Un ketch pour naviguer dans le Pacifique
En 1973, Jack Grout, célèbre "yachtmen" des années 60-70 décide de se faire construire un ketch de 20 mètres, avec lequel il naviguera dans les îles du Pacifique. Il se rapproche alors de l'architecte Georges Auzépy-Brenneur, auquel il demande un voilier inspiré des formes de Wild Rocket, une goélette de 19,3 m, dessinée par l'architecte en 1972.
Le bateau est baptisé Léonard Normand III et sa construction débute au chantier "Nautic Saintonge" à Saujon, en Charente-Maritime.
Naissance de la première Whitbread Round the World Race
Mais finalement, Jack Grout a vent de la création d'une nouvelle course au large, la Whitbread Round the World Race, dont le départ de la première édition sera donné le 8 septembre 1973. Cette course autour du monde se déroule en équipage et compte 4 étapes :
- Portsmouth – Le Cap
- Le Cap – Sydney
- Sydney – Rio de Janeiro
- Rio de Janeiro – Portsmouth.
Le navigateur décide alors d'y participer et demande au chantier d'effectuer quelques modifications. Dans le même temps, il démarche des entreprises pour financer son projet.
Un nouveau nom pour le voilier
Kriter est présent en tant que sponsor dans le monde du sport depuis les années 1960. Mais l'entreprise cherche à diversifier ses actions de sponsoring et s'intéresse notamment au monde la course au large. La marque de vin pétillant décide alors d'embarquer dans l'aventure de la Whitbread et de sponsoriser le bateau, qui prend alors le nom de Kriter.
Ils seront quatre équipages menés par quatre skippers de renom, même si Jack Grout assurera le commandement du bord tout au long de la course :
- Michel Malinovski – Portsmouth au Cap
- Alain Glicksman – Le Cap à Sydney
- Jack Grout – Sydney à Rio
- Alain Maupas – Rio et Portsmouth
Mise à l'eau et baptême
Kriter est mis à l'eau le 2 juin 1973 au port de Royan après un long (très long) périple de plus de onze heures ! Les dimensions du voilier rendent la manutention et le transport compliqué, depuis la sortie du hangar – qu'il aura fallu agrandir – jusque dans les rues sinueuses.
Le voilier est d'abord baptisé par l'abbé Hélias, lui aussi marin, puis par sa marraine qui brise sur sa coque un magnum Kriter de Brut 1969. En fin de journée, le bateau touche enfin l'eau !
Un nouveau chantier
Pendant trois semaines, le voilier reste dans le port de Royan afin d'être mâté. Il rejoint ensuite Honfleur, son port d'entrainement, où il restera jusqu'à son départ pour Portsmouth le 28 août 1973. Mais lors d'une mise à sec, plusieurs anomalies sont détectées sur la coque du bateau, qui vient tout juste de sortir du chantier…
Kriter rejoint le Havre pour un chantier de 6 jours, débuté le 21 août 1973, effectué par six des douze membres d'équipage. Le carénage doit être entièrement refait, la peinture s'étant écaillée par endroits, tout comme l'enduit sur le safran et la quille. Un des arbres d'hélice a également été mal aligné, provoquant la rupture des soudures d'un des supports.
Le bateau est finalement remis à l'eau le 27 août, avant de larguer les amarres pour l'Angleterre le 30 août au matin, qu'il rejoindra dans la journée.
Départ de la Withbread
Portsmouth – Le Cap
Le départ de la première Whitbread Round the World Race est donné le 8 septembre 1973 dans la rade de Portsmouth. Des milliers de personnes sont présentes sur l'eau pour célébrer le départ des 19 voiliers, dont 6 Français, parmi lesquels Kriter bien sûr, mais aussi Pen Duick VI mené par Éric Tabarly, ou encore Pen Duick III, aux mains de M. Cuiklinski.
Sur la première étape entre Portsmouth et le Cap, les nouvelles sont rares. Kriter prend la tête après le démâtage de Pen Duick IV d'Éric Tabarly. Mais empêtré dans une zone de calme quelque temps plus tard, il se classera finalement 9e en temps compensé sur ce premier parcours.
L'on apprendra à l'arrivée en Afrique du Sud qu'un des membres d'équipage est tombé à l'eau, mais a pu être récupéré.
Le Cap - Sydney
Pour la 2e étape, Alain Glicksman a remplacé Michel Malinovski à barre de Kriter. Le départ est donné le 7 novembre1973, et Éric Tabarly a réussi de justesse à gréer un nouveau mât sur son bateau. Sans coordonnées GPS et avec des radios qui fonctionnent mal, il est difficile d'obtenir des informations sur les positions de chacun. Ainsi, l'intox règne en maitre et chacun y va de son pronostic sur le classement des bateaux.
Mais cette 2e étape rappelle aux marins la dure loi de la mer. 12 jours après le départ, Paul Waterhouse (équipier anglais sur le navire italien Tauranga) tombe à la mer lors d'une tempête dans l'océan Indien. Quatre jours plus tard, le français Dominique Gillet (co-skipper du navire 33Export) disparait à son tour en mer.
Kriter termine à la 3e place du classement, mais ces épisodes dramatiques ont marqué les équipages, qui sont sur les nerfs. À bord de Kriter, Jacques Grout, qui devait prendre la barre du bateau pour la 3e étape abandonne. Il est alors donné le choix au marin de continuer ou d'abandonner la course. C'est finalement Alain Glicksman qui reste aux commandes du navire, secondé par Michel Malinovsky, venu lui prêter main forte.
Sydney – Rio de Janeiro
Le départ de la 3e étape est donné le 29 décembre 1973, Éric Tabarly est obligé de regagner Sydney trois jours plus tard, suite à un deuxième démâtage, et abandonne la course.
La flotte subit de nombreuses avaries, dont Kriter, qui navigue en tête avec Sayula, navire mexicain. L'équipage doit continuer de naviguer avec un pont qui s'est désolidarisé et jongler avec les icebergs.
Au passage du Cap Horn, le 26 janvier 1974, Kriter profite d'une fanfare organisée par le navire de surveillance de la Royal Navy, charger de contrôler et faciliter le passage du célèbre bout de terre. À l'arrivée à Rio, Sayula arrive trois heures devant Kriter, le bateau se classant encore une fois 3e de l'étape.
Rio – Portsmouth
Voici venue la dernière étape, mais cette fois-ci, la flotte est séparée en fonction de la jauge des bateaux. Ainsi, Kriter quitte le Brésil en compagnie de Sayula, Second Life et Burton Cutter (Grande-Bretagne). L'équipage de Kriter rallie l'Angleterre en 8e position et termine 4e au classement général de la course après 141 jours et 2 heures de course.
Michel Malinovski et Alain Glicksman recevront leur trophée des mains du Prince Philip le 4 juin 1974.