Aux fêtes maritimes de Brest 2024, nous avons rencontré Mathieu Goraguer et Iris Cordeau, les propriétaires de Basile, une goélette de 14,5 mètres dessinée par Michel Joubert, reconnue bateau d'intérêt patrimonial. Avant de connaître les étapes de la remise en état ingénieuse de ce bateau, qui a duré près de 7 années, replongeons dans le passé singulier de Basile du temps où marins et montagnards se sont unis pour marier le piolet et la voile dans les eaux de l'Atlantique Sud. Une aventure qui dura près de 10 mois.
Damien, une aventure inspirante
Au début des années 70, deux jeunes audacieux, Jérôme Poncet et Gérard Janichon, se lancent dans une aventure hors du commun. À bord d'un voilier en bois moulé de 10 mètres, ils quittent La Rochelle pour un périple de cinq ans qui les mène au Spitzberg, à remonter l'Amazone, à franchir le Cap Horn et à côtoyer les îles australes et l'Antarctique. Leur périple lors de ce tour du monde des extrêmes, de 80° nord à 68° sud, est raconté par Gérard Janichon dans le livre "Damien autour du monde".
Son amour indéfectible pour la mer ne s'arrête pas là et il entreprend la construction d'un voilier de deuxième génération, plus robuste et plus grand, au chantier Méta Naval à Tarare. Ce "Damien II", conçu par l'architecte Michel Joubert, devient son nouveau compagnon d'aventure. Avec sa femme Sally, Poncet met le cap sur l'Antarctique avant de s'installer aux Malouines.
Le projet "Mer & Montagne"
Inspirés par cet exploit, Bertrand et Loïc Dubois, deux malouins, se rendent au chantier Méta en 1974, lors de la construction du premier Damien II. Ils y rencontrent Jérôme Poncet et Michel Joubert pour présenter leur projet "Mer & Montagne". Ils réussissent à négocier la construction de la coque de leur futur voilier, "Basile". Au total, seuls une trentaine de ces bateaux seront construits et prouveront leur valeur sur les mers et océans du globe. Achevé en 1976, le bateau est transporté en convoi exceptionnel à Saint-Malo.
À leur arrivée à Saint-Malo, une équipe mixte de marins et de montagnards se forme. Ils se relaient sans relâche pour aménager Basile tout en sollicitant des entreprises pour obtenir l'équipement nécessaire. Grâce à ces démarches, ils reçoivent des mâts Nirvana, tout le gréement dormant, l'accastillage indispensable et un moteur Perkins. Leur objectif est ambitieux : atteindre la Géorgie du Sud pour escalader le Mont Paget, ce qui marquerait la première expédition combinant mer et montagne.
En route vers l'Atlantique Sud
Le 16 septembre 1979, la goélette d'acier de 14,5 mètres, spécialement conçue pour les mers glaciaires, quitte Saint-Malo, empruntant ainsi les routes légendaires de Scott, Amundsen, Charcot et Shackleton, figures emblématiques de la conquête des pôles. 8 marins et montagnards s'unissent pour combiner piolet et voile lors d'une aventure qui durera près de dix mois, dont trois consacrés à l'exploration autour de l'Antarctique, depuis la péninsule de Palmer (Terre de Graham) jusqu'à l'île de Géorgie du Sud.
L'équipage se compose d'hommes qui se connaissent depuis une dizaine d'années : Alain Caradec, marin de Bénodet ; Olivier Carré, ingénieur et plongeur ; Loïc Dubois, moniteur de voile à Saint-Malo ; Bertrand Dubois, marin et guide de haute montagne, organisateur de l'expédition ; Philippe Cardis, guide de Chamonix ; Denis Ducros, également guide de Chamonix et spécialiste de la prise de vue en altitude ; Firmin Mollard, guide de haute montagne et moniteur de ski ; et Jean-Luc Guyonneau, architecte et alpiniste.
