Interview / Course au large : Quand l'océan devient un terrain de jeux avec le skipper Jules Bonnier

Récemment revenu de la Transat Québec-Saint-Malo 2024, Jules Bonnier, 28 ans, continue d'affirmer sa place au milieu des grands de la course au large à bord de son Class40 Nestenn Entrepreneurs pour la Planète. Nous l'avons retrouvé sur les quais de Saint-Malo pour mieux comprendre cette passion pour la navigation qui le pousse à aller toujours plus loin.

À 28 ans, Jules Bonnier s'affirme comme une figure montante de la course au large avec un palmarès déjà remarquable. Sa 17e place au Route du Rhum 2022, parmi 55 skippers, a marqué un tournant dans sa carrière, confirmant qu'il fallait désormais compter sur lui dans ce milieu exigeant. Avec des participations notables telles que la Jacques Vabre 2023 et un récent retour de la Transat Québec-Saint-Malo 2024, une course qu'il avait déjà courue en 2016 Jules Bonnier continue de tracer son chemin avec ambition et détermination à bord de son Class40 Nestenn Entrepreneurs pour la Planète. Nous l'avons rencontré sur les quais de la cité corsaire pour mieux comprendre cette détermination qui le pousse à aller toujours plus loin.

Comment s'est déroulée cette édition 2024 de la Transat Québec Saint-Malo pour ton équipage et toi ? Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées depuis le départ à Québec ?

Pour nous, l'édition 2024 de la Transat Québec Saint-Malo s'est vraiment bien déroulée avec le Class40 Nestenn Entrepreneur pour la Planète. J'étais accompagné de Yaël Poupon et de Julie Simon ; on avait choisi de partir à trois, car cela nous semblait plus adapté à la configuration du bateau, notamment au niveau du cockpit. En 2016, j'avais tenté l'expérience à cinq et c'était trop, donc cette fois-ci, on a opté pour une équipe réduite.

Départ de Québec
Départ de Québec

Même si on a terminé 16e au classement général, on est ravis d'avoir fini premiers en catégorie Sharp Class40 qui regroupe les modèles d'ancienne génération avec une étrave pointue, contrairement aux Class40 Scow. Ces différences de géométrie influencent nos performances, notamment aux allures de travers et par vent fort. Malgré les nombreuses avaries et abandons, on est fiers d'avoir terminé la course sans renoncer.

Arrivée au ponton à Saint-Malo
Arrivée au ponton à Saint-Malo

Naviguer dans le Saint-Laurent est particulièrement complexe. Ayant déjà participé en 2016, je savais un peu à quoi m'attendre. Les forts courants au début du fleuve, la présence d'animaux, d'objets flottants, et les conditions météorologiques très changeantes rendent la navigation difficile. Les prévisions météo ne correspondent pas toujours à la réalité, ce qui crée des situations imprévisibles où les bateaux s'arrêtent et repartent sans cesse. Il faut rester extrêmement vigilant, car les écarts de vitesse peuvent être significatifs entre les bateaux à proximité. Tu peux avancer très vite, à 7 ou 8 nœuds, alors qu'un bateau situé à 200 mètres sous ton vent est à l'arrêt !

 Lever de jour dans le Saint-Laurent
Lever de jour dans le Saint-Laurent

Par contre, c'était un super début de course en raison de l'intensité constante et du contact permanent avec les autres concurrents. En quittant le Saint-Laurent, on est restés groupés, presque à vue les uns des autres, pendant environ 4 jours jusqu'à Saint-Pierre-et-Miquelon et le banc de Terre-Neuve. Ça a rendu la régate très intéressante, car compte tenu de la faible force du vent, on naviguait les uns à côté des autres.

Comment ça s'est fait le choix de l'équipage ?

Avec Julie, on ne se connaissait pas vraiment. Elle m'avait envoyé un message en début d'année pour me dire qu'elle souhaitait naviguer en Class40 cette année et qu'elle était disponible. Du coup, on est restés en contact. On est partis début mai ensemble pour le convoyage des Antilles jusqu'aux États-Unis. Ensuite, on a participé à l'Atlantic Cup en double qui fait Charleston, Newport et Portland.

Atlantic Cup avec Julie Simon
Atlantic Cup avec Julie Simon

À partir de là, Yaël nous a rejoints. J'avais navigué avec lui en début d'année lors du Spi Ouest-France en Figaro, sur le bateau de notre ami commun Victor Lepape. Ça s'est très bien passé entre nous. Rapidement, je lui ai demandé s'il voulait faire la Québec Saint-Malo. Et voilà, c'était parti.

Spi Ouest-France avec Yaël Poupon
Spi Ouest-France avec Yaël Poupon
Yaël Poupon à bord de Nestenn Entrepreneurs pour la Planète pendant la Transat Québec Saint-Malo 2024
Yaël Poupon à bord de Nestenn Entrepreneurs pour la Planète pendant la Transat Québec Saint-Malo 2024

Participer à cette Transat Québec Saint-Malo pour la deuxième fois, en quoi est-ce différent de ta première expérience en 2016 ? 

