Longtemps, le service de la navigation a relevé du service public. L'État était le garant de la navigabilité des voies d'eau et de leur entretien. A l'issue de la première guerre mondiale, la concurrence du rail et de la route s'est faite plus forte, au point de supplanter la batellerie artisanale pour le transport de fret. De nombreuses voies d'eau ont été délaissées par les "péniches" et à partir de 1926, l'État a entrepris de déclasser celles qui étaient les moins utilisées. Une fois qu'elles étaient rayées de la nomenclature des voies navigables, l'État n'avait plus à garantir un tirant d'eau ou un service d'éclusage. Il s'est progressivement défait de ces encombrants cours d'eau au profit des départements.
Le déclassement des voies d'eau délaissées
Ainsi les canaux bretons, la Sarthe et la Mayenne, puis le Lot et la Charente, pour ne citer que celles-ci, ont perdu leur statut de voie "navigable" pour devenir "flottables". Les Départements concernés se sont retrouvés à la tête d'un domaine public fluvial dont ils ont assuré tant bien que mal l'entretien jusqu'au boom du tourisme fluvial à partir du milieu des années 1970. Là, tout a changé : en quelques années, les voies fluviales ont révélé leur potentiel touristique et les collectivités, locales ou non, ont mis en œuvre des moyens importants pour les rendre à la navigation.
VNF, une belle idée
Voies Navigables de France (VNF) est créé en 1991 sous l'impulsion de Michel Rocard, premier Ministre, mais également maire de Conflans-Sainte-Honorine, l'une des principales villes batelières de France. Le but est de regrouper au sein d'un seul et même organisme les missions de gestion hydraulique et l'organisation du transport fluvial, qui jusque là dépendaient de ministères distincts. VNF est le fruit d'une belle idée. Les écluses et leurs dépendances ont été modernisées et les services ré-organisés. La gageure consistait à concilier les besoins d'une batellerie déclinante et ceux d'un tourisme fluvial en pleine expansion. La vignette de péage destinée à contribuer à l'entretien des voies navigables est rapidement instituée. Elle est proportionnelle à la taille du bateau et n'est due que lorsque celui-ci navigue sur le réseau VNF.
Des éclusiers formés à l'accueil
Dans le même temps, les collectivités locales qui ont des voies d'eau dans leur patrimoine ne sont pas en reste. La promotion touristique fait partie de leurs missions et elles ne manquent pas de tirer le meilleur parti possible des voies fluviales qui les baignent. Outre la remise en état des infrastructures, on remet en place un service d'éclusage, souvent par l'emploi de saisonniers. Les visées touristiques de ces services font qu'ils sont organisés pour fonctionner sans interruption, y compris les jours fériés, quitte à se poursuivre en self-service au delà des horaires. D'autre part, les agents sont formés à l'accueil et aux langues étrangères pour échanger plus facilement avec les plaisanciers.
Une gestion administrative
Par contraste, la gestion est plus pesante sur le réseau VNF. Certains agents nostalgiques de la batellerie perçoivent les plaisanciers comme des "touristes" et sont peu enclins à communiquer. Peu à peu, l'institution elle-même s'est alourdie. La logique comptable pousse à remplacer les éclusiers par des automatismes, voire à interrompre purement et simplement la navigation lorsque l'entretien devient difficile ou que des plantes invasives encombrent le chenal. Enfin, la centralisation a fait son œuvre, avec désormais un numéro d'astreinte national déconnecté des réalités du terrain, là où il était possible de joindre un agent de permanence pour chaque voie d'eau.
Des agents à la fantaisie locale
Les Régions et Départements ont joué une carte différente afin de se réapproprier leurs voies d'eau et d'en faire de réels atouts. C'est le cas par exemple du Lot, de la Charente, de la Sarthe ou encore de la Mayenne. Certaines ont su valoriser leurs rives en proposant les maisons éclusières pour des appels à projets destinés à valoriser la rivière. La Bretagne et la Nièvre ont été encore plus loin en encourageant, ou du moins en ne bridant pas la fantaisie de leurs agents. Sur l'Ille-et-Rance, les éclusiers animent le canal en participant à l'implantation d'oeuvres d'art à chaque bief. Ceux du Nivernais, accompagnent votre navigation de manière si chaleureuse et sympathique que l'on se souvient de chacune et de chacun et qu'ils font partie intégrante du plaisir de naviguer en leur compagnie.
Deux modes de fonctionnement, deux ambiances
Bien sûr, des agents VNF ne sont pas en reste comme ce "conducteur de travaux" du Canal de la Sarre qui vous donne rendez-vous quelques écluses plus loin pour vous faire visiter son coin de forêt. Cet autre, ailleurs qui vous fait goûter les subtilités du miel selon que ses abeilles ont butiné sur le versant Loire ou Seine du canal. La différence est que ceux-ci esquissent un coup d'oeil circulaire pour s'assurer que nul "chef" ne leur reprochera cette familiarité. Echanger avec l'usager ne fait pas partie de leur mission, alors que leurs confrères des autres voies d'eau y sont encouragés.
A l'usage, il suffit de naviguer sur des voies d'eaux variées pour se rendre compte de la différence d'atmosphère qu'engendrent ces deux approches. Dans un cas, le bateau est un support qui permet de traverser une région, tandis que dans l'autre, tout est fait pour faciliter la découverte de celle-ci par le plaisancier.