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Avec Centuri, nous basculons sur la côte ouest du cap Corse. Vous trouverez ici un port de plaisance adapté pour les embarcations mesurant moins de 10 mètres, avec un tirant d'eau maximal autorisé de 2 mètres. Par vent d'ouest, il est possible de jeter l'ancre dans des profondeurs variant entre 5 et 8 mètres, sur un lit de sable s'étendant du port à l'Est de l'île de Capense, créant ainsi l'opportunité d'une escale paisible. Il vous faudra demeurer vigilant, car certains secteurs peuvent présenter des fonds rocheux, nécessitant l'utilisation d'un orin.
Une fois à terre, vous constaterez que ce charmant port miniature est porteur d'une tradition qui persiste depuis le 18e siècle : la pêche à la langouste rouge. Ici, les bateaux sont sagement alignés, et le port est bordé de part et d'autre de restaurants, tous plus accueillants les uns que les autres. Chacun affiche le fameux crustacé à la carte comme mets principal, et les touristes en raffolent. Plusieurs mesures ont été mises en place pour préserver l'espèce, menacée d'extinction.
Identification des langoustes
Il existe une vingtaine d'espèces de langoustes dans le monde. La langouste rouge, pêchée au large des côtes de Centuri, se reconnaît facilement. Devant le vivier d'un restaurant du port, un aquaculteur saisonnier nous fait les présentations du crustacé, le tenant avec assurance par la partie dorsale de son corps en veillant à éviter ses pinces et ses pattes, pour ne pas le stresser. L'animal possède deux très grandes antennes pouvant atteindre jusqu'à 42 centimètres. Pendant sa croissance, ce grand décapode, dépourvu de pinces, mue. Il renouvelle la totalité de son squelette : cela lui permet de grandir à chaque fois de 15 à 30 %. Il peut ainsi atteindre 30 à 50 centimètres, pour un poids pouvant aller jusqu'à 4 kilos. Sa carapace chitineuse, rehaussée de taches jaunâtres, abrite un corps segmenté orné d'épines. Le thorax porte trois paires de pattes-mâchoires et cinq paires de pattes locomotrices. Pour différencier la femelle du mâle, nous explique-t-on, il faut regarder les pattes qui sont plus grandes et robustes chez ce dernier. En ce qui concerne la carapace du côté ventral, celle présentant un creux abrite les œufs, indiquant qu'il s'agit d'une femelle.
Environnement et réglementation
Dans les eaux rocheuses du cap Corse, le crustacé a trouvé son royaume. On le trouve jusqu'à 150 mètres de profondeur. Cet animal a la particularité de faire partie des animaux marins migrateurs qui apprécient le climat des eaux chaudes et ensoleillées. À l'approche de la saison des tempêtes, elles migrent vers le large en marchant en file indienne sur le fond de l'océan, grâce au contact de leurs antennes. Lorsque le beau temps revient, elles font le trajet inverse et retournent dans des eaux moins profondes. L'occasion pour les pêcheurs d'entrer en scène. Sur le plateau sud de Centuri, il existe des zones de pêche dédiées. Des normes doivent être respectées pour que la langouste ait le temps de se reproduire. Ainsi, la pêche saisonnière n'est autorisée que d'avril à octobre. La langouste doit mesurer 9 centimètres minimum, si elle n'a pas la taille réglementaire, elle est remise à l'eau.
Techniques de pêche
À Centuri, nous apprenons que 4 bateaux pratiquent désormais la pêche à la langouste rouge. Il y a une cinquantaine d'années, une vingtaine de pêcheurs prenaient la mer chaque matin pour ramener entre 50 et 100 kilogrammes par jour du précieux mets. À cette époque, la pêche à la nasse était privilégiée. Les anciens nous racontent que les casiers étaient alors tressés à partir de la myrte, arbrisseau corse dont les baies bleu-noir sont également utilisées dans la cuisine pour aromatiser des plats et pour la confection de liqueurs. Aujourd'hui, cette technique ancestrale à disparue au profit de la pêche au filet, excepté pour quelques adeptes qui fabriquent des casiers à partir d'un tonneau de PVC.
Sous une allure inoffensive, les casiers constituent de redoutables engins de pêche qui peuvent piéger les habitants du fond des mers. Ces contenants, de forme cylindrique, sont aménagés d'une ou de plusieurs ouvertures. Connus sous le nom de goulottes, ces accès sont conçus de sorte que l'animal puisse entrer dans le casier mais très difficilement en ressortir. Le principal avantage de cette technique demeure en une qualité irréprochable du produit puisque les animaux peuvent rester en vie une fois capturés. Pour attirer les crustacés, chaque pêcheur cultive sa propre recette : têtes, abats ou encore restes de poissons de type grondin ou maquereau, enveloppés dans un linge fin et bien amarrés au casier. En général, plus l'odeur est marquée, plus la curiosité est éveillée. Lors de la mise à l'eau du casier, le dispositif doit être correctement lesté et être rattaché à une bouée avec une longueur de corde égale à deux fois la hauteur d'eau à marée haute relevée sur place. On attendra ensuite au moins 24 heures avant de le remonter.
À peine de retour sur la côte, les pêcheurs retirent leur tenue pour enfiler celle de restaurateurs. Un métier qui s'exerce depuis plusieurs générations à Centuri. Aujourd'hui, le prix moyen du crustacé est de 185 euros le kilo mais l'authenticité des langoustes corses servies ici sous toutes les sauces fait débat. ''Parfois, c'est de la langouste en provenance des pays du Maghreb. Elle peut être vivante mais aussi congelée'', nous confie-t-on. La solution pour écarter toute suspicion ? D'abord, le prix : un menu à la langouste à moins de 50 € sera sans conteste venu d'ailleurs. Aussi, chacun s'accorde : il faudrait baguer la langouste locale pour gagner en clarté
Et la préservation de l'espèce dans tout ça ?
La pêche à la langouste se pratique de manière intensive depuis plusieurs décennies sur la côte corse. La surpêche a fait baisser la taille des individus, auxquels le temps nécessaire pour atteindre l'âge adulte et se reproduire en abondance n'est pas toujours accordé. Si la majorité des professionnels de la pêche respecte la taille minimale autorisée de capture, certains abus mettent parfois l'espèce en péril. Les réserves sous-marines et les cantonnements permettent dès lors un renouvellement partiel des stocks. Pour éviter la surpêche, un laboratoire du CNRS à Bastia a réussi à reproduire les conditions dans lesquelles les langoustes grandissent au fond de la mer. À terme, le but est d'atteindre une restauration écologique en introduisant des juvéniles, favorisant ainsi le retour d'une biodiversité dans différentes zones, jusqu'à ce que les stocks se reconstituent.
À Centuri, vous l'aurez bien compris, chacun voue une réelle affection pour la langouste rouge, un crustacé devenu patrimoine à préserver. Si vous êtes curieux, nombre de restaurateurs locaux, qui aiment rendre hommage à leurs aïeux, vous raconteront l'histoire de la pêche à la langouste de ce pittoresque port de pêche devenu un incontournable en Corse pour tous les plaisanciers.