Que représente la Longue Route pour vous ? Vous y avez déjà participé une fois, quelle expérience en retirez-vous ?
C'est avant tout l'amour de la voile. J'aime vraiment beaucoup naviguer. Là, on a l'occasion d'aller jusqu'au bout de son amour de la navigation. C'est un parcours très long. C'est l'occasion rêvée pour exprimer son goût pour la navigation. J'avais aussi envie de revoir l'océan austral. Si je repars, c'est beaucoup pour l'océan austral, ce milieu de l'atlantique sud que l'on traverse à l'aller et au retour, en passant par le sud de l'Afrique du Sud et le Cap Horn. Les conditions sont dures, mais il y a une espèce d'intensité, de force et d'énergie que l'on ne trouve nulle part ailleurs.
C'est à la fois une épreuve, quelque chose qui demande que l'on donne beaucoup et qu'on affronte souvent. C'est un univers qui ne promet rien, mais qui retourne beaucoup. Alors que dans la civilisation, beaucoup de choses promettent beaucoup, mais donnent peu. Tout le monde dit que l'on navigue dans des régions hostiles, mais non. C'est la nature. L'hostilité, on peut la trouver chez les hommes, mais pas dans la nature.
Dans cet univers indifférent, ça apporte beaucoup de choses. Mais c'est aussi pour ça que j'aime naviguer à la voile, à la voile pure. Quand j'étais petit, mon père me disait souvent que j'étais un puriste. Quand vous faites de la voile, vous avancez avec le vent, les vagues... Vous vous insérez dans un environnement dans lequel il faut acquérir une harmonie pour bien naviguer.
Dans la régate, la partie sociale n'est pas ma tasse de thé, mais ce que j'aime bien c'est que celui qui marche bien navigue bien. Souvent on y va un peu trop en force parce qu'on veut gagner et à ce moment-là ça ne m'intéresse plus. Ce que j'aime c'est d'être toujours en prise avec l'univers, la mer, le vent, le ciel et en harmonie.
C'est formidable de faire la Longue Route pour cela. Au début je n'étais pas sûr de vouloir y retourner. Mais je me suis surpris. À la suite de la première édition, le retour a été extrêmement difficile, sur le plan psychique et physique.
Suite à la première édition, je suis arrivé sous-alimenté, car je n'avais pas prévu assez et je n'avais pas mesuré à quel point ça allait être intense. J'avais calculé mes portions en fonction de mon expérience. Mais ce n'est pas la même chose de naviguer 50 jours et 200 jours.
Au retour, il faut se remettre d'un voyage comme ça. Ce n'est pas anodin. Il faut aussi retrouver la vie sociale. J'en avais parlé avec Eugène Riguidel, qui a fait un tour du monde en 2008. Il m'avait dit : "Tu verras au retour. Tu vas en baver."
Je ne suis pas le seul à vivre ça. C'est une expérience quand même limite. Vous pouvez en parler, mais pas tellement la transmettre. Ce que l'on a vécu au plus profond, c'est difficile de le partager. Même si j'étais entouré de plein de gens.
Avec le temps qui passe, je me suis aperçu que j'y repensais. "Si je repassais là, je ferais plus de sud." Et dans mes cahiers de journal de bord, je suis retombé sur ma liste de bricolage. J'ai écrit 8 cahiers. À la fin du 8e cahier, il y avait une rubrique "prochaine fois" que je remplissais. J'envisageais donc déjà de le refaire une prochaine fois.
Quand j'ai compris que j'y repensais, j'ai navigué sérieusement pour voir si j'en avais envie. L'été dernier (NDLR 2023), je suis parti naviguer 2 mois, avec du mauvais temps et des conditions assez difficiles pour voir si j'avais la forme physique et l'envie. Et oui !
J'ai 65 ans quand même. Je ne suis pas jeune, mais je me sens en forme. Par rapport à la première édition, il faut que je fasse attention. Je me suis beaucoup préparé physiquement.
Pourquoi faire ce tour du monde à travers cet évènement de la "Longue Route" ?
C'est un esprit de camaraderie, l'idée de partager une aventure avec d'autres personnes qui vont faire le même parcours. Dans la première édition comme l'actuelle, il y a des bateaux et des gens très différents. Naviguer tout seul ce n'est pas forcément naviguer sans les autres. C'est une aventure commune. C'est aussi intéressant de rencontrer des gens qui ont le même projet, de partager des idées, des expériences. Ils ont fait des choix par rapport à un problème auquel je me confronte.
