Pas besoin d'expertise, tout est à refaire
Alondra est un ketch en acier de 22,5 m construit en 1961 sur des plans Sparkman & Stephens. Délaissé par ses anciens propriétaires, il est en vente et en très mauvais état à Port Ginesta, en Espagne. C'est Benoit Duval, gérant d'une entreprise de refit, maintenance et vente de bateaux qui va lui donner une seconde vie après 5 longues années de travaux.
Alondra est racheté en 2018 par un homme d'affaires allemand d'origine turque, très intéressé par le voilier. Pas besoin de faire d'expertise, il voit bien que tout est à refaire, et charge alors Benoit de réaliser les travaux.
Benoit nous confie : "C'est un beau bateau. Un plan Sparkman & Stephens de 22 m. Au départ, on avait prévu un refit minimum, mais il y avait finalement beaucoup de choses à faire. Par chance, le propriétaire a pu aller au bout des travaux, un budget total de 2 millions d'euros."
Un convoyage pour débuter le refit
Pour commencer, il faut d'abord sortir le bateau de l'eau. Malheureusement, le travel lift de Port Ginesta n'est pas assez puissant pour sortir le ketch de l'eau. Il faut donc rejoindre un autre port. Faute de moteur fonctionnel, Alondra est remorqué jusque Port Forum, dans le centre de Barcelone en décembre 2018. Cette vingtaine de milles se déroule sans encombre, malgré l'état du bateau qui menace de couler à tout moment et l'eau stagnante à l'intérieur. 7 heures plus tard, Alondra est arrivé à bon port. Malgré la rouille qui le recouvre, le voilier fait encore son effet auprès du personnel du port chargé de le sortir de l'eau. "Quel bateau !" s'exclament-ils.
Une coque corrodée qui doit être entièrement refaite
Pour la première fois, le ketch est sorti de l'eau et l'expertise de la coque peut commencer. Benoit nous raconte : "Il y avait des traces humides au niveau de la coque. Je commence à gratter avec mon couteau pour évaluer les dégâts et je transperce. Il ne restait plus que la peinture et le mastic. C'est une coque en acier de 5 mm et de 8 mm pour la quille. Le bateau était rongé par l'intérieur et l'eau qui stagnait a corrodé la tôle. Après coup, je pense qu'avoir laissé l'eau dans le bateau pour le convoyage était une bonne idée. Ça a fait contrepoids et permis de tenir la peinture et le mastic pour que le bateau ne coule pas."
Début 2019, la coque est sablée et 30 % sont intégralement changés. Pour ces travaux, Benoit fait appel à un chantier réputé de Barcelone, qui bénéficie de 50 ans d'expérience. Il explique : "Au fur et à mesure que l'on démontait des choses, on s'apercevait que tout était à refaire."
Des mâts en bois reconstruits selon les standards classiques
Après la coque, les hommes s'attaquent aux mâts. Le mât creux principal, d'une longueur de 28 m est déposé. À l'intérieur, des parties sont décollées, mais surtout des larves se sont installées. Benoit décide de le déplacer chez un fournisseur architecte naval et ébéniste de marine, en association avec un professionnel des haubans. Après quelques complications pour trouver un convoi exceptionnel jusqu'en Catalogne - le chantier tombant en plein conflit autour de l'indépendance de la Catalogne - les mâts rejoignent finalement leur hangar dédié.
Benoit détaille : "Il a fallu retravailler la fabrication et la structure des mâts, refaire un design classique qui date des années 60, tout en modernisant certaines parties. On a fait de longues recherches historiques pour trouver comment était gréé le bateau à l'origine. L'écoute de grand-voile et le rail d'écoute ont été refaits et dataient des années 90. On a aussi fait des recherches sur Alondra lui-même, pour voir comment Sparkman & Stephens avait procédé et on a réussi à reproduire la même chose. Impossible de trouver des poulies en bois. On les a faites nous-mêmes, la partie inox et la joue de poulie en bois. On a également intégré une pièce de monnaie au centre avec le nom du bateau et son année de construction."
Électricité, circuits d'eau et moteurs remis en état
Mi 2019, le chantier se concentre sur le réseau électrique. Il y a du 32 volts pour le guindeau, le winch arrière et le pilote automatique, du 24 volts et 12 volts pour l'électricité du bord et enfin du 220 volts est installé une fois le bateau arrivé en Europe, en complément des 110 volts initiaux puisque le bateau appartenait à un propriétaire américain. Tout est déposé et refait aux normes. Le propriétaire demande également à installer de la domotique pour tout contrôler depuis un écran.
