J'ai fait naufrage avec mon First Class 8 dans le golfe de Suez

Attitude, quelques instants avant de sombrer définitivement

Marc a quitté la région de Marseille en juillet 2020, cap sur l'Inde en solitaire avec un First Class 8 ! Il traverse sans encombre la Méditerranée et se présente aux portes du canal de Suez à la mi-septembre. Mais hélas, Éole sort les gros bras et empêche le valeureux marin de passer avec son voilier. Récit d'un triste naufrage qui met fin à un incroyable périple.

Marc est arrivé à Port-Saïd (Égypte) qui marque l'entrée du canal de Suez. Il vient d'effectuer une traversée de 500 milles directe depuis la Crête. 6 jours de mer en solitaire avec un vent portant 15 nœuds moyens.

Attitude dans la marine de Port-Saïd
Attitude dans la marine de Port-Saïd

Un passage du Canal de Suez appuyé par un agent efficace

Le voilà à devoir négocier son passage dans le canal. Ce parcours administratif va demander d'âpres et franches discussions, mais qui vont bien aboutir grâce à l'aide d'un membre du directoire de la compagnie Felix, un transitaire de service maritime. En effet, la facture du prix du passage comporte plusieurs lignes qu'il faut cocher. Ça commence par un prix de passage calculé en fonction du volume du bateau (250 $ pour le First Class 8), puis les frais de l'agent (100 $), puis des frais médicaux dus au Covid (30 $ comprenant le déplacement d'un médecin à bord), puis des frais de recherche d'explosif à bord (30 $) et enfin une clearance de Port-Saïd (200 $) et des frais d'immigration (100 $). Soit un total de 750 $ mal griffonné sur un bout de papier.

 Le premier devis âprement discuté
Le premier devis âprement discuté

Si Marc ne discute pas les premières lignes du devis, il ne comprend pas la clearance et les frais d'immigration vu qu'il ne pas y avoir besoin de visa pour l'Égypte. Heureusement, la Felix Marine Agency a bien compris la situation de Marc : peu fortuné, aimant faire les choses officiellement, n'ayant pas la culture du bakchich. Cet agent va se démener tout le weekend pour permettre à Marc et son Class 8 Attitude de franchir sans encombre le canal. À la fin du weekend (le samedi soir), l'affaire est entendue avec une facture en bonne et due forme s'élevant à 558 $…

La facture finale en bonne et due forme
La facture finale en bonne et due forme

Le canal de Suez franchi en 2 jours

Après avoir fait un plein d'eau et avoir fait les courses de nourriture offert personnellement par le responsable de l'agence (sans visa, Marc n'avait pas le droit de sortir de l'enceinte du port), Attitude est prêt à parir. Dimanche matin, le pilote de port arrive exactement à l'heure au rendez-vous. 5h00 du matin, Attitude commence sa première journée dans le canal qui se déroule à merveille avec une arrivée à 14h30 pour l'étape du soir à Ismaïlia (le passage du canal de Suez se déroule sur 2 jours).

Le trajet d'Attitude dans le canal et le golfe de Suez
Le trajet d'Attitude dans le canal et le golfe de Suez

La nuit dans cette "marina" sera court. Ballotté par les vagues (comme les 5 premières nuits en Egypte), Marc doit constamment veiller à son amarrage. C'est donc fatigué qu'il attend le second pilote pour continuer la descente du canal.

La seconde journée se déroule un peu moins bien. Le pilote a un peu de retard, le canal ferme un pont basculant juste devant le bateau qui doit attendre une heure pour reprendre la route, un fort courant l'empêche ensuite de progresser à 5 nœuds au moteur. C'est donc avec plus de 2h de retard sur l'horaire que Marc et Attitude arrivent à Suez. Le canal est franchi, mais la porte vers le sud ne s'ouvre pas pour autant.

Reprise des tractations

De l'autre côté, des tractations et des demandes de bakchich reprennent. C'est un local de la marina qui va réussir à débloquer l'affaire sans que cela ne soit trop lourd pour le compte en banque de Marc. La discussion va durer 5h jusqu'à 23h, ne laissant pas de repos à Marc. Et ce n'est que tôt le matin, avant que toutes les administrations ne soient en place, qu'une solution est trouvée. Marc arrive à se procurer 36 litres d'essence. Il est prêt pour partir cap sur Djibouti à 1350 milles de là ! Il ne lui manque que les papiers du bateau et son passeport qui sont encore retenus en otage.

