C'est de Kembs à Vogelgrun, dans le Haut-Rhin, que le Grand Canal d'Alsace court, sur cinquante kilomètres au total. Pendant des centaines d'années, les terres alentour du Rhin étaient sujettes, chaque année, à des crues destructrices pour les cultures, les habitations et les industries.
A l'issue de la première Guerre Mondiale et la signature du traité de Versailles en 1919, la France acquiert le droit exclusif sur l'aménagement du Rhin. Commence alors l'étude du percement d'un canal qui servira de tampon de crues d'une part, permettra la création d'un chemin de halage d'autre part et adoucira les méandres du fleuve franco-allemand.
Et c'est finalement en 1928, à la veille du second conflit mondial, que les travaux de percement de ce canal débutent par la création du premier barrage, à Kembs. La phase principale des travaux ira de 1950 à 1975, sur la base des plans de l'ingénieur René Koechlin, spécialiste français de la production d'électricité par force hydraulique.
Stéphane Schmitt est gérant d'Alsace Plaisance, un chantier établi sur les bords du Grand Canal d'Alsace. Il nous guide sur ce court canal. Son entreprise est installée à Hagenbach et Kembs. Elle propose aux plaisanciers comme à ceux qui aspirent à le devenir des services d'entretien de bateau, de remise en état ou encore de location. Quant à ceux qui n'en sont pas encore porteurs, ils peuvent passer leurs permis bateau (Fluvial, Côtier, Hauturier comme CRR) auprès d'Alsace Plaisance.
Propriétaire d'un Trimachi, bateau à coque open italien équipé d'une motorisation de 150 chevaux, Stéphane est l'heureux barreur d'une vedette hollandaise Beja Cruiser qu'il tient de son père. Le virus de la navigation fluviale flotte dans la famille, le grand-père était éclusier à Colmar.
Plus large que le canal de Suez
Long de 52 kilomètres, le Grand Canal d'Alsace - que les locaux appellent le Rhin tant son lit est proche du Fleuve - a une profondeur moyenne de 10 m et un chenal navigable compris entre 80 et plus de 100 m. Soit davantage que le canal de Suez !
"La précaution principale sur le canal" explique Stéphane "ce sont les crues et l'étiage qui peut être très fort." Electricité de France est gestionnaire du cours d'eau, largement utilisé pour produire de l'électricité. L'électricien garantit une profondeur minimale de 3.90 mètres en tout temps. "Autant dire, donc, qu'avec une profondeur moyenne de 10 mètres, les amarres ont intérêt à être bien pensées et les profondeurs relevées à chaque écluse" ajoute le plaisancier. C'est à dessein que chaque ouvrage traversé présente une pige de profondeur de ses biefs aval et amont qu'il faut absolument consulter. Les écluses du canal sont toutes joignables par VHF sur les canaux 20 ou 22 :
- Kembs sur le canal 20
- Ottmarsheim sur le canal 22
- Fessenheim sur le canal 20
- Breisach sur le canal 22
Stéphane explique que "l'avantage majeur du canal est qu'il n'y a pas autant de courant que sur le Rhin en lui-même, la navigation y est bien plus calme, la plupart du temps." Le reste du temps, en cas de crue notamment, la navigation est fermée "environ 5 jours par an sur le canal, contre une grosse dizaine sur le fleuve" ajoute-t-il.
Attention à la patente
Selon Stéphane "La gestion déléguée à EDF du canal a cet avantage qu'on n'a aucune vignette ni taxe à acquitter pour y naviguer, dès lors que le bateau mesure moins de quinze mètres". En effet, étant à cheval entre la France et l'Allemagne, les pilotes de bateaux de taille supérieure doivent posséder une patente, examen qui se passe soit auprès d'une école de Marine Marchande, soit en étant capitaine professionnel d'un bateau.
Ne paniquez pas pour autant, en cas de navigation "hors règle" cependant. Les autorités sont le plus souvent compréhensives et vous inviteront à quitter le cours d'eau au plus vite voir, dans certains cas, vous assisteront.
Ce n'est évidemment pas une raison pour abuser de cette tolérance, d'autant plus qu'il n'est pas certain, étant en infraction, que le plaisancier indélicat soit couvert par son assurance. Méfiance donc !
Conseils de navigation
Le Grand Canal demeure une voie d'eau largement fréquentée par des professionnels, qu'il s'agisse de bateaux ou chalands de transport, de péniches ou de bateaux de croisière. En tous les cas, ces navires sont toujours privilégiés sur les embarcations de plaisance, que ce soit au passage des écluses ou dans les manœuvres. "Les plaisanciers doivent faciliter leurs mouvements, c'est avant tout un canal de transit" ajoute Stéphane qui continue "la plupart des convois sont des 110 mètres, il faut donc prévoir de dépasser largement en avance, éventuellement en se signalant avant et prendre garde au remous provoqué par ces gros convois."
La majorité de ces convois part en direction de Bâle, ville trinationale (France, Suisse et Allemagne) qui fera passer une frontière si vous la rejoignez. Pensez donc à avoir, à bord du bateau, l'ensemble des pièces d'identité en bonne et due forme, pour éviter les contrariétés douanières (passeport ou carte nationale d'identité selon les cas) si vous continuez après l'écluse de Kembs.
