Écoutez cet article
Jean-Jacques Merer navigue sur son Océanis 54 depuis de nombreuses années. Cette année, il a décidé de le convoyer vers la Corse avec son ami Michel et sa femme Chantal. À l'entrée du détroit de Gibraltar, ils rencontrent des orques. Ils nous livrent leur témoignage, de ce qu'ils considèrent comme "une attaque agressive avec la volonté de nuire, loin d'un simple jeu". Aujourd'hui bloqué au port avec un safran endommagé, cet équipage pose aussi des questions sur l'omerta qui règne sur ces zones de navigation devenues insécures. Voici son témoignage.
Compte rendu sur une attaque d'orques
Les faits se sont passés le 22 juillet 2023 à 18h heure locale.
Notre bateau est un voilier Oceanis 54 dénommé Gaivota et sommes 3 à bord. Nous faisions route depuis Portimao au Portugal vers la marina de Sotogrande en Espagne, située à 10 milles au Sud-Est de Gibraltar. Nous nous dirigeons vers la Corse via les Baléares, au départ de Porto.
Tout près de Gibraltar
Ce soir-là, nous sommes à 1 mille au Sud-Est du rocher de Gibraltar et venons de passer les quelques cargos au mouillage dans la zone, par 35 mètres de fond. Nous sommes sous voile avec la grand-voile à 2 ris et sans génois, sans moteur, par un vent de travers de Nord-Ouest de 30 nœuds. Notre voilier avance entre 7 et 8 nœuds à cette allure portante.
Autour de nous apparaissent 3 orques : une grosse et 2 plus petites. Elles sont arrivées brusquement à proximité immédiate du bateau. Les orques commencent par attaquer la quille en donnant des coups. Nous avons immédiatement affalé la voile et coupé l'électronique, pour ne plus avoir d'écho sondeur. À partir de ce moment-là, nous n'avons plus fait de quelconque manœuvre. Le bateau est resté inerte.
Pas un jeu, mais beaucoup de violence
Les orques ont tout de suite tapé très fort contre la coque ou la quille. Puis l'un d'entre eux s'est acharné sur le safran. Il n'y avait rien d'amical, c'était très violent. Il y avait une volonté évidente d'endommager le safran, voire le bateau. Ça a duré 10 à 15 minutes, et ça c'est arrêté quand la drosse de barre en câble a cassé avec un bruit fort et sec. Nous avons aussi percuté 3 fumigènes qui ont achevé de se consumer dans l'eau.
Inutilité du Pinger
À noter également que nous tirions un pinger, répulsif émettant des ultra-sons censés repousser les orques. Nous le trainions depuis notre départ de Porto. Cet appareillage ne les a manifestement pas gênées.
Mayday !
Nous avons lancé tout de suite un Mayday sur le 16. Il y avait un remorqueur sur zone qui s'est immédiatement positionné plus d'une heure près de notre bateau en attendant que les sauveteurs en mer viennent nous assister et nous remorquer vers le port de Gibraltar. En soulevant les planchers, nous n'avons pas découvert de voie d'eau. Pour nous, le safran avait disparu si bien que nous n'avons pas tenté d'installer la barre de secours. Sans direction, le remorquage a été parfois tendu, mais les sauveteurs nous ont amarrés sur le quai de la marina Alcaidesa à la tombée de la nuit. Le remorquage, qui a duré 3 heures, s'est finalement passé sans encombre, sauf peut-être quelques difficultés sur la fin du parcours, pour zigzaguer entre les cargos au mouillage à l'entrée du port.
Pas d'entraide entre plaisanciers
Une mention spéciale pour les secours, que ce soit le remorqueur ou le bateau d'assistance qui ont fait preuve d'un professionnalisme et d'une gentillesse remarquables. On ne peut pas en dire autant des plaisanciers sur l'eau. Deux vedettes, une bleu marine et une blanche d'environ 11 m chacun,) étaient présentes à moins de 500 m de nous. Elles nous ont superbement ignorés et sont vite parties sur Gibraltar malgré les appels sur le 16 et les fumigènes. Courage, fuyons !
Le lendemain matin, j'ai plongé et constaté que le safran était toujours là, mais gravement endommagé : le tiers inférieur complètement délaminé et arraché. Les drosses de barre sont complètement cassées.
La roulette russe pour passer Gibraltar ?
Le même jour, un autre voilier a été endommagé à l'entrée de Gibraltar, un autre la veille à proximité du port. Nous avons aussi appris qu'il y avait au moins une attaque dans la zone tous les 2 jours et qu'une quarantaine de voiliers auraient été attaqués et endommagés aux alentours de Gibraltar depuis le début de l'année, sans compter les autres interactions sans dommages ou non déclarées. Par ailleurs, les locaux nous ont indiqué que la bande d'orques qui nous a attaqués était identifiée et localisée sur zone depuis 10 jours…
Tenir informé…
On peut s'interroger sur l'action des autorités. Comment se fait-il qu'un avis à la navigation informant de la réalité de la situation et des réels dangers à passer Gibraltar pour les voiliers et leurs équipages ne soit pas diffusé ? Attendent-elles qu'il y ait mort d'hommes ? On peut en effet s'interroger sur ce qui se passerait en cas d'une chute à la mer pendant les attaques ?
Il semblerait qu'il y ait une volonté de sous-estimer, ou dédramatiser, la situation voire de cacher la réalité des choses. Le problème est qu'il y a risque sur les biens et les personnes, sans parler des conséquences humaines et financières pour les victimes - qui ne sont pas les orques…
Inicio | Orca Ibérica
Un grupo de personas que busca la conservación y gestión de una subpoblación de orcas en peligro de extinción en la península ibérica.