Interview / Jean-Luc Van Den Heede dans la Golden Globe Race : "Je vais tout de même chercher à aller le plus vite possible"

Jean-Luc Van Den Heede sur Matmut

À 71 ans, le navigateur prof de math Jean-Luc Van Den Heede se remet dans la course. Il s'est inscrit pour participer au Golden Globe Race. Ce tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance veut être la "réplique" de la course qui s'est déroulée il y a 50 ans. Départ le 16 juin 2018 de Falmouth en Angleterre.

Jean-Luc Van Den Heede est connu pour ses 5 tours du monde en solitaire dont le plus dur, considéré comme l'Everest de la voile, le tour du monde d'est en ouest contre les vents dominants. Un record réalisé en 122 jours en 2004 et qui reste toujours imbattu aujourd'hui. En juin 2018, le marin reprend la barre pour participer à une course atypique : le Golden Globe Race.

Vous avez déjà 5 tours du monde à votre actif, pourquoi vouloir participer au Golden Globe Race ?

En 1968, j'avais 23 ans. À l'époque, j'ai suivi la course. Avec les abandons successifs et la victoire de Sir Robin Knox-Johnston. J'ai aussi vu l'incroyable odyssée de Bernard Moitessier. Même si les moyens de communication n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui, il avait tout de même fait la couverture de Paris Match ! En 1969, j'étais trop jeune pour participer, je ne voulais pas attendre d'être trop vieux pour rater aussi cette nouvelle édition.

Pourquoi choisir de partir en course ?

Je suis un coureur. Si je me suis inscrit à la Golden Globe Race, c'est avant tout pour concourir. Je ne suis pas un aventurier. Je trouve l'idée géniale de se remettre dans les conditions de course de l'époque, avec les moyens de l'époque. À part les équipements de sécurité et les vêtements plus efficaces que le ciré et la vareuse, nous serons dans les mêmes configurations que les participants de 1969 : pas de communication, bateaux lents… Mais je vais tout de même chercher à aller le plus vite possible.

Jean-Luc Van Den Heede
Jean-Luc Van Den Heede

Pourquoi avoir choisi un Rulstler 36 pour partir ?

Le règlement de la course nous laisse le choix entre une vingtaine de voiliers de série (voir le sujet avec la liste des bateaux acceptés). J'ai pris cette liste et j'ai regardé les caractéristiques de chacun pour essayer de déceler le plus rapide. Je me suis arrêté sur le Rustler 36. J'ai l'impression que c'est un des moins lents ! En plus, je ne voulais pas un bateau trop vieux. Le polyester finit par vieillir et je voulais partir dans les mers du Sud avec un bateau en qui j'ai confiance. Le mien date de 1990.

Quelles modifications apportez-vous sur le bateau ?

On n'a pas le droit de modifier le bateau. Il doit rester dans sa configuration d'origine avec les aménagements intérieurs. Pour ma part, j'installe une cloison étanche au niveau de la cabine avant et sans doute une seconde dans le carré. J'ai aussi supprimé le pont en teck et j'ai surtout changé tout le gréement pour partir sur du neuf. Sinon le bateau ne change pas. On retrouve notamment les deux poteaux en bois massif tournés à l'entrée du carré au pied de la descente.

Rustler 36
Rustler 36

N'est-ce pas dangereux de se lancer dans les mers du Sud avec ces bateaux ?

Concernant la sécurité, l'organisation est assez pointilleuse. Elle ne se contente pas de demander de savoir gréer un gréement de fortune. Elle nous demande de le réaliser et d'effecteur un parcours avec. C'est ce que j'ai fait, profitant de mon changement de mât. J'ai gréé le tangon en guise de mat et installé 2 voiles. De la même façon, il nous est demandé de savoir naviguer sans safran. J'ai fait un parcours avec la barre bloquée pour valider ce fonctionnement. Mais vu que la barre est tellement dure sur le Rustler, j'arrive à naviguer avec juste la pelle de mon régulateur d'allure. En comparaison, les courses comme le Vendée Globe vérifient la sécurité, mais ne demandent jamais des essais en mer avant le départ.

