Une splendeur dessinée par Nicholson
En 1936, Charles Ernest Nicholson est l'architecte le plus en vue de l'époque. A la tête du chantier naval éponyme à Gosport, en Angleterre, son coup de crayon et la qualité de construction assurée dans son chantier lui confère une sérieuse réputation. La proximité entre son chantier et le Solent, lieu de toutes les passes d'armes des régatiers de la haute bourgeoisie anglo-saxonne, lui apporte une très bonne visibilité. Architecte des monstrueux Shamrock IV et Shamrock V pour la Coupe de l'America, il a également dessiné de nombreux yacht de croisière pour plusieurs familles royales à travers le monde.
C'est ainsi que Ralph Hawks, commodore du Royal Ocean Racing Club, lui demande de dessiner un classic capable de s'imposer sur le circuit de l'époque: Fastnet, Semaine de Cowes, Channel Race, Cowes-Dinard et autres classiques dans le nord de l'Europe. Nicholson lui dessine une coque de 20,74m pour un déplacement de 38 tonnes. Son gréement de cotre marconi est typique des années 30, avec queue de malet, bout dehors et yankee en tête. Baptisé Fire Bird X, ses lignes racées rappellent l'élégance et la légèreté des 12M JI, tout en bénéficiant d'une construction plus robuste adaptée à toutes les conditions de mer et de vent, et suffisamment confortable pour partir en croisière. Sa coque à voûte élancée est bordée de teck pour les œuvres vives et d'acajou pour les œuvres mortes, le tout sur une alternance de deux membrures en acacia pour une en acier.
Jusqu'en 1939, Fire Bird X va écumer avec panache toute les régates organisées par le RORC. Mis au sec et épargné des dégâts de la Seconde Guerre Mondiale, il sera revendu après le conflit à Hugh M Crankshow, puis à J.E Green, qui continuent de le faire régater. Son allure est modifiée avec la suppression de son bout dehors et de sa queue de malet mais son gréement de yawl lui permet de rester compétitif face à ses concurrents.
Une reconversion dans la croisière
En 1962, Pierre Cointreau, le producteur de la liqueur du même nom, le rachète et le rebaptise Flame II. Préférant la croisière à la régate, l'industriel bon vivant fait adapter au sein du chaleureux carré en bois moulé, une cave à vin digne de ce nom. Basé en Bretagne sud, il pratiquera ainsi la croisière durant huit années. De 1970 à 1973, il est la propriété du député de Loire-Atlantique et ancien ministre Henri Rey qui le rebaptise Vindellois II et l'emmène en méditerranée.
Un naufrage, puis une renaissance
Revendu en 1973 au trinitain Michel Perroud, il est rebaptisé de son nom d'origine, mais au profit de la langue de Molière. Oiseau de Feu va écumer les régates du sud de la Bretagne durant une décennie. A l'automne 83, Oiseau de Feu est à l'abri sur mouillage dans la rivière d'Auray. Un violent orage éclate, et le bel oiseau prend sa liberté, rompt ses amarres et va s'échouer sur un parc à huîtres. Plusieurs bordés sont brisés, et Oiseau de Feu fait naufrage. Au terme d'un renflouage délicat, la coque blessée est transportée au chantier Rameau pour réparations. Après deux saisons de cabotage en méditerranée, Oiseau de Feu est ramené dans le Morbihan pour y être désarmé durant quatre ans.
Une restauration minutieuse pour ce monument historique
Dans la culture slave, un oiseau de feu est un volatile légendaire issu du folklore des pays d'Europe de l'Est (Russie, Pologne, Ukraine…). Paré de plumes rougeoyantes et venu d'une terre lointaine, il représente en même temps une bénédiction et une malédiction pour celui qui le capture.
Tout cela n'importune pas Pierre Lembo, qui le rachète en 1989. Oiseau de Feu a perdu de sa superbe, et Pierre veut lui rendre son allure d'antan. Le plan Nicholson est alors envoyé en restauration dans le chantier naval de Raymond Labbé, à Saint Malo. Le chantier Labbé est à l'époque le plus compétent dans la restauration de telles unités. C'est d'ailleurs ce chantier qu'Éric Tabarly avait choisi pour restaurer son fidèle Pen Duick, remis à l'eau la même année que l'arrivée de Oiseau de Feu.
Tout est repris et vérifié, de la quille à la tête de mât. Et le bilan est sévère. L'eau douce accumulée durant les quatre années au mouillage ont détérioré la coque. De nombreuses varangues seront changées, tout comme le safran, l'étambot certaines parties de la quille. Le pont sera entièrement changé, l'équipe de charpentiers délaissant le pin au profit du teck. Tous les aménagements intérieurs seront refaits à l'identique de 1937, notamment la multitude de panneaux moulurés qui composent le carré et les cabines.
L'architecte naval Guy Ribadeau-Dumas lui dessine un nouveau gréement plus élancé, les espars en Spruce étant remplacés par du pin d'Oregon. Et c'est après ce chantier réalisé dans les règles de l'art que Oiseau de Feu accède au titre de monument historique français, le 6 novembre 1992. Après quelques saisons en bretagne, il est maintenant basé à Marseille, où il est suivi avec attention par son actuel propriétaire. Oiseau de Feu continue d'écumer le circuit des régates de classic, avec le même panache qu'au début du siècle.