Interview / Jules Bonnier : questions sur le projet de ce skipper de Class40 gourmand de courses au large

Entre anecdotes et réflexions sur son parcours, Jules Bonnier, skipper à bord du Class40 Nestenn Entrepreneurs pour la Planète, nous livre dans la suite de cette interview sa vision personnelle et inspirante de la course au large.

Le retour de Jules Bonnier, 28 ans, sur la Transat Québec-Saint-Malo 2024 marque un nouveau chapitre dans sa carrière de course au large. Suite de notre rencontre sur les quais de la cité corsaire avec ce skipper déterminé, qui affirme chaque jour un peu plus son statut parmi les grands de la voile.

Lors de ta dernière participation à la Route du Rhum, une vidéo te montre chantant avec entrain, ce qui semble grandement te motiver ! Si tu devais choisir une chanson pour symboliser ton expérience de la Transat, laquelle serait-elle ?

Pour la Route du Rhum, c'était un contexte assez particulier. En général, j'écoute de tout, et certaines musiques sont vraiment stimulantes. Pour cette vidéo, c'est Nicolas Touzé qui a fait le montage. Il m'avait demandé de filmer tout et n'importe quoi, même les moments un peu bizarres après plusieurs jours passés seul en mer !

Avant le départ de la Route du Rhum, j'ai préparé mes playlists avec des podcasts et de la musique. J'ai découvert qu'Orelsan sortait la réédition de son dernier album, que j'ai écouté dès la première nuit en mer. Il y avait une chanson, "On a gagné", que j'ai trouvée géniale. Je l'ai écoutée tout au long de la traversée. Je me souviens d'une nuit où, après avoir enroulé la Guadeloupe, j'étais resté dans la pétole, incapable de repartir. Quand le vent a enfin repris derrière Basse-terre, j'étais à quelques virements de la ligne d'arrivée. J'écoutais cette chanson à fond, et les paroles "On a gagné" semblaient parfaitement correspondre à mon sentiment d'avoir atteint mon objectif. C'était vraiment cool.

Pour la petite anecdote, une semaine après, en arrivant à Paris, un ami d'enfance m'a proposé de rester pour aller au concert d'Orelsan. C'était amusant d'arriver directement au concert d'Orelsan après la course ! Depuis, j'écoute encore parfois cette musique avec un sourire.

As-tu un grigri ou porte-bonheur que tu emportes avec toi lors de tes courses au large ?

Je suis quand même assez superstitieux. Au départ de la Route du Rhum, on m'avait donné plusieurs petits gris-gris, que j'étais content de recevoir. Je les avais gardés à bord pendant un temps, mais j'ai fini par tout enlever car il faut quand même faire de la place... C'étaient des cadeaux de la famille et des amis.

Les amis sont un soutien important pour Jules Bonnier. Certains d'entre eux étaient venus l'accueillir sur les pontons de Pointe-à-Pitre à l'arrivée de sa première transat en solitaire
Les amis sont un soutien important pour Jules Bonnier. Certains d'entre eux étaient venus l'accueillir sur les pontons de Pointe-à-Pitre à l'arrivée de sa première transat en solitaire

En règle générale, je n'ai pas vraiment de porte-bonheur particulier. J'essaie plutôt d'éliminer ces éléments superstitieux de mon environnement par peur qu'ils produisent l'effet inverse ! Et puis le bateau est quand même fiable, ça me rassure.

Quels sont les moments les plus difficiles et les plus gratifiants que tu as vécus en mer ?

En course au large, surtout en solitaire où le manque de sommeil amplifie les émotions, même les petites victoires peuvent sembler énormes. À l'inverse, des réalisations majeures peuvent sembler normales. Il est donc parfois difficile de distinguer ce qui est vraiment le plus marquant.

Un exemple concret est après la Route du Rhum, début 2023. On a participé à une course-retour appelée le Défi Atlantique, partant de Pointe-à-Pitre, allant à Horta aux Açores, puis revenant à La Rochelle. C'était en équipage avec Robin Follin et Thibault Le Carpentier.

