Dossier / Victoire dans la transat anglaise de 1964, Éric Tabarly entre dans la légende

Avec un départ le 23 mai et une arrivée le 18 juin 1964 (il y a tout juste 57 ans), Éric Tabarly va traverser l'Atlantique Nord de Plymouth à Newport en 27 jours. Une victoire dans la transat anglaise qui va marquer un tournant pour la plaisance en marquant les esprits.

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Le 23 mai 1964, Éric Tabarly prend la mer depuis Plymouth pour participer à la seconde édition de la Transat anglaise. Le règlement est simple relier les États-Unis (Newport) depuis l'Angleterre en temps réel. Le premier qui arrive a gagné !

Lors de la première édition 4 ans plus tôt, c'est Francis Chichester qui a remporté la victoire sur Gipsy Moth III en 40 jours. Ce marin britannique légendaire espère mettre moins de 30 jours sur le même bateau pour cette édition. Ce sera sans compter sur le jeune français Éric Tabarly qui s'est fait construire un voilier tout neuf pour cette édition.

Le départ vent arrière de Plymouth à 15h, voit les concurrents s'élancer. Tarbarly se met immédiatement en mode compétition et envoie le spi. N'ayant pas encore inventé la chaussette, il utilise des brins de laine pour envoyer totalement la toile avant qu'elle ne se gonfle. Sur Pen Duick II, le spi mesure 82 m2. Dès la tombée du soir, alors que les concurrents se perdent de vue, Tabarly est en tête.

La première semaine est marquée par du vent portant qui laisse à penser au marin français que les concurrents en multicoque devraient avoir la part belle. En effet, Tabarly est déjà conscient que, même s'ils sont durs à mener en solitaire pour éviter de se retourner, ces engins offrent de belles performances dès que le vent se débride. Mais la transat anglaise est normalement une course dans laquelle les navigateurs rencontrent 75% de près. C'est pour cela que Tabarly a demandé a Gilles Constantini de lui dessiner un bateau de près. Et cela va bien lui servir…

Dans la journée du dimanche 31 mai, 7 jours après le départ, par temps très calme, Tabarly se rend compte que la pelle de son pilote automatique a disparu. Il en a une de rechange, mais n'arrive pas à sortir l'axe de l'ancienne, cassé à l'intérieur. À ce moment la course aurait pu basculer, mais le marin se rend compte qu'il doit naviguer sans pilote depuis plusieurs heures. Que celui-ci a dû casser dans le coup de vent précédent. Il découvre ainsi que Pen Duick II est particulièrement stable même barre amarrée. Il décide donc de continuer la route même si dans sa tête, il ne peut plus prétendre à la victoire vu qu'il est environ au tiers du parcours.

Une mise à l'eau tardive

Si Éric Tabarly a aussi peu d'expérience sur son voilier, c'est que Pen Duick II a été mis à l'eau seulement 10 jours avant le départ de la course. Et que la seule mise au point s'est faite lors du convoyage de La Trinité à Plymouth. Le marin se rend compte que le voilier peut évoluer barre amarrée surtout au près. Au travers, il invente un système en ramenant l'écoute de trinquette au vent sur la barre pour abattre dans les risées, un Sandow assurant le lof. Et ça marche. Tabarly peut continuer à prendre du repos. Heureusement, il avait prévu un compas sur la table à cartes, en plus du compas extérieur, et même un troisième accroché au plafond de sa couchette. Ainsi où qu'il se trouve il peut vérifier que le bateau avance sur le bon cap.

Une course difficile

La course sera marquée par de nombreuses variations de vent qui oblige le marin à beaucoup manœuvrer. Sa combinaison de voile d'avant (Yankee, Foc 1, Foc 2, trinquette et voile d'étai) l'obligeait à de nombreux changements de voile pour supporter les changements météo.

En plus sur ce bateau, Tabarly avait le choix de ne pas avoir de rouf pour protéger le cockpit. En effet, esthète, Éric Tabarly ne trouvait pas joli le rouf proéminent. Il jugeait qu'il n'allait dans sa cabine que pour s'assoir ou dormir. La hauteur sous barrots à l'intérieur de Pen Duick II n'est que de 1,50 m. Pas besoin de tenir debout !

Au-dessus de la table à cartes, Tabarly a fait installer une bulle qui lui permet de surveiller l'extérieur tout en restant au sec. Issue de ses expériences d'aviateur, cette bulle sera ensuite reprise sur de nombreux voiliers.

Dormir en pyjama

Pour Tabarly le sommeil est très important. Or, il dort mal dans son ciré mouillé. Le marin n'hésite donc pas de dévêtir et d'enfiler son pyjama quand il regagne sa couchette ! Si aujourd'hui les marins ne quittent plus leur ciré pendant plusieurs jours, il faut avouer que les vêtements de l'époque n'ont pas grand-chose à voir. Pas question ici de veste respirante ni de polaire chaude. Le pull en laine et la vareuse suffisent par beau temps et le ciré en PVC jaune ne respire pas. Une serviette en éponge est même ajoutée pour assurer l'étanchéité du col !

Une arrivée triomphale

Ce n'est que lorsqu'il va couper la ligne que le marin entendra (sans en être vraiment sur) : "You are the first !" Tabarly aura mis 27 jours et devancera tous ses concurrents, notamment Francis Chischester arrivé second en juste moins de 30 jours (3 minutes avant 30 jours !).

Dans son livre Victoire en Solitaire paru chez Arthaud, Éric Tabarly analyse les routes de ses concurrents et détaille ses choix. Notamment celui du dessin de Pen Duick II, un voilier en contreplaqué très léger pour l'époque et dessiné pour bien marcher au près. Même s'il essayera d'autres gréements sur ce même bateau par la suite, il est content de son choix de ketch, un peu sous toilé qui le rend facile à manœuvrer par un homme seul.

Pourtant, le marin est certain que pour gagner la course, il faut partir avec un voilier dessiné pour l'épreuve. C'est ce qu'il fera ensuite en imaginant le trimaran Pen Duick IV même s'il n'arrivera pas à prouver le bien-fondé de son idée.

Cette course et la victoire du français marqueront la plaisance. Elle aura un écho national et sonnera le déferlement de plaisanciers vers ce sport. La course à la voile passionnera et les Anglais seront toujours un peu frustrés devant la facilité du marin. Lui restera de glace devant cet engouement, restant discret et continuant son chemin de marin qu'il va tracer.

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Pen Duick II La fiche technique
3.40 mLargeur - Bau
15.00 mTirant d'air (hauteur maxi)
6 500 kgDéplacement lège
Voir la fiche technique du Pen Duick II
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