L'équipe reçoit le matériel de montage en don, et le financement global du voyage provient de la création d'une école de croisière à Saint-Malo. Lorsque Basile quitte Saint-Malo ; quatre touristes sont à bord, pour faire route vers Rio. Les quatre autres membres de l'équipage, restés en France pour travailler, les rejoignent en novembre.
Capturer l'inconnu
Cette expédition mer-montagne, composée de quatre marins et quatre montagnards, permet la publication d'un livre intitulé "Les montagnes de l'océan" et d'un film "Où vas-tu Basile", commandité par TF1 et réalisé à partir des images prises par Denis Ducros, l'un des membres de l'équipage de Basile. Grâce à ce film, nous pouvons en savoir plus sur leur expérience. Ducros part avec 4 caméras et 17 km de pellicules négatives en couleur, 7 appareils photos, des boîtiers étanches, et de quoi réaliser 20 000 photos. À bord, il n'y a pas de médecin, mais 1m3 de médicaments est prévu ainsi qu'une assistance médicale par B.L.U avec trois médecins de Toulon.
Pour Denis Ducros, "C'est sans doute la première fois que des alpinistes font équipe avec des marins pour aller ensemble au bout du monde chercher un terrain d'aventure à deux pas du cercle polaire antarctique." Les marins doivent être extrêmement prudents, au sud du 50e parallèle, les glaces constituent un danger quasi permanent. Le premier janvier 1980, l'équipage recherche la Géorgie australe, qui perce de 3000 mètres la surface de l'océan.
Une fois à terre, l'équipage débarque tout le matériel afin d'entamer un raid en haute montagne : skis, tente, duvet, pitons, ravitaillement, etc.
Denis Ducros est sans appel : "Pour les montagnards, fini le mal de mer et la claustrophobie ; ici, c'est nous qui devons traîner notre maison sur de longues distances, tandis que Basile portait tout."
L'objectif de leur raid est clair : gravir 2 ou 3 sommets, franchir des cols pour explorer l'autre versant. Avec 15 kilos sur le dos et 150 derrière, les temps de trajet sont considérablement rallongés, aggravés par les caprices du temps. Parfois, ils doivent affronter plusieurs jours de campement sous le blizzard, avec une liaison radio interrompue. Sous la tente, il y a encore moins d'espace que sur le bateau : une réelle frustration pour ces montagnards qui n'attendent que de pouvoir gravir le Mont Paget, point culminant de la Géorgie du Sud. En l'absence des montagnards, les deux marins restés à bord en profitent pour entretenir le bateau, notamment en réparant les voiles.
Récupérer les alpinistes à un autre point GPS pouvait devenir risqué pour Basile et son équipage resté à bord, en raison des conditions météorologiques changeantes et des violents coups de vent fréquents dans cette zone de l'océan Atlantique. ''La côte ouest serait fatale à tout voilier pris dans une tempête en provenance du Cap Horn'' explique Denis Ducros.
Grâce à sa quille relevable, Basile peut s'échouer et permettre à tout l'équipage de débarquer et de profiter de la terre.
À travers le récit captivant et les images poignantes du film "Où vas-tu Basile ?", nous plongeons au cœur de cette expédition mer-montagne. Un projet audacieux qui a permis de documenter non seulement les défis techniques et humains rencontrés par l'équipage, mais aussi les moments d'entraide et de courage face aux conditions extrêmes des mers glaciaires et des sommets enneigés de la Géorgie du Sud. Basile, avec sa quille relevable et sa capacité à affronter les éléments les plus redoutables, incarne l'esprit de découverte et d'exploration qui anime les passionnés de la mer et de la montagne. Ce bateau chargé d'histoire continue d'inspirer de nouvelles générations à repousser les limites de l'aventure et de l'exploration nautique grâce à la longue rénovation entreprise par Mathieu Goraguer et Iris Cordeau pour le remettre à flot.
