Fin des études de médecine. Un long couloir d'une dizaine d'années, chargé, épuisant et usant à l'issue duquel François a obtenu son diplôme. Devenu médecin, il a envie de faire une pause. Il décide, avant d'embrasser la carrière médicale, de partir pendant 2 années, avec sa première épouse et leur fille. C'est au retour de cette déconnexion qu'il a la certitude qu'il LE refera. Qu'il repartira, un jour ou l'autre, vivre sa passion de l'eau.
Besoin de changement
Carrière, travail… François et sa seconde épouse Catherine attendront 2010 pour commencer de mettre sur pied le projet de grand départ à proprement parler. En 2015, ils achètent Storia Storia, un Ovni 445 qui viendra remplacer l'Ovni 395 qu'ils possèdent alors. Premier pas psychologique vers le départ, ils passent de 3 cabines pour transporter les enfants sur l'eau à 2 seulement. L'une sera pour eux et une pour leurs éventuels invités. Les amarres familiales commencent à être larguées, chaque enfant prend son indépendance et les parents souhaitent mettre sur pied, doucement, ce projet. François connaît les grandes difficultés que traverse le chantier Alubat à cette époque. C'est l'une des raisons qui rester fidèles à la marque : "Être client quand ça va bien, c'est aisé. C'est quand la mer se lève qu'il faut faire preuve de fidélité" note le navigateur.
Vivre sa passion sans chercher à en vivre
Quatre années seront utilisées pour préparer le bateau. Le tester, le maltraiter, l'adapter et le transformer jusqu'à ce qu'il devienne, entre les mains de son propriétaire, le bateau de leur tour du monde. La chance est de leur côté, ils le savent : "Nous disposons tous les deux de confortables revenus qui nous permettent de financer le bateau, d'imaginer de cesser de travailler". Et c'est, d'ailleurs une des principales difficultés que d'accepter d'arrêter de travailler. Franchir le pas vers ceux qui vivent leur passion sans chercher à en vivre.
La décision est définitivement prise. Non seulement ils vont y aller, mais en plus ils le feront en parfaite bonne santé. L'année 2019 est en vue pour un départ annoncé en mai. François a un principe dans son approche de la navigation : "Lorsque deux routes sont possibles, même si l'une est plus longue que l'autre, si elle permet plus de confort et de tranquillité, je l'emprunte. Nous partons pour un marathon, pas pour un sprint."
Départ contrarié
Départ de Brest début mai 2019. Perte de l'hélice au large d'Ouessant suivie de la perte du générateur d'énergie "La minutie, l'attention, la préparation. En plaisance comme ailleurs, tout peut arriver. Ce n'est a posteriori pas grave, juste rageant sur le moment." Un mois de délai au départ. Retard ? Pas le moins du monde selon le navigateur "De toute façon, en 2019, la météo est atroce pour descendre vers l'Espagne par le golfe de Gascogne. Ce mois passé à Concarneau nous aura permis d'éviter du mauvais temps en mer."
Vrai départ donc fin mai. Descente en Espagne, le long des côtes du Portugal, Madère, les Canaries. Découverte du Cap Vert et première fois que Storia Storia met les pieds hors d'Europe dans sa vie de bateau. Un ami et son fils les accompagnent dans ce premier voyage, c'est lui qui, 30 années plus tôt, accompagnait François dans sa première transatlantique. La traversée est proche de la perfection. Belle météo, 15 à 25 nds de vent en permanence, très peu de mer, un seul grain à 35 nds au cours du trajet. La météo et l'ambiance sont idéales, avec de bonnes parties de pêche pour les amis à bord.
Le bon équipier pour le bon équipage
Lorsqu'on lui demande ce qui fait un bon équipier et un bon équipage, François nous explique "D'abord, notre traversée n'a pas été contrainte, nous avons choisi la fenêtre météo. Nous avions le luxe du temps. On sait très bien qu'une traversée en décembre, par exemple, sera confortable, mais avec des risques de pétole et nuira à l'ambiance du bord. Pourquoi, dans ce cas, s'obstiner ? Il ne faut jamais aller dans l'extrême, cela conditionne l'ambiance. Ensuite, se connaître. Soi d'abord, être capable d'analyser si on est plus compétent dans les quarts du début ou de la fin de nuit. Puis connaître ses coéquipiers, en ayant fait quelques week-ends en mer, quelques traversées et connues quelques galères. Les galères permettent de voir la manière dont chacun appréhende le stress et la pression et de vérifier si on est compatibles les uns et les autres. Et un bateau, c'est petit !", ajoute-t-il.
"Je le redis, ne jamais aller à l'extrême, en aucun cas. Lorsqu'il s'agit de faire des choix, présenter les options et faire du collégiale puis l'accepter, quitte à rallonger la route, tout en ayant parlé de ce rallongement auparavant. Les choix faits doivent entrer dans l'objectif commun de l'équipage, s'il faut prendre plus de temps, prenons-le. La finalité de tous les choix doit toujours être d'améliorer le confort du trajet, pas de faire seulement plaisir au propriétaire ou à l'un des membres d'équipage."
