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Une envie de rallier une autre terre par la voie maritime
Jeune architecte installée sur l'Ile de la Réunion, Clémence a profité d'un break professionnel pour se lancer dans sa première navigation à la voile.
"Mon projet initial était de rentrer en métropole en embarquant comme passager sur un porte-container. Des compagnies proposaient en effet quelques cabines à des voyageurs désirant parcourir le monde sur ce mode de transport sortant de l'ordinaire. Mais avec le Covid, ce service a été suspendu pour une durée indéterminée.
Je me suis alors rendue à la marina du Port, dans le nord de l'Ile, afin de chercher des pistes pour un embarquement. J'ai laissé une petite annonce à la capitainerie, indiquant uniquement mon envie de naviguer, peu importe le timing et la destination.
Quelques jours plus tard, alors que j'étais en trek dans le cirque de Mafate, je reçois un appel d'Emmanuel, qui a vu mon annonce. Il cherche un ou une équipière pour rejoindre l'Ile Maurice. Je décide d'écourter mon périple en pleine nature pour rejoindre le port."
Après avoir fait connaissance autour d'un verre, Emmanuel met en garde Clémence sur les désagréments éventuels d'une telle navigation pour une débutante : mal de mer, durée de la navigation, sans compter les difficultés d'entrer sur le territoire de Maurice à cause du Covid.
Ignorant tous ces problèmes potentiels, Clémence a juste envie de naviguer. Elle est très enthousiaste à l'idée de découvrir une nouvelle expérience.
Faire connaissance avec un environnement inconnu
Cette navigation indienne doit s'effectuer à bord de Lambert, un First Class Europe aménagé pour la navigation hauturière.
A cette époque de l'année, le régime de vents est majoritairement d'Est. Cette navigation de 140 milles entre la Réunion et Port Louis se fera donc au près, ce qui devrait prendre une trentaine d'heures.
"J'embarque la veille du départ. On boit quelques verres avec nos voisins de pontons, qui doivent effectuer le même trajet que nous quelques jours plus tard. Et je fais connaissance pour la première fois avec une couchette de voilier.
Emmanuel me briefe sur les procédures d'urgences et le fonctionnement des éléments de sécurité. J'apprends à me servir d'une VHF, d'une balise et comment gonfler un radeau."
Le départ s'effectue dans une pétole persistante le long de la cote réunionnaise. Sous grand-voile et génois, Le Lambert progresse tout doucement, laissant à son équipage le temps d'admirer le paysage. Clémence prend un premier Mercalm en préventif.
Petit à petit, la Réunion s'éloigne. La deuxième moitié d'un cachet de Mercalm est avalée, et Clémence découvre l'application des théories qu'Emmanuel lui avait inculqué la veille.
"Je reste en extérieur pour me prémunir du mal de mer, et je découvre qu'un voilier penche. Je me cramponne sur cet environnement instable, qui me fait perdre tous mes repères. Se déplacer devient très compliqué."
Une navigation tonique
Passée la pointe Nord de la Réunion, le Lambert est exposé aux vents contraires.
"Je commence à subir le mal de mer et je m'endors sur ma couchette.
Ma sieste est de courte durée, car je suis régulièrement réveillée par la VHF. Je m'endors par intermittence mais je subis un cauchemar, dans lequel nous coulons ! Je décide alors de remonter sur le pont."
Avec un flux d'Est de 20-25 nœuds, le Lambert est bien calé et présente une bonne gîte.
"Vers 2h du matin, je me retrouve toute seule pour mon quart. L'AIS ne fonctionnant pas très bien, nous devons être très vigilants sur le traffic environnant. Le skipper part dormir. Je me retrouve perdue sur cette coque de noix, avec la Lune, les étoiles et l'Océan Indien tout autour de moi. Je n'en mène pas large, et je préférais être sous ma couette chez moi.
Emmanuel nous avait préparé un Kari avec du gingembre et de la mangue, qui a fini par nourrir les poissons de l'Océan Indien.
Après 25h de nav, je me décide enfin à aller aux toilettes, qui sont à l'avant du bateau. C'est le parcours du combattant. Je reprends des forces au lever du jour, et au fur et à mesure que le mal de mer s'estompe.
Une terre se profile à l'horizon. Nous abordons Maurice par le nord, puis vers Port Louis. La capitainerie nous ordonne d'aller patienter au mouillage de quarantaine. Nous sommes dimanche et il faudra patienter jusqu'au lundi pour les formalités d'usage. Interdiction de débarquer avant ça.
Notre 2e nuit au mouillage se passe bien, et nous sommes bientôt rejoints par le Yam's , avec qui nous étions à la Réunion.
Nous subissons les errances de l'administration mauricienne. Tous les services se renvoient la balle et personne ne veut nous accueillir. Nous parvenons à contacter un médecin disponible, afin qu'il nous fasse un test PCR.
Après 48h d'attente, on nous accorde le droit d'accoster au port de plaisance. Les Douanes débarquent à bord pour une fouille réglementaire, mais tout se passe bien et les fonctionnaires sont très sympas.
Je débarque du Lambert pour aller visiter Rodrigues, avant de reprendre un vol pour le Canada. Cette expérience, bien que difficile, m'a donné envie d'y retourner sur une plus longue distance."