Ce n'est qu'à 11h30, que Marc largue les amarres définitivement de l'Égypte. Las, fatigué, mais heureux de reprendre la mer seulement 5 jours après son arrivée dans le pays. Même dans ses rêves les plus fous, il n'avait pas imaginé mettre aussi peu de temps. L'intervention efficace de Felix lui a permis de le réaliser.

Un horizon rempli de cargos
Un horizon rempli de cargos

Du monde dans le golfe

Une dernière prévision météo lui annonce un vent portant (vent du Nord) de 8 nœuds forcissant doucement jusqu'à 18 nœuds avec la nuit. Des conditions qu'il a déjà pratiquées ces derniers jours et pour lesquelles le Class 8 se comporte très bien sous pilote.

Quand on quitte le port Suez, on doit descendre sur 150 milles environ le golfe de Suez avant d'atteindre la mer Rouge. Ce passage étroit et tapissé de plateformes pétrolières et fais face à un très fort trafic maritime. On y rencontre les bateaux qui entrent et qui sortent du canal, d'autres en attente au mouillage, mais aussi une flotte de bateaux de pêche de toutes sortes. Il y a du monde !

Alors qu'il navigue cet après-midi-là au portant, Marc découvre cet environnement surpeuplé. Mais surtout, il se rend compte que plus de la moitié des bateaux n'émettent pas leur position en AIS. Que ce soit les pêcheurs en route ou bien les cargos au mouillage, beaucoup ne sont pas signalés sur l'AIS. En l'absence de radar sur Attitude, aucun moyen pour Marc de les repérer de nuit…

Ne trouvant pas d'abri pour passer la nuit, Marc n'a pas d'autre solution que de continuer. Dès 20h, le vent commence à monter. Toujours sous génois seul, Marc ne s'inquiète pas outre mesure. La météo l'avait annoncé. Certes le vent est largement au-dessus des 18 nœuds prévus, mais c'est toujours maniable. La nuit est tombée et Marc entame son slalom entre les plateformes et les bateaux.

Des cargos au mouillage qui ne signalent pas en AIS
Des cargos au mouillage qui ne signalent pas en AIS

Un vent qui forcit largement au-dessus des prévisions

Mais le vent continue de monter. Marc l'estime (pas facile dans la nuit noire) à 25-30 nœuds. Cette fois, c'est trop pour le génois. Mais impossible avec la mer (entre 2 et 3 m de creux) et le bateau qui part au surf, d'aller à l'avant pour l'affaler et en hisser un plus petit. Quant à lofer pour se mettre bout au vent, Marc sent bien qu'il atteint les limites du voilier et celui-ci risque de chavirer une fois couché travers aux vagues. Le marin est piégé. Il doit continuer sa fuite vent arrière.

Pour freiner sa descente sans fin, Marc largue les écoutes, le génois se met alors en drapeau devant l'étai et se met à faseyer sans mettre en danger le mât ou le bateau.

Marc se retrouve assis à l'arrière de son cockpit. Alors qu'avant il surfait les vagues à plus de 12 nœuds, la vitesse s'assagie à 4,5 nœuds avec des surfs à 8,5 nœuds (sans voile !). En bougeant son corps, Marc agit sur son bateau, comme quand il faisait de la planche à voile. Il se retrouve en "survie maîtrisée".

Impossible de lofer

Mais à 2h du matin, un nouveau problème apparait, le bateau arrive face à une pointe côtière. Il faut obligatoirement prendre 30° de cap sur la gauche. Sans voile, son voilier ne supporte pas la moindre auloffée. Après 2 départs au tapis, Marc doit prendre une décision. Son génois est totalement détruit, il n'en reste que des lambeaux. Il arrive un peu à longer la côte et repère un abri à 1 mille. Il arrive à mettre le bateau bout au vent et tente de remonter au vent au moteur. Hélas, même à fond, les 5 chevaux du hors-bord ne parviennent pas à contrer le vent et la mer. À ce moment, Marc l'apprendra plus tard, le vent est enregistré à 42 nœuds…

Marc décide de se mettre à la cap. À sec de toile, il dérive à 2,5 nœuds. La côte se rapproche rapidement. Il prend donc la cap sur l'autre bord, mais cette fois c'est le chenal et sa kyrielle de cargos qui se rapprochent. Exténué par plusieurs nuits sans sommeil, Marc doit prendre une décision : il doit déclencher les secours.

