Pouvez-vous nous présenter ce nouveau défi en quelques mots ?
Être le premier à faire le passage du Nord-Ouest en solitaire à la voile. Il s'agit de traverser le cercle polaire pacifique pour arriver dans l'Atlantique. Il y a environ 250 bateaux qui sont passés par là, mais au moteur. Seul Sébastien Robinet avait tenté l'expérience, mais ils étaient deux et sur un catamaran de sport habitable.
Ce voyage sera la combinaison de tout ce que j'ai appris pendant mon tour du monde sur mon catamaran de sport, mais dans un environnement plus hostile. Ça fait longtemps que j'entends parler du Grand Nord et j'ai toujours eu une attirance pour les pôles.
Je vais avoir de nombreux avantages à naviguer avec ce petit bateau. Il se faufile facilement, est facile à mouiller et ne fais pas de bruit pour la faune. Sur mon tour du monde, j'y ai trouvé beaucoup de plaisir. C'est une véritable réussite en termes de construction, il allie à la fois la vitesse de la Formule 1 et la robustesse du 4x4.
Les gens pensent que je me fais du mal sur mon bateau, mais pas du tout. Je m'éclate sur ce bateau… Je vibre ! Je vis !
Avez-vous prévu de faire des étapes ?
J'ai prévu de ne pas faire d'étape, dans l'idéal. Mais je vais faire face à plusieurs difficultés. Je risque d'être bloqué à Cambridge Bay à cause de la déglaciation tardive, de casser mon bateau, de manquer d'eau ou de nourriture…
J'espère enchainer et m'arrêter seulement au mouillage quelques heures, sans forcément mettre pied à terre.
Serez-vous en contact avec la terre ?
J'ai un météorologue, Christian Dumard pour la sécurité. Par rapport au tour du monde, j'aurai des informations pour les tempêtes et les glaces.
J'ai souhaité ne pas avoir d'assistance, ni de routage et de naviguer en autonomie. Je ferais mon parcours au jour au le jour, en fonction de la carte des glaces. Je naviguerai aussi beaucoup à vue. Mais contrairement à une navigation dans un océan, il y aura beaucoup de passages obligatoires et il faudra longer les côtes.
Ça parait rassurant, mais ça ne l'est pas. Il y aura des cailloux non identifiés, des glaçons qui flottent, la banquise à ne pas frôler ou encore les baleines à éviter. Tu ne peux pas te permettre de dormir trop longtemps à cause des obstacles permanents. Ça s'est vu d'ailleurs au Sri Lanka (NDLR : sur son tour du monde, Yvan avait cassé son bateau sur des rochers pendant son sommeil, son pilote automatique ayant lâché). Je vais être en mode Figariste, avec des périodes de sommeil très courtes. Sauf que la Solitaire du Figaro c'est 3 jours !
Christian me suivra tout le temps et s'il m'arrive quelque chose, déclenchera les secours. Si c'est une urgence vitale, il n'y a aucune chance de survivre. Les secours sont limités et il y a très peu de bateaux sur place. La cartographie est mauvaise dans le Nord. Si je suis légèrement blessé ou que j'ai froid, ça ira. Je me suis préparé pour ça.
En combien de temps estimez-vous réaliser votre traversée ?
Si tout était parfait, dans un monde idéal, je mettrais 40 jours. Je suis bien conscient que ça ne va pas se passer comme ça. J'estime la durée entre 40 et 60 jours mais 50 jours seraient satisfaisants. Quand on navigue aux abords des côtes, on vit au fil des aléas des glaces. Je vais être obligé de lever le pied, notamment à cause du brouillard, très fréquent à cet endroit. Je n'ai pas de radars et avec les glaçons, il faudra ralentir. Tout est fait pour se freiner donc je ne compte pas réaliser de grosses moyennes. L'idée c'est l'aventure et l'objectif, c'est de finir le défi !
Comment comptez-vous vous ravitailler en eau et en nourriture ?
Le bateau est plein à craquer et je n'ai pas pu prévoir assez d'eau et de nourriture. Il est très chargé, bas sur l'eau et risque de casser. J'ai amené un petit plus de nourriture et d'eau que sur les 25 jours de ma plus longue étape de mon précédent tour du monde. Sur 50 jours (timing qu'il s'est fixé pour sa traversée), on dépense beaucoup de calories donc je vais compléter ma nourriture par la pêche. Quand il y aura pétole, je vais pêcher dans le fond, à l'inuit parce que la traine ne marche pas. Aux abords des côtes, je pourrais aussi attraper un peu de saumon.
Pour l'eau, j'ai plusieurs solutions. Soit de l'eau de pluie, mais il ne pleut pas beaucoup. Soit le dessalinisateur manuel, mais c'est rébarbatif et prenant. Il faut pomper 4 à 5 heures par jour. Sinon, je peux aussi récupérer de l'eau sur les glaçons, mais il faut que ce soit de la glace qui vient de la banquise et pas de la nouvelle.
Du coup, à un moment donné, il n'est pas impossible que je sois obligé de m'arrêter. J'ai la pression sur ça aussi.
Pourquoi associer une cause écologique à votre défi ?
Ma volonté c'est d'asseoir ce projet qu'on a lancé depuis un an (NDLR Sensibiliser au réchauffement climatique et témoigner de la présence de multiples déchets océaniques à travers le Sea Cleaner). J'ai lu des études sur la pollution des océans arctiques, où la présence de plastique est très importante. Des caméras sont descendues à plus de 1000 m de profondeur et le résultat est impressionnant ! Les plastiques arrivent dans cette zone par le biais des courants marins. Je vais donc ramasser quelques déchets et filmer la pollution. C'est intéressant d'aller constater les dégâts par soi-même.
Et le record dans tout ça ?
Je vais essayer d'homologuer un record du passage nord-ouest à la voile, à condition de ne pas m'arrêter à terre. Le fait de mouiller n'est pas un problème et ne m'empêchera pas d'officialiser le record. Par contre il ne faut pas mettre pied à terre.
J'embarque avec moi un tracker GPS du WSSRC (NDLR : organisme des records à la voile) pour tenter de battre ce record, comme l'avait fait le skipper chinois Guo Chuan sur le trimaran Qingdao China en septembre 2015.
L'aventure en générale s'est énormément perdue dans la voile. On ne croise plus d'aventuriers, d'explorateurs. Aujourd'hui, on privilégie le confort de la compétition, de la croisière. J'espère que ce défi donnera l'envie à d'autres de le battre... si j'y arrive !.