Interview / Skippair et Sailcoop : promouvoir le slow tourisme et une navigation plus écologique en Méditerranée

Dans un contexte d'urgence climatique et de raréfaction des énergies fossiles, 0 propose une alternative de transport à la voile reliant la Côte d'Azur à la Corse, en substitution de l'avion et du ferry. Claire Blangez, fondatrice de Skippair et Yann Royer, responsable de Sailcoop, partagent leurs expériences et visions du slow tourisme, en mettant l'accent sur la réduction de l'empreinte écologique via ces croisières.

Dans un monde où les préoccupations environnementales deviennent de plus en plus pressantes, le secteur du tourisme nautique doit se réinventer. Les voyages traditionnels, souvent associés à une empreinte carbone élevée, sont remis en question. C'est le cas des déplacements vers la Corse, cette île emblématique de la Méditerranée, qui se heurtent aux limites des infrastructures : l'absence de ponts ou de tunnels rendant inéluctable l'utilisation de ferries ou d'avions, deux modes de transport fortement émetteurs de gaz à effet de serre.

Dans ce contexte, Skippair se positionne comme une alternative responsable en regroupant des offres de stages et de croisières en voilier proposées par des skippers indépendants, de petites compagnies ou des écoles de voile. Voyager en prenant son temps, sans aller trop loin et en respectant l'environnement… C'est le principe du slow tourisme. Pour Claire Blangez, fondatrice de Skippair, cette philosophie résonne comme un appel à redonner du sens à nos voyages en tirant parti des forces que nous offre la nature et de cette connexion intime que le plaisancier crée avec la mer. Ce point de vue trouve un écho chez Yann Royer, responsable de la société Sailcoop et l'un des partenaires phares de Skippair. Ensemble, ils nous parlent de cet autre rapport au temps, expérimenté à travers la pratique de la voile.

Pouvez-vous nous parler de l'origine de l'initiative ? Qu'est-ce qui vous a poussé à lancer ce projet de traversée de la Méditerranée en voilier en tant qu'alternative écologique, et pourquoi avoir choisi la Corse comme destination ?

Yann, Sailcoop : Ce projet est à la base une idée portée par Maxime de Rostolan, Arthur Le Vaillant et Maxime Blondeau, qui ont décidé de lancer une coopérative dont l'objet est de développer, partout où c'est possible, des alternatives de transport de passagers à la voile. Nous avons lancé la première ligne entre Saint-Raphaël et Calvi à l'été 2022 avec un premier voilier et deux skippers, et avons transporté 116 passagers en mode très expérimental. En 2023, puis 2024, nous avons transporté respectivement 1 100 et 1 500 passagers.
Nous avons choisi la ligne Corse - continent car plus de 5 millions de voyageurs se rendent en Corse chaque année et il nous semblait que la saisonnalité était plus longue que sur le bassin Atlantique.
C'est aussi une destination où nous avons pu compter sur des propriétaires qui nous ont confié leur voilier pour l'exploiter sur cette ligne régulière.

Claire, Skippair : De notre côté, nous avions déjà des demandes de nos clients pour cette traversée vers la Corse. Aussi avons-nous tenu à proposer les offres de Sailcoop dès que possible sur notre site. Nos principaux clients pour ce type de voyages ne sont pas forcément des navigateurs avertis, mais des vacanciers cherchant à voyager autrement, de façon agréable et conviviale, en respectant l'environnement.

© Sailcoop
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Comment décririez-vous l'expérience de voyager en voilier, comparée aux moyens de transport traditionnels comme l'avion ou le ferry ? Qu'est-ce qui, selon vous, fait la particularité de cette expérience ?

Claire, Skippair : Tout ! En fait, il est généralement possible de ''profiter'' d'un voyage en avion ou en ferry en imaginant le séjour qui vous attend sur place, mais il est assez rare de vraiment apprécier le voyage en lui-même. L'idée ici est de vivre pleinement le voyage en tant que tel, ce qui change tout.

Yann, Sailcoop : En effet, les vacances commencent dès le départ du voilier ! Notre voyage, en comparaison d'un trajet en ferry, dure 15 à 19 heures selon les conditions météorologiques. Au lieu de partir vers 20 heures en ferry pour arriver le lendemain matin, nous partons en voilier vers 14h depuis Saint-Raphaël ou Calvi pour arriver le lendemain matin de l'autre côté. Le trajet est donc un peu plus long, mais l'expérience est incomparable. Le petit groupe de 8 passagers (au lieu de 2 500 en ferry) permet de partager rapidement les manœuvres de navigation, ainsi que des moments de vie, très appréciés de nos clients.

© Sailcoop
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Pouvez-vous nous parler des moments forts que vous avez pu observer lors de ces traversées, que ce soit en termes de paysages ou de rencontres avec la faune marine ?

Yann, Sailcoop : La traversée Saint-Raphaël - Calvi passe par le sanctuaire Pelagos et, dans près de 90 % des cas, nos passagers ont la chance d'observer des mammifères marins, comme des dauphins, des globicéphales, ou encore des rorquals. L'arrivée en Corse, avec ses côtes escarpées et la vue sur la citadelle de Calvi, fait également partie des moments inoubliables !

© Sailcoop
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Comment gérez-vous les attentes des passagers qui peuvent être habitués à des voyages plus rapides et moins immersifs, notamment en cas d'imprévus comme une absence prolongée de vent ?

