Naviguer en Patagonie n'est pas une entreprise courante, surtout sur un catamaran de croisière de 38 pieds en polyester imaginé à l'origine pour le charter sous le soleil. Voici le récit technique, sans fard, d'un voyage entre Mar del Plata (Argentine) et Valdivia (Chili) via les canaux de Terre de Feu.

Adapter un Fountaine Pajot Athéna 38 pour une navigation extrême
Un Fountaine Pajot Athéna 38 de 2004 n'est pas conçu pour latitudes extrêmes. Avant de se lancer dans l'aventure, plusieurs modifications essentielles ont été réalisées à bord : installation d'une éolienne, remplacement des haubans, ajout d'un petit chauffage au kérosène et révision complète des deux moteurs. La chaîne d'ancre a été changée (50 m en 10 mm) et une ancre brésilienne type Rocna de 43 kg a été installée.

Le bateau dispose d'un faible tirant d'eau et de deux moteurs, un avantage en cas d'avaries ou de prises d'algues dans les hélices. Mais le chauffage de l'habitacle reste son point faible, la lutte contre l'humidité permanente sur la façade chilienne sera difficile. Côté navigation, la surface exposée au vent, notamment avec le bimini et les panneaux solaires, restera source d'inquiétude au mouillage.

Naviguer autour de l'Amérique du Sud, des formalités strictes et des conditions de navigation complexes. L'entrée en Argentine s'effectue à Mar del Plata avec ses formalités administratives complexes : douanes, santé, immigration, préfecture. Des contrôles de sécurité du bateau sont aussi réalisés (radeau, extincteurs, VHF, Iridium…).

La navigation jusqu'à Ushuaia a duré 43 jours avec de nombreuses escales (Camarones, San Julian, Ile des Etats…). Certaines ont été choisies, d'autres imposées par la météo pour laisser passer un coup de vent. Les dépressions de secteur ouest et sud-ouest imposent des stratégies météo fines et de nombreux mouillages d'attente.

Traverser les canaux de Patagonie entre Brésil et Chili.
L'usage du livre "Patagonia & Tierra del Fuego Nautical Guide", une véritable bible incontournable, s'avère indispensable pour identifier les caletas et valider les amarrages aux rochers. Souvent, le catamaran est amarré avec de 2 à 5 lignes à terre selon l'exposition et les prévisions.

Cette navigation dans les canaux, notamment Beagle avec les glaciers qui viennent jusqu'à la mer restera parmi les souvenirs inoubliables. La solitude extrême est aussi à mettre sur le plan du plaisir de naviguer dans des contrées vierges (ou presque).

Puis la remontée le long du Chili avec ses nombreuses iles se fera doucement, toujours avec le vent dans le nez. L'Armada chilienne impose des itinéraires dans cette région, demande des positions quotidiennes et contrôle les départs. Stéphane utilise pour cela un iridium GO, ne voulant pas encore passer à Starlink. La remontée de 1670 milles le long du Chili se fait presque entièrement au moteur, face au vent. La progression se fait toujours de jour, avec mouillages dans les caletas la nuit.

La vigilance est constante face aux courants (jusqu'à 8 nœuds relevés au nord de Chiloé) et aux sautes de vent. Les escales ravitaillement sont rares, mais suffisantes (Puerto Williams, Eden, Natales, Aguirre).

Un choix de route audacieux, mais une alternative au canal de Panama
Cet itinéraire est engageant, mais économique et hors des circuits classiques. Le choix de la Patagonie s'est imposé comme alternative au canal de Panama dont le tarif (3000 euros en 2024) devient dissuasif. Mais si moins de dix voiliers par an suivent cette route au sud de l'Amérique ce n'est pas par hasard vu les conditions rencontrées. Sur un catamaran de 11,50 mètres comme l'Athena 38, ce type de navigation reste extrêmement rare. Les équipages doivent être autonomes, aguerris, prêts à gérer l'humidité, le froid, et à entretenir leur bateau loin de tout.

Retour d'expérience : une navigation à sens unique ?
Faire la route est-ouest en Patagonie sur un catamaran reste un choix à ne pas banaliser. Stéphane ne recommanderait pas ce trajet dans ce sens. Il dit être heureux de l'avoir fait, mais ne recommencera plus à l'avenir. Il juge le parcours plus logique dans le sens Pacifique-Atlantique, avec une majorité de vent portant. Cette navigation "à l'envers" impose une bonne maîtrise météo, des compétences techniques solides et une coordination de l'équipage. Elle reste réservée aux marins aguerris, bien préparés.

Une navigation réfléchie
Naviguer en Patagonie sur un petit catamaran de croisière est une entreprise à part. Loin des mouillages trop fréquentés, cette route redonne une place à l'engagement marin. Pour les plaisanciers qui envisagent de quitter les sentiers battus, la Patagonie offre un terrain de navigation exigeant, mais inoubliable. Reste à savoir si les prochaines saisons verront plus de multicoques oser le défi.