anglais sont sélectionnés parmi la fine fleur locale pour se mesurer face à l'équipage américain. La procédure est lancée vers 10h et America prend un départ en second rideau en dernière position. Mais les qualités du navire et les talents du navigateur permettent à America de sa faufiler entre les bancs de Sable à l'Est de l'île de Wight, tandis que les autres concurrents croisent au large. America remporte la régate, et le second n'arrivera que 18 minutes plus tard. C 'est alors que la reine Victoria, qui assistait à l'arrivée depuis son yacht personnel, demande qui était le deuxième et reçu cette réponse devenue célèbre : "Majesté, il n'y a pas de second".
La coupe sera remplacée par la tête du skipper qui l'aura perdue
Après la victoire de la goélette America, la coupe est exposée dans les salons feutrés du New York Yacht-Club. Les anglais, rejoints par d'autres syndicats étrangers, ont tenté durant plusieurs décennies de la ravir laux Américains.
Ceux-ci étaient bien aidés par le principe selon lequel le vainqueur a le privilège d'organiser la défense de son titre en choisissant le plan d'eau, la date et le format de régate. La coupe est régit par un texte nommé le "Deed of Gift", dont le principal intérêt est d'être contourné par les départements juridiques des différents syndicats.
Mais en 1983, l'impensable arrive. L'équipage mené par Dennis Conner fut battu par le syndicat Australien, très aidé par une quille à ailettes révolutionnaire. C'est la fin d'une suprématie qui a duré 132 ans, soit la plus longue domination sportive de l'histoire. Les dirigeants du New York Yacht-Club auraient exigé que la tête du skipper ayant perdue la régate soit déposée à l'emplacement laissé vide par une coupe envolée aux antipodes.
Celle de Dennis Conner étant bien accrochée, il a pu prendre sa revanche en 1988 en battant les Australiens sur le plan d'eau de Fremantle, mais sous les couleurs du yacht-club de San Diego.
Les multicoques déboulent en 2010
Disputés sur des monocoques de différentes classe (class J, 12JI ou class America), la coupe est restée l'apanage des syndicats anglo-saxons jusqu'en 2003, jusqu'à ce que l'équipage Suisse d'Alinghi remporte la coupe à Auckland et devienne le premier pays à ramener l'aiguière en Europe en 152 ans.
Suite à nouvel imbroglio judiciaire entre les Suisses et les Américains, l'édition 2010 se résumera à un duel entre les deux protagonistes, interdisant à d'autres syndicats d'y participer. Cet affrontement a opposé le catamaran suisse à gréement conventionnel face au trimaran américain équipé d'une aile rigide. Ce dernier remportant les deux premières régates, la coupe est rapatriée à San Francisco.
Les éditions suivantes se dérouleront sur des catamarans à foils de 72 puis de 50 pieds.
Une joute nautique où tous les coups sont permis
Dès 1851, Anglais et Américains s'affrontèrent sur l'eau, mais également devant les tribunaux. Les Anglais leur reprochant de ne pas avoir respecté les règles de courses. Depuis, l'histoire de la coupe a toujours été liée à des querelles entre avocats des différents syndicats.
Dans l'univers impitoyable de la coupe, l'espionnage architecturale est la norme, les coups bas et les trahisons sont séculaires dans ce microcosme de gros sous. Lors de la dernière édition aux Bermudes, le budget du syndicat anglais était estimé à 132 millions d'euros. A titre de comparaison, le budget de la totalité de la flotte du Vendée Globe 2020 (soit 32 IMOCA) est estimé à 120 millions d'euros dépensés sur trois années. La démesure financière est de mise et les sponsors "conventionnels" ne suffisent plus. Les capitaines d'industrie doivent puiser dans leur fonds propres pour financer les syndicats.
Tout ça pour la gloire, car aucune rétribution financière n'est prévue pour le vainqueur...