Eu égard à l'usage du canal, la baignade est interdite. Les pratiques "alternatives" (paddle, kayak, canoë…) ne sont pas interdites mais sont fortement découragées. D'autant plus que la vitesse n'étant pas limitée, les risques d'accident sont nombreux, autant donc privilégier de petites anses calmes - telle que la zone alentour à Alsace Plaisance - pour ces pratiques douces.
La surveillance de la voie d'eau est réalisée par des brigades binationales. Les gendarmes français embarquent des membres de la polizeï allemande et vice-versa. Les contrôles (armement de sécurité, patente…) peuvent donc être réalisés indifféremment par des officiers d'une nationalité ou de l'autre. Enfin, le port du gilet de sauvetage est obligatoire du côté allemand du canal et fortement recommandé du côté français. En tout état de cause, il est obligatoire dans toutes les écluses.
Le ravitaillement en carburant se réalise soit à Bâle, soit à Strasbourg, il est donc opportun de bien prévoir sa consommation avant le départ.
Il n'existe aucun ponton ni port de plaisance aisément accessible aux plaisanciers entre Kembs et Breizach. Chaque écluse dispose, en son amont comme en son aval, d'un garage, mais l'amarrage se fait sur duc-d'albe, il est donc nécessaire d'avoir prévu la longueur de bout nécessaire et de s'être entraîné au préalable pour s'y amarrer en toute sécurité. Il faut également conserver ses feux allumés en toutes circonstances, pour que les unités de grande taille constatent la présence des plus petits bateaux. Par précaution aussi, il est utile de se signaler stationnant aux éclusiers qui pourront en aviser d'éventuels autres usagers du canal. Mais la règle reste de toujours utiliser le point d'amarrage le moins dérangeant possible pour les autres usagers.
L'amarrage sauvage sur pique n'est pas possible en sécurité car le fond du canal n'est pas plat mais en pente maçonnée, il y a donc un risque important de talonnage.
Un ponton est disponible à Kembs pour accéder au site d'Alsace Plaisance.
Enfin, dernier élément d'importance "S'il est exploité par des agents de EDF parlant français, la langue officielle du Grand Canal d'Alsace est l'allemand" insiste Stéphane. Pensez donc à disposer d'un lexique et réviser Goëthe avant d'embarquer.
Trucs et astuces locaux
"Il faut absolument aller visiter la barre d'Istein et la petite Camargue alsacienne, qui se sont constituées suite aux nombreuses crues du Rhin. C'est surprenant, beau et calme" explique le plaisancier. Pour l'anecdote, c'est à quelques centaines de mètres de la Barre que se trouve la plage nudiste du Rhin.
"L'écluse le Corbusier, qui permet d'aller du Rhône au Rhin sur le canal d'Alsace. Elle est en cours de réfection grâce notamment au loto du patrimoine. Située à Kembs-Niffer, elle a été construite dans les années soixante. Mon grand-père y a travaillé avant d'être muté à Colmar" explique Stéphane.
En continuant, il ne faut pas manquer s'arrêter à Breisach. La ville comporte en fait deux parties, aussi intéressantes l'une que l'autre. "Vieux Brizach a un superbe château avec des fortifications sur les hauteurs. La ville dispose de trois petits ports et a la particularité d'être du côté allemand du canal. Il faut obligatoirement s'arrêter au restaurant Le Cygne (zum schwam en Allemand) pour y déguster de la vraie gastronomie d'outre Rhin, à prix très abordable (à peine 15 € par personne)" recommande le gourmet plaisancier. Le tout est situé au pied du canal, à peine le temps d'une promenade digestive.
Du côté français, on trouvera Neuf Brizach, surprenante ville de type Vauban en forme d'étoile. Situé à deux kilomètres environ du canal, l'endroit mérite qu'on s'y arrête, ne serait-ce que pour le plaisir de passer une frontière !
A Kembs "La maison du patrimoine retrace la foisonnante histoire gallo-romaine de la région" recommande Stéphane. Avec l'écluse le Corbusier, cela fait au moins deux choses à visiter sur place. Pour les agapes, on ne manquera pas le restaurant "O'berge du Canal", traditionnel français d'excellente facture, selon notre guide.
L'endroit favori de notre guide se situe entre Otmersheim et Kembs. On peut apercevoir les premières collines de la forêt noire. "On peut même s'y rendre d'ailleurs, elles sont situées à 500 mètres des rives du canal." précise Stéphane.
Enfin, pour le plaisir d'un repas haut de gamme, L'auberge de l'Ill à Illhaeusern, restaurant gastronomique trois étoiles au Guide Michelin.
Le Grand Canal d'Alsace en résumé
- Longueur 57 kilomètres
- Écluses : oui, 3
- Vitesse limitée : Non
- Passage de frontières : Allemagne, Suisse
- Vignette / taxe de navigation : Non
- Établissement gestionnaire : Electricité de France
- Loueurs : Alsace Nautique, Nicols, Les Canalous, le Boat
- Départements : Haut-Rhin
- Tirant d'air mini : 5 mètres
- Tirant d'eau mini : 3.90 mètres
- Période de chômage : Aucune
- Application smartphone ? Non