Arriver à Saint-Pierre-et-Miquelon, c'était un moment marquant. On était tous les trois sur le pont en train de discuter et de régler le bateau. Soudain, Julie a dit qu'il y avait une baleine devant nous. On est devenus un peu plus vigilants et la baleine est passée juste à côté du bateau, montrant sa queue. C'était vraiment impressionnant. Juste après Saint-Pierre-et-Miquelon, en longeant les bancs de Terre-Neuve, il faisait plutôt clair malgré le brouillard fréquent dans cette zone. On a aperçu un petit village sur la côte sud de Terre-Neuve. Pendant deux heures, je me suis dit que c'était incroyable de voir des gens vivre là-bas, dans un environnement si hostile. C'est un peu le bout du monde.

Terre-Neuve en vue
Terre-Neuve en vue
Des oiseaux s'invitent sur le bateau aux abords de Terre-Neuve
Des oiseaux s'invitent sur le bateau aux abords de Terre-Neuve

Les bons moments, il y en a eu beaucoup. On a attrapé du vent fort pendant plusieurs jours, ce qui nous a permis de faire de grosses journées sous spi à une vitesse folle. C'était toujours un plaisir !

Nestenn Entrepreneurs pour la Planète sous spi
Nestenn Entrepreneurs pour la Planète sous spi

À l'inverse, vers la fin de la course, on avait une bonne position, probablement aux portes du top 10 avant d'avoir 3 jours de vent de travers où les autres bateaux allaient plus vite que nous. Là, on a perdu plusieurs places... On le savait avant la course, donc ce n'était pas une surprise, mais c'était très frustrant. On avait réussi à obtenir une position intéressante, et se faire doubler par tout le monde n'est jamais agréable.

Nestenn Entrepreneurs pour la Planète sous genaker
Nestenn Entrepreneurs pour la Planète sous genaker

Globalement, c'était une expérience géniale. Arriver à la maison, à Saint-Malo, était particulièrement agréable, même si je souhaitais qu'on arrive un vendredi soir, à marée haute avec du soleil. Finalement, on est arrivés un lundi soir, à marée basse avec de la pluie !

Arrivée à Saint-Malo sous les grains
Arrivée à Saint-Malo sous les grains

Peux-tu nous raconter ton parcours de vie ? Qu'est-ce qui t'a poussé à te lancer dans le milieu de la voile et de la course au large ?

Je suis né et j'ai grandi à Saint-Malo. J'ai commencé l'Optimist vers 7 ans.

 

Forcément, avec la Route du Rhum qui démarre de ton port tous les 4 ans, ça fait rêver. J'ai toujours été passionné par la course au large, C'est un milieu qui m'intéressait déjà énormément. J'ai continué à faire de la voile, d'abord en voile légère puis en voile habitable. Après le bac, j'ai décidé de rejoindre une école spécialisée dans la navigation, l'INB à Concarneau. Du coup, de là, j'ai fait 2 ans d'alternance chez Be Racing, basé à Saint-Malo. J'ai continué à m'intéresser à ces métiers, à naviguer encore plus, et à me professionnaliser. Petit à petit, j'avais ce rêve de monter un projet de course au large. Mais entre le rêve et la réalité, il y a du boulot. J'ai travaillé dur pendant un certain temps pour monter un projet cohérent. Puis, j'ai eu la chance de croiser le chemin du groupe Nestenn et de tous les autres partenaires qui nous accompagnent. C'est comme ça que je suis devenu vraiment professionnel et que j'ai réussi à avoir mon propre projet.

Arrivée de la Route du Rhum 2022 © Magalie Morin
Arrivée de la Route du Rhum 2022 © Magalie Morin

Tu navigues sur un Class40, le même bateau avec lequel tu as fait la Route du Rhum en 2022. As-tu apporté des modifications ou améliorations depuis cette course ? Quels sont ses points forts et comment maximises-tu ses performances ?

On n'a pas fait de grosses modifications. Disons que si on voulait apporter une amélioration majeure demain, il faudrait découper la moitié du bateau et tout refaire ! Mais on a fait de petites optimisations. On a effectué tout un tas d'améliorations qui rendent le bateau plus agréable à vivre et facilitent les manœuvres. C'est surtout un bateau qui est aujourd'hui très fiable. On vient de parcourir encore 8000 miles sans rencontrer de gros problèmes mis à part quelques incidents mineurs. Toutes les courses que nous avons commencées depuis que nous avons le bateau en 2022, nous les avons toujours terminées. C'est une petite fierté de pouvoir dire que nous n'avons jamais abandonné une seule course en 3 ans. On pense que le bateau est proche de son optimum.

Arrivée de la Route du Rhum 202 © Magalie Morin
Arrivée de la Route du Rhum 202 © Magalie Morin
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