Le 1er avril, après une heure de course, on a cassé un élément du mât, ce qui a failli nous faire dématter. On est rentrés au port et on a mis 5 jours à récupérer une pièce venant de Roumanie pour le réparer.

On a donc repris la course avec du retard ; hors course pour la 1ère étape, mais avec l'objectif de rejoindre Horta le plus vite possible et de bien performer sur la 2e étape. On est arrivés à Horta à peine 36 heures avant le départ de la 2e étape. On a pris le temps de manger, de prendre une douche et de dormir, puis on a repris la course. Après 5 ou 6 jours, on a terminé 2e de la seconde étape à La Rochelle. Finir 2e après tout ce qu'on avait traversé était une victoire en soi, même si on était derniers au classement général de la course à cause du retard accumulé. En arrivant à La Rochelle sous un superbe soleil avec du vent qui permettait au bateau de bien avancer, le sentiment de réussite était immense ! Ce moment reste l'un des plus beaux souvenirs de ces 3 dernières années, une véritable récompense pour tous les efforts fournis.

En tant que skipper d'Entrepreneurs pour la Planète, comment intègres-tu tes préoccupations environnementales dans ta carrière ? As-tu des initiatives ou des projets spécifiques liés à la protection des océans ?

On essaie d'adopter des pratiques écoresponsables à notre niveau. Par exemple, on remet toutes les voiles abîmées ou inutilisées à des magasins spécialisés dans le recyclage et l'upcycling. On a aussi choisi de conserver un bateau d'ancienne génération plutôt que d'en construire un neuf, pour réduire notre impact environnemental. On utilise au maximum des énergies renouvelables, notamment en ayant développé un parc de panneaux solaires sur le bateau.

Pour des courses comme la Route du Rhum ou d'autres transats, on a consommé moins de 50 litres de gasoil pour plus de 15 jours en mer, le reste étant couvert par l'énergie solaire. On essaie aussi d'intégrer des matériaux plus écologiques quand c'est possible, en utilisant des résines biosourcées et des fibres plus respectueuses de l'environnement pour les pièces non structurelles du bateau.

Même si transformer totalement notre approche est un défi, on croit que les petites actions cumulées ont un impact. Concernant Entrepreneurs pour la Planète, l'association soutient des projets liés à la protection de l'environnement. On utilise notre visibilité pour promouvoir l'association et sensibiliser les personnes que l'on rencontre dans chaque port. L'idée est de susciter l'intérêt des entrepreneurs et les encourager à prendre contact avec l'association. On soutient également l'association en lui reversant une partie de notre budget chaque année. On est fiers de cette collaboration et de notre contribution à sa mission, et on continue à faire des efforts, même à petite échelle, pour avancer dans la bonne direction.

© Olivier Blanchet
© Olivier Blanchet

As-tu des rêves ou des objectifs spécifiques que tu aimerais atteindre dans le monde de la course au large dans les prochaines années ?

Dans l'idéal, j'aimerais bien faire toutes les courses qui existent ! Ce n'est pas facile, mais j'aimerais beaucoup refaire la Route du Rhum en 2026. C'est le premier gros objectif. Essayer de monter en performance en Class40 dans un premier temps. Puis, pourquoi pas, dans d'autres catégories. J'adorerais faire du multicoque un jour, ou de l'IMOCA aussi. J'aimerais aussi faire un tour du monde, que ce soit en solitaire ou en équipage.

Donc non, clairement, je suis assez heureux en mer et je suis content de vivre ces projets-là. N'importe quelle opportunité qui viendrait pointer le bout de son nez, j'irais complètement ! Typiquement, j'ai fait très peu de Figaro. La course solitaire du Figaro, pour moi, c'est une course extraordinaire à laquelle j'aimerais participer un jour. Je pense que c'est très difficile d'y aller comme ça en one-shot car il y a toutes les chances de faire un très mauvais résultat. Mais si j'ai un jour l'opportunité, c'est aussi une course que j'aimerais bien faire. Clairement, n'importe quelle course sur n'importe quel type de support m'intéresse ! Donc là-dessus, je suis assez ouvert à la navigation.

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