Roundstone, au cœur du Connemara
Nous quittons le ponton du port de Rosaveal (sans grand intérêt) avec le courant montant et faisons cap sur Roundstone, un petit port niché au pied des montagnes du Connemara.
Pour une fois, pas de cap ou de pointe difficiles à doubler, nous slalomons entre rochers et îlots avec prudence : certaines zones ont la réputation de ne pas avoir été précisément cartographiées...
Par conséquent, pas de "rase-cailloux". Si notre voilier est un dériveur lesté, nous prenons large et évitons les raccourcis même à marée haute ...
Le paysage a changé : les îlots se juxtaposent dans une perspective menant au pied des montagnes au dos rond, accrochant les lumières chatoyantes du couchant.
Des plages d'un sable immaculé surmontées çà et là de maisons en ruines, témoignent de l'occupation de la moindre petite île où l'on devait vivre très simplement, voir rudement. De petits navires de pêche côtière aux couleurs acidulées s'aventurent dans les veines de courant.
Nous mouillons à quelques encablures de la jetée du petit port de Roundstone, le cadre est enchanteur et le lieu, hors du temps.
Le mouillage n'a pas très bonne réputation : tenue douteuse à cause de quelques caillasses mêlées à de la vase sablonneuse et de beaucoup d'algues, mais nous tentons tout de même ...
Un coup de vent plus tard, nous pourrons valider ce mouillage comme un abri par fort vent de nord.
Un brin touristique, mais restant authentique, le village s'est construit autour de la rue principale, le long du port qui échoue à marée basse. On y trouve des pubs, des cafés, un hôtel et un petit market à quelques mètres de l'enceinte du port.
À savoir : devant le market une petite pompe à essence où nous "bidonnons" une cinquantaine de litres de gasoil (une denrée qui va s'avérer être de plus en plus rare à mesure que nous progresserons vers le nord). On chemine à travers les champs de moutons afin d'atteindre les hauteurs du village qui offrent un panorama magnifique : îles, îlots et rochers ont été jetés çà et là formant un bassin de navigation complexe et insolite.
Un célèbre chanteur y a d'ailleurs une très jolie maison au toit de chaume, les pieds dans l'eau...
Nous sommes trois voiliers au mouillage : deux Français à bord d'un Pogo venus s'abriter d'un nouveau coup de vent et un couple d'Anglais avec lequel nous sympathisons et échangeons des informations sur la météo à venir, les ports où nous sommes allés et ces futures escales dont nous rêvons.
Après un apéro qui s'éternise après la nuit tombée, les sujets du Brexit, de la double nationalité (ils sont anglo-irlandais...) et de la politique européenne, fusent. Nous passerons un excellent moment avec ces personnes à la fois discrètes et ouvertes au monde, rêvant de navigations vers le Grand Nord ...
Clifden, la capitale du Connemara.
16h, nous quittons notre mouillage de Roundstone par un temps gris et avec encore un peu de courant à contre afin de passer la pointe de Slyne Head avec la marée montante. Le temps est maussade, le paysage se pare d'un camaïeu de gris et un crachin peu avenant s'installe.
Slyne Head est un cap composé de petits îlots s'étirant vers le large offrant plusieurs options de passages : du raccourci au ras de la côte, au grand tour par l'extérieur, dégagé de tout caillou.
Ce départ en fin de journée va nous faire arriver de nuit dans un mouillage inconnu et où règne un fort courant. Nous doublons ce cap où même sans vent, nous nous faisons gentiment, mais désagréablement secouer.
La brume se répand autour de nous et floute désormais, en un vague halo, les balises lumineuses s'allumant la nuit venue. Le crachin persiste et me voilà perchée à l'étrave en figure de proue coiffée d'une lampe frontale afin de débusquer et d'éviter un éventuel casier.