Et pour conclure sur ces critères de qualité d'un équipage : "Chacun vient sur l'eau chercher quelque chose de différent. Il faut que chaque équipier ait l'occasion de trouver, au cours de la traversée, ce quelque chose. C'est du domaine de l'intime, mais il faut que tous œuvrent pour le permettre."
Confinement inévitable
A la mi-décembre 2019, François et son épouse touchent la Martinique. Organisations des fêtes de fin d'année, les familles les rejoignent sur place. Balade dans les Petites Antilles début 2020 puis… confinement. "Nos conditions de confinement étaient loin d'être insupportables au mouillage à l'Île fourchue, au large de Saint-Barthélemy. Cinq bateaux étaient au mouillage en semaine, quelques visiteurs les week-ends. Nous maintenions les distances physiques lors des débarquements et mîmes en place avec les plaisanciers voisins un programme de débarquement sur l'île, pour être aussi raisonnables que possible. Au programme de nos journées, pêche, baignades, lecture et cuisine… Il m'aura coûté 3 kilos ce confinement."
Les Relations avec les autorités ? "La gendarmerie maritime est passée nous voir une seule fois, non pas pour nous contrôler, mais pour s'assurer que tout allait bien et que nous n'avions besoin de rien." François et Catherine trouvent le temps long, la vidéothèque et la bibliothèque de bord ne sont pas extensibles. "Nous avions prévu de faire les Caraïbes puis les États-Unis pendant cet été 2020. Mais fermeture des frontières oblige, nous nous sommes rabattus sur la Martinique où Storia Storia est sorti de l'eau actuellement pour son carénage."
L'avenir en cette période trouble
Le voyage n'est pas terminé pour nos deux plaisanciers "Nos plans ont certes été perturbés, mais rien de plus que cela. Nous allons reprendre l'itinéraire prévu initialement. Nous avons rendez-vous à l'ambassade des USA à Paris pour obtenir nos visas en novembre. Nous envisageons de remonter vers les États-Unis en mai ou juin 2021, puis direction le Canada. En fin d'année 2021, nous redescendrons vers les Antilles puis Cuba. Direction l'Amérique Centrale pour début 2022, puis passage du canal de Panama. Puis…"
Frustrations ?
Évidemment, l'épidémie actuelle a chamboulé les plans de navigation. Peut-on parler de frustration ? "Nous avons rencontré des personnes très ennuyées qui n'avaient un programme que sur un an et pas un jour de plus. Cela nécessite que tous les rouages soient huilés et qu'aucun pépin n'apparaisse. Si le programme est trop tendu, on crée le stress en amont du programme. Il me semble important de toujours penser à un plan B. Trop de contraintes ou de pression sur les choses créent des soucis." Ce qui est la vérité pour celles et ceux qui sont encore dans la vie active l'est moins pour notre équipage : "Nous devons pouvoir accepter de faire un tour du monde non pas sur 5 ans, mais sur 7, 8 ou 10 ans. Plus on a de temps à consacrer au voyage, moins on est dans une impétuosité de respect des impératifs."
Un voyage partagé en couple
"Trop de contraintes dans le planning créent un risque. Avec des obligations, on sera moins prudent et pressé de rejoindre la zone de navigation. Il faut toujours se donner une marge de sécurité. La navigation s'adapte aux visiteurs éventuels, aloes qu'il faudrait viser le compromis. Par exemple, si on doit retrouver de la famille ou des amis sur une zone dans laquelle on n'est pas, chacun doit se donner une marge de sécurité. Le navigateur en annonçant un ETA plus tardif, le visiteur en prévoyant une ou deux nuitées d'hôtel sur place. Dans tous les choix et dans tous les cas, toujours le plus facile. Distances, navigation, étapes… Si ça se complique, ce sera à la marge et on aura la possibilité de corriger le tir aisément." Certaines obligations existent néanmoins. "Nous ne sommes contraints que par la météo des grandes étapes. Même si nous nous laissons une marge de manœuvre. Par exemple, nous envisageons d'arriver à Panama début 2022, c'est une grande étape, mais cela peut être début janvier ou à la fin du mois, nous serons encore dans les temps prévus."
François et Catherine voyagent et vivent la mer en couple. C'est aussi l'un des secrets de la réussite de leur périple marin. "Ce n'est pas évident de naviguer en couple, il faut être certain que les deux en ont envie. Ma femme a accepté la navigation, beaucoup de couples sont tractés par le loisir du mari.". Et de conclure : "C'est aussi pour ça qu'il faut choisir la voie la plus cool pour se déplacer."
Question budget maintenant : "Il a fallu compter 500.000 € de bateau et de préparation puis, en cours de traversée, entre 3.000 € et 4.000 € mensuels, car la vie est très chère aux Antilles", nous explique le marin.
La philosophie de navigation de François est intéressante : toujours aller au plus simple, au plus court et au plus confortable, pour ne retenir que le plaisir dans la traversée. Une belle approche de la plaisance !