Pour la première édition, on s'était rencontré un peu avant et après. C'est intéressant de rencontrer les gens qui font ce parcours, qui sont proches de moi puisque l'on a un peu le même projet. C'est aussi apprendre d'autrui, voir les bateaux, comment ils sont préparés, échanger les points de vue.
La question de la sécurité, ce n'est pas l'objectif. On nous a fortement incités à prendre une balise de suivi, un tracker. C'est bien pour les autres, de situer les bateaux les uns par rapport aux autres, mais aussi pour ceux qui restent à terre. S'il se trouve que ça sert aussi pour la sécurité, mais il ne faut pas vouloir ça d'abord pour la sécurité. Je me place en position de participant. Parmi les participants, certains vont faire du routage, mais pour moi c'est non. Pour moi ce serait me voler une part de ma liberté. En solitaire, on prend nos décisions.
Puisqu'il n'y a pas de notion de compétition, est-ce qu'il y a une recherche de performance ?
Ma femme me dit que je ne profite pas assez. Prendre son temps pour faire ce tour du monde c'est non. J'aime que le bateau marche au mieux. C'est presque comme si j'étais en course, mais avec un impératif de bonne navigation. Ce qui fait que je ne vais pas forcer. J'ai fait un bon temps en fonction des circonstances que j'ai rencontré en 2018.
Pour ma première Longue Route, j'ai mis 221 jours sur un Contessa 32. C'est une belle performance quand même. Les gens me demandent si je vais faire un meilleur temps. Je n'en sais rien et ce n'est pas le problème. Les conditions seront différentes. Ce qui compte c'est d'avoir bien fait marcher le bateau. J'ai horreur de naviguer sous-toilé. Je donne tout pour que le bateau avance. Je n'ai pas de moteurs et je n'ai pas de pilote électrique. Je navigue uniquement avec un régulateur d'allure. J'ai un problème avec les moteurs. Ça me fatigue d'avoir le moteur qui tourne, qui fait du bruit pour recharger le pilote. Puis si ça tombe en panne, je ne sais pas réparer.
De n'avoir que le régulateur fait que dans le petit temps, je suis beaucoup à la barre. Une main sur la barre et une sur l'écoute de voile. Il n'y a plus de gestion de sommeil. Le petit temps, c'est le plus épuisant. Il faut se battre pour aller plus vite que dans le gros temps.
Quelles sont vos occupations à bord ?
Je passe tout mon temps à faire marcher le bateau au mieux. Je n'ai pas besoin de m'occuper, mis à part mon plaisir de naviguer. La dernière fois j'avais pris un livre de 500 pages. J'étais prof de philo, donc j'ai beaucoup lu dans ma vie. Je fais aussi de la musique et j'adore, mais je n'aime pas le mélange des genres. Je n'ai pas envie d'avoir de musique sur le bateau. Avec ma radio, je peux choper une musique si je passe pas loin d'une cote, mais ne dure pas longtemps.
J'ai besoin d'être à l'écoute de mon bateau et si j'ai de la musique, ça me coupe. Quand j'avais l'occasion de lire, ce n'était pas plus de 10 min par jour. J'avais le sentiment d'un grand luxe par cette implication de la navigation. Il y a un des gars de la Longue Route qui prend 150 bouquins... Moi, j'ai toute la mer pour m'occuper.
Êtes-vous prêts à un mois du départ ?
Il y a encore des choses à faire, mais je suis largement dans les temps. Je me suis préparé au mieux et on n'est jamais complètement prêt. C'est comme tout, les épreuves sportives, les examens... C'est important de beaucoup bosser. J'y ai passé quasiment toutes mes journées, ça représente beaucoup d'heures. Et j'essaye d'être disponible et de prendre du plaisir.
Sur n'importe quelle navigation et encore plus sur un tour du monde, c'est trop risqué de voir au jour le jour, de s'ajuster. Il faut préparer, dans tous les domaines : la route, la nourriture, la pharmacie, le physique, la forme mentale. Le seul truc qui me fait peur c'est d'avoir un abordage en me rendant à Lorient, ou juste après le départ. Si je démâte, je démâterai, et c'est une autre aventure qui commencera. Je suis préparé au maximum.