S'il est des endroits où l'on ne s'aventure guère en hiver, le printemps revenu nous donne des fourmis dans les écoutes : les îles Scilly, ces petites perles sauvages, verdoyantes et paradisiaques jetées à l'extrême Ouest de la Cornouaille anglaise se trouvent à une poignée de milles : une traversée de la Manche et on y est !
Ça, c'est sans compter sur les aléas de la météo : les trains de dépressions, les bancs de brumes et les caprices de la houle. Si elles semblent proches géographiquement, certains passages dépressionnaires peuvent parfois les rendre inaccessibles, même durant la saison estivale.
Se positionner au plus proche de la route
L'an dernier, au départ de la rade de Lorient, nous avions positionné notre voilier au port de l'Aber Wrach : "juste en face". Mais la configuration météo ne nous garantissait pas de faire tenir un aller-retour, "montre en main", dans les 15 jours de congés qui nous étaient impartis. Raté, peut-être l'été prochain...
Cette année, il faut croire qu'Éole a eu pitié de nous pour nous avoir accordé un souffle de vent Nord-Est à la mi-mai. Ce léger flux nous a permis d'appareiller de Lorient, cap sur l'archipel des Glénan.
Les voiles s'ébrouent, la coque se dégourdie de la quille, le gréement s'étire et les estomacs s'amarinent doucement. Dès le lendemain, un boulevard, que dis-je une autoroute se dessine vers le Raz de Sein. Même les dauphins sont au rendez-vous, au carrefour de la pointe de Penmarch'.
Le coucher de soleil sur le phare de Tevennec est divinement incandescent tandis que trois maquereaux s'offrent à notre ligne de traîne entre les tas de pois de la pointe de Pen Hir. Peu après, notre ancre s'abîme devant la plage de Camaret. Nous voilà sur la ligne de départ.
Nous aurions également pu choisir un positionnement sur l'île d'Ouessant, mais au vu du secteur de vent annoncé, Camaret nous apparaissait comme un bon compromis.
À peine le temps d'apprécier l'escale finistérienne qu'il est l'heure de repartir et de ranger, bien au fond du coffre, amarres et pare-battages : la vie de mouillage en mouillage nous attend au bout de cette transmanche.
Un chenal qui bouillonne
Glissant sur un miroir au moteur, nous filons vers la pointe Saint Mathieu. Nous nous engouffrons dans un chenal du Four bouillonnant par un coefficient de marée de seulement 50. Ça chahute dans tous les sens, mais nous déboulons à une vitesse de 7 nœuds sur le fond. Une fois sortis, nous mettons cap au 330°, volontairement un peu plus Est et plus près du vent afin de pouvoir gagner en cap par la suite.
Un passage du rail qui demande une attention de tous les instants
En pénétrant dans la première partie du rail, toute notre attention se tourne alors vers bâbord et nous guettons les navires qui "montent" vers la Manche, mais rien.
Dans la zone intermédiaire entre le rail montant et descendant, une brume s'installe doucement, mais surement. Plus ou moins épaisse ici, un peu plus par là, sa densité joue gentiment avec nos nerfs, surtout quand nous arrivons dans la partie descendante du rail. La brume devient aussi opaque qu'inquiétante.
À bord, plus personne ne parle. Nos regards scrutent la zone de flou entre la surface de l'eau et la naissance de la brume. Et si un mastodonte, l'étrave déjà sombre et immense déchirait soudainement l'horizon ? Mais rien. Plus de peur que de mal, ce sera un rail sans cargo.
Une fois sortis du rail, nous apercevrons, à quelques milles dans le tableau arrière, deux immenses cathédrales d'acier passer au loin dans la brume ...
Nuit luminescente
Souvent et comme par magie, la toute fin de soirée voit le ciel s'éclaircir et laisser place à un coucher de soleil mêlant le parme et l'oranger. Un pétrel un peu curieux s'approche à plusieurs reprises, planant au ralenti en me fixant de son œil aiguisé. Les fous de Bassan tournoient majestueusement, jouant avec la brise mollissant. Il est près de 23h, la nuit tombe, je pars à la bannette, relayé par le capitaine qui prend le premier quart.
2h du matin, c'est mon tour de veille. Quelques feux de navires de pêche brillent au loin. Une lune presque pleine règne dans le ciel étoilé et les constellations l'entourant sont une compagnie mystérieusement envoûtante. La surface de l'eau brille également de la luminescence du plancton, auréolant la coque d'une vague d'étrave phosphorescente, un véritable spectacle, offert par la nature. Vers 4h du matin, l'aube infuse ses tons pastel alors que la brise s'adoucit. C'est qu'aux Scilly, la température du jour est parfois égale à celle de la nuit...
Un atterrissage méditerranéen
Vers 8h30, si l'air est frais, un soleil éblouissant réchauffe le cockpit.
Une intense luminosité, mêlée à un ciel d'azur du ciel, nous donne l'impression de flotter au-dessus des nuages. Des bancs de brume se déplacent à la surface, masquant les îles Scilly qui devraient d'ores et déjà apparaître devant nous. Elles se laissent un peu désirer... le temps d'un café.
Un mouillage en douceur
Et puis les côtes des premières îles se dessinent timidement, Saint Agnes & Gugh sur bâbord et Saint Mary dans l'étrave. Le capitaine à opté pour un atterrissage à Porth Cressa, sur l'île de Saint Mary.
La grande plage qui nous ouvre grand ses bras est pourtant mal pavée sur sa partie Est et nous slalomons entre la petite dizaine de voiliers déjà au mouillage afin de trouver l'emplacement idéal. Une place se libère, nous la prenons et mouillons une vingtaine de mètres de chaine.
La température est quasi méditerranéenne, l'eau turquoise et l'endroit calimissime. Heureux d'être arrivés, nous avons maintenant hâte d'explorer cet archipel prometteur.