À mesure que nous progressons dans la ria menant à l'embouchure de la rivière de Clifden, la brume se dissipe et laisse place à un relief formant une masse noire se découpant sur un ciel à peine plus clair. En ayant du mal à évaluer correctement les distances, nous mouillons enfin par dix mètres de fond et attendrons le lendemain matin pour découvrir à quoi ressemble l'endroit où nous allons passer la nuit.
Au levé du jour nous nous retrouvons dans un cadre surprenant : plus loin du rivage que nous le pensions, au pied d'un château entouré de champs de moutons et à quelques encablures d'un petit ponton pour annexe du yacht-club local. Le courant fort complique la manœuvre d'amarrage au ponton des annexes du yacht-club.
Une jolie petite route longeant le cours d'eau et se terminant en cul-de-sac nous mène en contre bas de la ville. Là se trouve un quai en pierre le long duquel sont amarrés quelques bateaux et une zone asséchant totalement à marée basse. Nous aurions pu envisager de remonter en voilier jusque là, mais aurions été piégés avec les horaires de marée.
La capitale du Connemara est une petite ville très touristique et animée. Pubs, restaurants, boutiques et un grand market qui sera parfait pour un appoint de courses de frais. Demain nous appareillons pour une des îles de la Clew bay : Inishbofin.
Inishbofin, une île originale, de caractère et chargée d'histoire.
Nous quittons les petites et grandes rias du Connemara pour l'île la plus sud de Clew bay : Inishbofin.
Malgré de nombreuses recommandations, nous ne pourrons malheureusement pas visiter les deux autres îles, plus au nord, que sont Inishturk et Clare Island, chacune ayant pour réputation d'avoir son caractère propre et tout aussi sympathique. Douze milles plus tard, c'est pour moi beaucoup d'émotions que passer la balise d'entrée du port d'Inishbofin.
En 2017 j'ai acheté en Martinique et en copropriété l'ancien bateau courrier de l'île : Leenan Head.
Cet ancien harenguier des îles Shetlands construit dans un chantier de Banff en Écosse en 1906 avait été repris dans les années quarante par Paddy O'Halloran, marin issu d'une grande famille de l'île afin d'y devenir bateau courrier au départ du port de Cleggan.
Il terminera sa carrière en 1996 puis sera restauré par un charpentier de marine allemand qui le ramène alors à Paimpol. Avec le propriétaire suivant, il effectuera durant plus de 15 ans, des tours d'Atlantique entre la Norvège et le Brésil en passant par les Canaries, le cap Vert, les Antilles, Terre-Neuve ...
J'ai vécu 2 années à son bord en y fondant une école de voile traditionnelle associative, toujours en arpentant l'Atlantique Nord. Cette escale représente donc pour moi une sorte de pèlerinage.
Une fois la balise d'entrée du port franchi, nous sommes interpelés par les ruines d'un ancien fort bâti en protection des invasions espagnoles. L'île qui fut mystérieusement découverte par deux pêcheurs égarés dans la brume abrite aujourd'hui une population d'environ deux cents habitants vivant du tourisme, de l'agriculture et de la pêche.
Un nouveau quai plus proche de l'entrée de la zone de mouillage a pris la suite de l'ancien quai situé plus au fond. Ce dernier étant certes plus abrité, mais moins tolérant au niveau du tirant d'eau. Le nouveau quai permet donc aux ferries un accès sans dépendre de la marée.
On se sent tout de suite bien dans cette île à l'identité forte où l'on ressent rapidement l'attachement qu'ont les habitants pour leur île. Le petit magasin de souvenirs et le pub vous accueillent sur le quai. Deux petits food trucks sont aménagés dans un bus et une ancienne caravane. Au Community Center, nous avons pu prendre une douche chaude dans une vraie salle de bain. La femme qui y travaille avait navigué à bord de Leenan Head qu'elle empruntait, à l'époque, pour aller à l'école de Cleggan.
Nous repartons à contrecœur dès le lendemain non sans avoir arpenté l'île et profité de son ambiance, de ses paysages et de l'authenticité de ses habitants.