Claire, Skippair : Nous prévenons nos clients en amont que la traversée dure presque 24 heures et que le temps et la vitesse de navigation dépendront de la météo. Les clients intéressés par cette offre en sont très conscients. Je crois que c'est précisément ce qu'ils recherchent : dépendre des éléments naturels et non plus uniquement du moteur d'un avion ou d'un ferry.

Yann, Sailcoop : En cas de ''pétole'', comme on dit dans le langage maritime, nous utilisons le moteur. C'est quelque chose que nous annonçons dès le départ. Cette utilisation du moteur nous permet de rejoindre des zones avec un peu plus de vent. Le combiné voile et moteur permet également de diminuer globalement notre consommation de gasoil en créant du vent artificiellement.

© Sailcoop
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Quelle est leur réaction à la philosophie du slow tourisme ? Avez-vous remarqué un changement dans leur perception de l'empreinte carbone après l'expérience ?

Claire, Skippair : Dans un premier temps, il faut savoir que les personnes qui souhaitent effectuer ce type de voyage ont déjà une conscience assez forte de l'écologie et de leur empreinte carbone. Elles sont prêtes à voyager plus longtemps pour la réduire.

Yann, Sailcoop : Tout à fait, 90 % de nos passagers se rendent en train à Saint-Raphaël pour effectuer la traversée. Ce sont principalement des personnes très conscientes de leur empreinte carbone. En cas d'annulation pour cause de météo (trop venteuse), nous proposons un report en ferry, et beaucoup de passagers sont très déçus de devoir finalement emprunter ce moyen de transport.

© Sailcoop
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Avec un maximum de 8 passagers à bord, comment parvenez-vous à maintenir un équilibre entre confort et praticité ? Quelles sont les principales considérations prises en compte pour le confort des passagers sur un voilier de 50 pieds ?

Claire, Skippair : Nous inscrivons un maximum de 8 personnes pour que les clients sachent combien de passagers seront à bord. Il y a au minimum 2 voiliers à disposition, ce qui permet un plus grand nombre d'inscriptions pour ces voyages. Chacun de ces voiliers propose 4 cabines doubles disponibles pour les passagers garantissant à chacun un hébergement adapté.

Yann, Sailcoop : Effectivement, les voiliers sont des 50 pieds prévus pour transporter 8 passagers avec 2 skippers. Le nombre de couchages réglementaire est respecté (cabines doubles ou twin), et les skippers ont leur cabine partagée car ils se relaient durant leurs quarts de nuit. Nous prévoyons à bord un approvisionnement en repas à base de produits locaux et bio autant que possible. Ces voiliers de 50 pieds restent confortables même avec 10 personnes à bord. Nous adaptons aussi nos allures et notre route aux conditions météorologiques rencontrées pour que la navigation soit agréable. En général, nous annulons nos traversées à partir de 35 nœuds établis sur l'ensemble de la traversée car nous considérons qu'un équipage de novice ne sera pas très à l'aise ni ne passera un bon moment.

© Sailcoop
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Les traversées vers la Corse s'effectuent-elles aussi en saison hivernale ? Quels sont vos projets futurs ? Envisagez-vous d'ajouter de nouvelles destinations ?

Yann, Sailcoop : Malheureusement, nous arrêtons les traversées à la fin du mois d'octobre pour reprendre en avril. Nous souhaitons poursuivre notre développement sur les lignes de courtes distances et travaillons déjà sur le design de voiliers de plus grande capacité pour les liaisons de moyennes distances, comme cette traversée Côte d'Azur - Corse, afin de pouvoir emporter plus de passagers !

© Sailcoop
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Pensez-vous que ce type de transport maritime alternatif pourrait être démocratisé à plus grande échelle ? Quels pourraient être les obstacles potentiels à cette démocratisation ?

Yann, Sailcoop : Tout à fait. Nous avons de notre côté identifié 3 types de marché correspondant à 3 distances :

  • Courtes distances (Les Glénan, Groix, Porquerolles, Yeu…) : marché des navettes côtières.
  • Moyennes distances (Continent - Corse, Guadeloupe - Martinique) : marché des ferries ou des avions.
  • Longues distances (Transatlantiques principalement) : marché des avions et de quelques voiliers.

Nous avons lancé cette année la liaison Concarneau - Les Glénan avec une navette à voile de 80 passagers et avons transporté 8000 personnes. C'est donc une vraie réussite pour un lancement et une saison marquée par la météo pluvieuse en Bretagne Sud.

Nous lançons bientôt une ligne transatlantique en partenariat avec des compagnies de cargos à voile qui souhaitent nous déléguer une partie de leurs passagers.

Claire, Skippair : Nous aimerions proposer ce type de traversées alternatives dans de nombreuses destinations où il n'y a pas d'alternatives au ferry, en plus de la Corse à la Sardaigne (trajet déjà demandé par nos clients), de la Guadeloupe aux Saintes, de la Martinique vers Sainte-Lucie, ou même, pourquoi pas, entre les îles des Cyclades !

Nous sommes convaincus de la montée en puissance de ces traversées alternatives. La seule contrainte est qu'il faut qu'il y ait, dès la première année d'ouverture, un nombre d'inscrits assez grand pour assurer la pérennité du voyage.

© Sailcoop
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