Jean-Luc Van Den Heede
Jean-Luc Van Den Heede

Combien de temps comptez-vous rester en mer ?

C'est une aventure que nous allons découvrir. Nous partons tous un peu dans l'inconnu. Le plus long temps passé seul en mer était 122 jours. Cette fois, on pourrait en mettre 300… Nous allons nous retrouver dans des situations que l'on ne connaît plus aujourd'hui. Comment assurer sa position dans le Sud quand le soleil ne se montre pas. Mon régulateur d'allure suit le vent. Si le vent tourne pendant que je dors, comment entretenir mon estime ? Nous n'avons pas d'alarme de changement de cap, pas d'anémomètre électronique, pas de GPS. Même l'appareil photo et la caméra seront argentiques, avec des pellicules. Cela va aussi nous obliger à ne pas déclencher à tout bout de champ.

Jean-Luc Van Den Heede
Jean-Luc Van Den Heede

Le règlement impose des points de passage, pourquoi ?

Pour suivre à peu près la même route que Sir Robin Knox-Johnston, le règlement nous interdit de descendre trop Sud. Nous ne devons pas dépasser 45° Sud dans l'Océan Indien et 48° Sud dans le Pacifique. En plus, nous avons des points de passage près de la terre pour pouvoir déposer nos pellicules photo et vidéo. Nous n'allons pas utiliser un lance-pierre comme Moitessier, mais sans faire escale, nous allons délivrer nos images.

Et pour la nourriture, qu'avez-vous prévu ?

Vu que je n'ai pas de dessalinateur à bord (c'est interdit par le règlement pour rester dans la même situation que les voiliers de l'époque), j'emporte des plats cuisinés. J'ai prévu 8 mois de nourriture. Robin avait mis 10 mois… Pour l'eau douce, ma grand-voile va être équipée d'une rigole pour récupérer l'eau de pluie. J'espère que ça va suffire pour remplir mes réservoirs.

Vous gardez tout de même un lien avec la terre pendant la course ?

Le seul lien sera une petite balise sur laquelle il est possible d'envoyer des messages de 100 caractères, un genre de tweet. Mais comme cette balise n'a pas de clavier, il faut les écrire en faisant défiler les lettres. C'est assez fastidieux, mais on devrait avoir le temps pour cela ! Le règlement nous impose d'ailleurs des panneaux solaires pour alimenter ces balises en électricité. Pour la production électrique, j'ajoute un hydrogénérateur. Sinon, nous aurons à bord un téléphone Iridium par satellite avec la seule possibilité de joindre le comité de course. Nous devrions avoir un contact par semaine pour donner des nouvelles et alimenter le site de la course. J'ai aussi à bord une BLU (poste de radio onde courte) pour tenter de joindre des stations terrestres. Mais ce n'est pas aussi fonctionnel ni aussi clair que le téléphone !

Jean-Luc Van Den Heede
Jean-Luc Van Den Heede

Votre bateau s'appelle Matmut, c'est votre sponsor ?

Oui dans le règlement, nous avons le droit aux sponsors, mais par contre la coque doit être monocouleur. Les lettres pour écrire le nom du bateau ne doivent pas dépasser 15 cm. Seul 2 m2 sur la grand-voile et l'ensemble du spi sont libres de toutes inscriptions. Le nom de baptême du bateau est Mojito. C'est le nom que lui a donné son premier propriétaire et il l'a gardé depuis l'origine.

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Rustler 36 La fiche technique
10.77 mLongueur hors-tout
3.35 mLargeur - Bau
7 623 kgDéplacement lège
Voir la fiche technique du Rustler 36

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Jean-jacques Mir
Jean-jacques Mir
est ce que à l'époque la VHF existait déjà ...??
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