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"Un bateau c'est fait pour naviguer. Pourquoi ne pas faire une virée aux Baléares cet été ?" Ma vedette Amerglass gentiment rénovée durant l'hiver semble prête pour affronter la mer. Cette traversée de moins de 200 milles ne m'impressionne pas. Je l'ai déjà réalisée plusieurs fois, au détail près que je naviguais à la voile. Cette fois pas de mât, juste deux moteurs pour m'emmener jusqu'aux îles. Comment cela va-t-il se passer ?
Partir en mer ne m'a jamais fait peur. Non que je sois inconscient, mais simplement que je suis bien en mer, heureux d'être au large. Mais, aujourd'hui, mon expérience de large en bateau à moteur se limite à peau de chagrin. Je me jette donc dans l'inconnu. Que vais-je ressentir ? Comment appréhender les événements qui vont irrémédiablement se présenter ?
Un coup de vent pour nous accueillir en Méditerranée
Le début de ce convoyage commence mal. En effet, venu de Toulouse par le Canal du Midi, nous pointons l'étrave en Méditerranée à Port-La-Nouvelle. Un saut de puce de moins de 10 milles nous permet de prendre une place au ponton de Port Leucate. Nous faisons ce choix, car la météo annonce un fort coup de vent. De la Tramontane qui déboule directement sur nous. Tous aux abris, les fichiers météo annoncent 30 nœuds établis !
La première leçon de cette navigation sera d'étudier une météo précise. En effet, je ne sais pas comment va se comporter le bateau, s'il se retrouve dans cet avis de grand frais qui doit souffler pendant 2 jours. Mais plus que le vent, c'est surtout l'état de la mer qui est important. En effet, j'apprendrais à mes dépens, qu'une vedette reste un bateau rouleur. "Bon marcheur, bon rouleur", comme on a coutume de le dire de certains voiliers.
Choisir le bon créneau météo
Après 2 jours d'attente, nous quittons Port Leucate avec une queue de Tramontane qui nous pousse au cul. La mer affiche entre 0,5 et 1 m de creux. Juste de quoi faire des surfs, que le pilote automatique a du mal à contenir, faisant de grandes embardées de plus de 20° d'un bord sur l'autre. Finalement, cette phase sera assez confortable, plus que la suite.
Au passage du Cap Creus, à la frontière entre la France et l'Espagne, le vent réalise une rotation de 180°, bien annoncée. Nous l'avons désormais de face. Et les embruns que lève l'étrave viennent maintenant s'écraser sur le pare-brise. C'est le moment de tester les essuie-glaces. Mais comme prévu, ce vent va vite tomber, laissant hélas une mer un peu désordonnée qui va nous suivre toute la nuit.
On se relait à la veille
À bord, le temps s'écoule doucement. Nous sommes deux et nous laissons le pilote automatique, un Garmin Reactor 40, gérer la barre, avec le cap bloqué sur Minorque. Heureusement qu'il est là. Sans lui, les heures à la barre auraient été vraiment longues. Nous gardons toujours un oeil sur la route, pour éviter les bouées de filets ou autres objets flottants comme les bateaux. Côté sécurité, nous naviguons avec un AIS, toujours un modèle Garmin, qui indique notre position et présente les cibles des autres bateaux qui sont équipés de ce système, les cibles s'affichent sur le traceur. Ce sera vraiment rassurant pour la nuit, même si nous avons conscience que tous les bateaux ne possèdent pas cet émetteur. Durant la nuit, nous nous relayerons à la veille toutes les 2 heures.
Dauphins et baleine !
La mer nous réserve de belles surprises. Ce seront les dauphins qui viendront en bande jouer avec l'étrave, échangeant avec nous, avec leur bouche dessinée en forme de sourire. Mais nous allons aussi croiser un cachalot, qui dormait à la surface et qui ne s'est pas réveillé quand nous avons effectué une boucle autour de lui. Faisait-il semblant de dormir ? Enfin est venu le temps du coucher de soleil, splendide de rougeur.
Nuit d'un noir profond
Pour autant, une fois le soleil couché, nous nous sommes retrouvés dans une nuit noire, très noire. Pas de lune, juste un ciel étoilé. À tel point que nous ne parvenions pas à distinguer l'horizon, la limite entre le ciel et la terre. Certes, c'est pratique pour regarder les étoiles, mais beaucoup moins rassurant pour la navigation. Nous avancions dans le noir, vraiment à l'aveugle… Un sentiment étrange quand on est loin de toute terre.
Partis de Leucate à 9h du matin, nous sommes arrivés à Minorque, au Nord de Mahon à 10 h, après 25 h de traversée. L'Amerglass est équipée de 2 moteurs inboard Perkins de 80 chevaux. Une faible motorisation qui ne lui permet pas de grosses vitesses de pointe, mais qui assure une faible consommation de carburant. En effet, à 1300 tr/mn, les 2 moteurs en ligne d'arbre nous propulsent à 7,5 noeuds. Après 25 h de mer, nous avons consommé 180 l de gasoil soit 7,4 l/h.
Mes enseignements
- Pas de problème pour naviguer la nuit, mais de préférence loin des côtes. En effet, les casiers et autres filets de pêcheur présents proche du rivage sont autant de pièges pour les hélices. Le jour permet de les voir à temps et de les éviter. Mission impossible la nuit.
- Avoir une météo précise est primordial. Et si le vent a son importance, l'état de la mer en a beaucoup plus. En effet, naviguer dans un tambour de machine à laver la journée durant devient fatigant. Vive la mer calme.
- Un bateau en état et bien révisé évite les surprises. Nous avons pu laisser tourner les moteurs pendant 25 h sans mettre le nez dans la cale. Une première sur cette vedette datant de 1973 et une certaine fierté pour le capitaine-mécano que je suis.
- Et bien sûr, bien caler tout ce qui peut tomber, rouler, s'échapper avant de prendre la mer. Les verres par exemple, éléments primordiaux de l'apéro, ont demandé un calage pour ne pas finir en mille morceaux.