Le moteur d'origine est un 180 chevaux diesel deux temps de la marque Détroit, typiquement américain. Benoit trouve un fournisseur belge habitué à refaire ce genre de moteur. Deux solutions sont proposées. Soit le moteur est réparable, les pistons, bielles... , sont changés pour un coût de 13 000 €, soit le fournisseur rachète les pièces, ce qui financera le transport aller du moteur. Finalement, la première solution fonctionne et le moteur est réinstallé.
Dans la salle des machines, les deux réservoirs d'eau de 2 x 2 000 L sont complètement corrodés. Ils sont remplacés par un dessalinisateur produisant 200 L/h et un réservoir de 450 L. Si besoin, un autre réservoir pourra être installé plus tard. Un générateur avec seulement une dizaine d'heures au compteur est récupéré et installé. Tous les circuits d'eau douce sont refaits.
Deux grands réservoirs de carburants de 2 000 L chacun sont présents à bord pour assurer une capacité transatlantique à Alondra. Finalement, l'un des deux, abîmé, est supprimé et remplacé par le réservoir d'eaux noires qui n'existait pas auparavant.
Une barre à roue déplacée et modernisée
Un des derniers systèmes changés est la barre à roue. Sa transmission par câbles et son emplacement au milieu du cockpit empêchent l'installation d'une table. Elle est déplacée sur l'avant, et l'ancien pilote à câbles est remplacé par un pilote hydraulique classique Raymarine. Un propulseur d'étrave est installé pour faciliter les manœuvres de ce bateau lourd. Des gaines sont également installées pour la climatisation dans les cabines, le salon et la cuisine.
Arrêt de chantier en raison du Covid
Malheureusement, le Covid arrive en Europe et le chantier est stoppé. Le propriétaire n'a plus les fonds pour continuer les travaux. Benoit nous raconte : "On avait été à rythme rapide jusque là. Heureusement, l'arrêt du chantier s'est fait quand on travaillait sur le pont. On avait installé une tente, donc le bateau a été protégé à sec et n'a pas souffert du tout. 500 000 € avait déjà été dépensés pour le refit, mais il restait encore beaucoup de choses à faire et la valeur du bateau n'était pas atteinte. Ca a été un moment difficile pour le propriétaire qui ne pouvait plus payer les frais de chantier. Il y a eu pas mal de retard sur les paiements. La capitainerie nous a même indiqué devoir mettre le bateau aux enchères si les paiements n'arrivaient pas. Et finalement, le propriétaire a pu vendre un bien à la fin du Covid pour continuer la dernière partie du chantier et reconstruire complètement le bateau."
Remise à l'eau tant attendue et refit technique terminé
Alondra est remis à l'eau en octobre 2022 et le refit technique est terminé en juin 2023. Toutes les pièces extérieures sont chromées, comme les entourages de hublots, les winchs, l'accastillage... L'intérieur du bateau est plutôt en bon état, mais il y a de nombreuses petites choses à faire, notamment dans les cabines. La plus importante est la rénovation des salles de bain. Tout est changé et réalisé avec des matériaux relativement nobles. Alondra dispose de 3 cabines avec salle de bain, et d'une cabine équipage avec une salle de bain. Le vernis est laissé en l'état, mais les plafonds sont refaits à cause de la corrosion.
Des premiers bords encourageants
À l'été 2023, Alondra tire ses premiers bords après travaux jusque Majorque. Benoit explique : "Au retour de Majorque, on avait entre 12 et 15 noeuds de vent, et on avançait entre 8 et 9 noeuds. On a une grand-voile et un génois de 120 m2 chacun, une trinquette de 30 m2 et une misaine de 40 m2. Au total, ça fait 310 m2 de voilure."
Quel avenir pour Alondra ?
Aujourd'hui, plusieurs pistes sont évoquées pour l'avenir d'Alondra. Soit le propriétaire le conserve pour son utilisation personnelle, soit le bateau est fini complètement et correctement - des petits détails restent à peaufiner - et proposé au charter pour soutenir les coûts d'entretien ou alors revendu. Benoit conclut : "C'est une reconstruction totale d'un gros bateau. On a pu sauver ce bateau-là. On a eu de la chance que le propriétaire nous laisse faire pour le refaire à l'origine, malgré un budget limite."