Attitude pris en remorque par la vedette Egyptienne
Attitude pris en remorque par la vedette Egyptienne

Une procédure maîtrisée

Très lucide, il réfléchit plus de 45 minutes avant de se décider. Il tente d'appeler à la VHF, mais sans réponse. Il déclenche donc un signal ASN "A la dérive" en appuyant sur le bouton Detress de la VHF. Puis il va aussi déclencher sa balise PLB et enfin, avec un signal très faible sur son téléphone, il réussit à joindre Alindien Marsec (la Cellule Régionale en charge de la sécurité maritime en Océan Indien) avec il est en contact pour préparer ce voyage.

Tous ces services vont se coordonner avec la marine Égyptienne qui arrive 3h plus tard à repérer Attitude balloté par une mer formée et démontée.

L'équipage qui a sauvé Marc (en short au milieu d'eaux)
L'équipage qui a sauvé Marc (en short au milieu d'eux)

Une étrave qui coupe en deux Attitude

Marc voit arriver sur lui une vedette militaire. De façon surprenante, celle-ci au lieu de venir à couple présente son étrave. Le choc est inévitable. Au premier passage les bastaques et le pataras coincés dans l'étrave font tomber la tête de mât. Au second passage, la vedette dans le cockpit sur la survie contre la bôme. Au troisième passage, Marc voit l'étrave s'écraser sur la descente. Il prend son grab bag qu'il avait préparé et attrape les mains tendues des militaires qui le tirent vers le haut. Sauvé !

Mis rapidement dans une cabine, Marc pleure tout ce qu'il peut. Il est sauvé, n'a rien physiquement, mais n'a plus rien non plus.Ce Class 8 c'est toute sa vie depuis 6 ans : sa maison, sa raison et son projet. Il retourne sur le pont pour découvrir que l'épave de son bateau est remorquée derrière la vedette. Mais celle-ci fait route à pleine vitesse. Et rapidement le bateau enfourne par l'avant et fini par couler définitivement. Attitude termine tristement sa vie au fond du golfe de Suez par 25 m de fond.

Tout ce que Marc possède aujourd'hui...
Tout ce que Marc possède aujourd'hui...

Le naufragé est débarqué dans la base militaire toute proche de Zafarana. Justement l'abri qu'il avait visualisé sur sa carte… En short, pieds nus, avec juste ses papiers, ses lunettes de vue et un iPad, Marc a tout perdu. La prise en charge par les Égyptiens est formidable. On lui donne des vêtements, accès à une douche, un repas. Il lui reste maintenant à se reconstruire, à trouver une solution pour continuer son voyage vers l'Inde.

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First Class 8 La fiche technique
8.50 mLongueur hors-tout
2.49 mLargeur - Bau
0.70 mTirant d'eau mini
Voir la fiche technique du First Class 8

Beneteau Découvrir

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Eric Vuille
Eric Vuille
Nous avons traversé en 2003 en catamaran. Je ne me souviens pas d'autant de tracasseries administratives. Par contre la cartouche de cigarette en guise de backchich est toujours de mise. Nous étions 6 sans radar à bord. Indispensable pour veiller et dormir. La descente jusqu'à Massawa s'est bien passée . Tempête après, il a fallu se mettre à l'abri à la côte, Mont Dudo je crois, un lieu «de pirates» fantastique. Sans problèmes. Puis le Yémen, le moyen âge,prit en otage financièrement, puis Djibouti. Puis 3 semaines jusqu'au Seychelles. 5500 miles depuis l'Espagne !
Thierry Cardinale
Thierry Cardinale
Bonjour Marc j'apprends ton périple, Dès le début du récit nous avons su que c'était toi. Tu es un sacré bon marin, pour t'en être sorti de ces péripéties. Je me souviens des formations où tu nous as mis en confiance dans les règles suivant des états de mer, mais toujours être à l'écoute de son bateau, et des éléments. L'important c'est que tu sois là. J'ai fait passer le message et nous reviendrons vers toi, Bon courage, à bientôt et Marc tiens bon ! Thierry & Valérie
Bernard Caillens
Bernard Caillens
Faire un périple de cette amplitude avec un voilier si petit, c'est à dire si peu équipé est a l'évidence dangereux. Dangereux car le voilier n'est pas adapté pour subir les conditions climatiques. Car en solo, on est très vite épuisé dans une navigation très dense dans ce golfe. Car la notion de secours n'est pas dans le vocabulaire des marins Egyptiens... Alors trop de risques pour un rêve qui finit en cauchemar. Pour moi ce témoignage est intéressant car permet de bien souligner hors piraterie la dangerosité de telles aventures.
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