Après plusieurs années sur le circuit IMOCA, et une victoire sur le Vendée Globe, Vincent Riou renoue avec la compétition avec un projet solo. Il fait désormais partie de la Class40, et a construit pour l'occasion un bateau aux couleurs de Pierreval – Fondation Goodplanet, qui se démarque des autres par ses choix architecturaux.
Pour commencer, pourquoi cette envie d'un retour à la compétition ? Et pourquoi en Class40 ?
J'avais envie de renaviguer suite à mon arrêt de l'IMOCA en 2018. J'ai imaginé faire du Figaro, mais les choses ne se sont pas bien mises et je me suis blessé au dos, ce qui m'a pénalisé. J'ai continué à naviguer en double et en équipage sur pas mal de support, notamment en Ocean Fifty, et en Class40.
En dehors de l'IMOCA, les deux autres séries pros sont les Ocean Fifty et les Class40. Le Class40 me convenait bien, il y a des protos et pas mal de choses à faire. Le programme est aussi plus lisible. La classe Ocean Fifty a un programme qui change, et connu au dernier moment, qui peut être compliqué quand on a un partenaire à mettre en avant.
La Class40 ressemblait à ce que j'avais déjà fait avant. Il y a de gros compétiteurs, un beau plateau. J'ai fait ce choix et j'en suis ravi.
Les Class40 sont-ils véritablement moins exigeants que les IMOCA ? Notamment en navigation en solitaire ?
Cela reste des bateaux engagés. La voile, ce n'est pas très compliqué. Jusque 15 noeuds, c'est de la finesse et des sensations. Au-delà, c'est engagé. Le Class40 est moins engageant qu'un IMOCA, mais ça reste sportif.
J'ai arrêté l'IMOCA de manière volontaire. J'avais déjà fait 15 ans. La grande course dans cette classe, c'est le Vendée Globe, et je n'avais plus la motivation pour le faire. J'avais l'impression d'avoir fait le tour du truc.
La Class40 a un haut niveau, de super coureurs, une grosse flotte. On trouve des protos et des règles de classe intelligentes. C'est aussi moins de gestion de projet. C'est plus facile de naviguer, on a plus de volume de navigation, pas de grosses équipes, comme en IMOCA, où il y a beaucoup de RH. Ça prend beaucoup de temps et ce n'est pas le plus simple à gérer. La Class40 cochait toutes les cases, avec de l'équipage, du double, du solitaire. C'est diversifié.
Comment s'est fait ce choix de conception de votre Class40 et pour quelles raisons ?
La raison est simple. Ça reste de la course, donc l'idée est d'aller plus vite que les copains. En naviguant sur pas mal de bateaux et en faisant le tour de la règle, qui est très intelligente, j'ai pensé différemment pour faire un bateau plus performant. J'ai eu cette idée en regardant les bateaux naviguer, et la problématique tournait autour des appendices. J'ai aussi bénéficié de mon expérience en IMOCA.
Au début, les bateaux étaient simples. Puis on a rajouté des dérives asymétriques, puis ensuite du tilt dans la quille, et il a fallu comprendre comment optimiser tout ça et gagner en performance. En réfléchissant sur ces données et en étudiant la règle qui autorisait les intercepteurs et les trimmers, on a choisi un seul safran et un trimmer.
C'est original, car c'est le premier, sachant que mon bateau est le 203 et qu'il y en a eu 202 avant. C'est un bateau qui ne va pas être facile pour tout le monde, mais qui, intellectuellement, est intéressant, car pas mal pour chercher la vitesse.
Les appendices, on les subit tout le temps, donc on cherche la vitesse par les voiles. Il faut trouver le paramètre de plus pour aller vite. C'est un bateau intéressant à apprendre et à maîtriser.
Quant au Pogo S4, j'ai fait ce choix pour 3 raisons. Guillaume Verdier avait déjà développé des quilles à trimmer, sur des monocoques de la Coupe de l'America. C'est un bateau construit dans un chantier local à côté de chez moi, que je connais bien. Enfin, la carène du Pogo S4 était celle qui convenait le mieux à mon concept. J'ai beaucoup regardé les bateaux naviguer, les carènes... Le mieux aurait été de dessiner une carène autour de cette caractéristique. Mais cela aurait été un risque pour moi et je n'avais pas les moyens, donc j'ai regardé l'existant et choisi celui-ci. Toutes les planètes se sont alignées pour aller vers le Pogo S4.
Quels sont les avantages et les inconvénients d'un trimmer ?
La quille est plus petite en surface, car un volet la rend asymétrique, et plus efficiente qu'un profil symétrique. Cela permet un profil plus ou moins porteur, qui peut porter plus ou moins que sa surface, moins dériver au près et dériver plus à certaines allures. Cela a une action sur les angles de vent et les performances.
Et qu'en est-il pour le monosafran ?
Sur un bateau comme celui-là, ça n'a presque que des inconvénients. L'avantage est que l'on n'est pas obligé de le remonter, ce qui évite les manœuvres. L'inconvénient est que le safran est plus grand, donc si l'on est très gité, on n'ira jamais plus vite qu'avec un double safran. Cela nécessite donc d'avoir une carène avec un moment de redressement plus important, pour rester plus à plat. Les défauts de réglage et l'équilibre du bateau ne seront pas compensés par un safran qui permet d'aller tout droit. Il n'y a pas de solution miracle en archi.
J'ai choisi le compromis de la performance contre la tenue de route. Je sais clairement que sur certaines allures et conditions météo, cela sera plus compliqué à piloter que certains Class40. Finalement, on a plus de performance tout le temps, mais il faut être capable de le gérer.
J'ai déjà pas mal navigué avec, et ça fonctionne bien. On est moins dans le flux propre de la carène pour la diriger, mais ça fonctionne. Au près, c'est un peu mieux, même si la quille est plus petite. Quand on fait du vent de travers, le bateau dérive moins qu'un bateau standard, on le fait avancer dans son axe. Il y a moins de traînée de carène, il n'avance pas en crabe, mais dans son axe. On espère aller plus vite.
Vous avez mis à l'eau votre bateau récemment, comment appréhendez-vous cette première course à son bord ? Avez-vous déjà des clés en main ? Qu'en est-il de la fiabilité ?
Je vais surtout me concentrer à prendre les choses en main pour finir The Transat. C'est une course engagée, et mon objectif numéro un. J'ai peu de confrontation avec les autres. Je suis dans un bateau de développement, et je crois en lui sinon je l'aurai fait autrement. Maintenant, j'attends beaucoup de réponses pour voir si le concept que nous avons imaginé avec le cabinet Verdier fonctionne. On aura la réponse dans quelques jours.
Pour la fiabilité, j'ai utilisé mon expérience et celle des collaborateurs avec moi, et on en a pas mal. Maintenant, c'est une première. Je n'ai jamais pris le départ d'une course avec si peu de confrontation avec le reste de la flotte. Quant au bateau, c'est le 10e construit, et comme Xavier Macaire l'a montré en gagnant une course, il marche bien. Ce que l'on ne sait pas, c'est la capacité à mener le bateau.
Pourquoi participer à la Transat CIC, sachant qu'il y avait aussi la Niji40 il y a quelques jours. Une préférence pour le solitaire ?
La Niji40 est sûrement une belle course, mais il y a beaucoup de transats Europe Antilles, et une seule transat Europe New York. La côte est américaine est un bel endroit, même si on en paye le prix. C'est aussi plus pratique pour participer à la Quebec St-Malo que je ferais ensuite.
C'est une course à laquelle j'ai déjà participé en 2016, j'ai terminé second en IMOCA. C'est une course que j'aime beaucoup.
Souvent, ce qui fait la beauté des évènements, comme le Vendée Globe, la Route du Rhum, The Transat, c'est l'engagement qu'il faut y mettre.
The Transat est une course qui a du mal à vivre depuis pas mal de temps. Elle a été reprise par Marc Turner, les deux dernières éditions partaient d'Angleterre, et la dernière a été annulée à cause du Covid. Elle revient à Lorient, et c'est vraiment sympa, car l'agglomération a bien mis en avant Tabarly. Un départ de Lorient et une arrivée à New York, c'est un beau pari. Ce serait dommage de ne pas soutenir les organisateurs, de ne pas la faire vivre.
La Class40 est une classe pro-am, il en faut pour tous les goûts. Je comprends que tout le monde ne veuille pas faire The Transat.
Quel est votre objectif pour ce premier retour en compétition en solitaire avec votre propre projet ?
Il y a une idée de compétition quand on fait des choix architecturaux, mais ma position est bizarre, parce que je ne sais pas comment me positionner. Mais je ne suis pas plus inquiet. Je vais arriver à faire des choix, à naviguer. J'ai envie d'arriver à New York. Il y a aussi la Quebec St-Malo après.
Il y a de plus en plus de monde sur les courses, et on n'est pas toujours sûr d'y participer. Il faut montrer patte blanche. Quand on a des sponsors, avec un programme, il faut le tenir. Mon projet se termine avec la Route du Rhum 2026, donc il faut que je tienne compte de ça. Si on a fait les bons choix, ma performance sera au rendez-vous, ou pas. J'ai envie de me faire plaisir et de bien naviguer.
Un tour du monde en Class40 pourrait-il faire partie de votre programme futur ?
Aujourd'hui non, mais ce n'est pas une mauvaise idée. C'est un peu tôt pour moi pour plein de raisons, partenaires, perso. Dans un autre cycle, pourquoi pas. Il faut quand même faire quelques petites choses sur les bateaux, mais c'est envisageable. Et c'est ce que j'aime avec les Class40, on va dans des endroits différents, les Açores, le Québec. Donc peut-être, sans doute un jour.