Un équipage de choc
Le capitaine Yorick Maguin et le second du navire, Vanessa, sa femme, le voulaient dur comme fer : "Partir un jour en famille à bord d'un voilier pour vivre une expérience humaine, découvrir de nouveaux ports et de nouveaux pays, des cultures différentes, et les faire découvrir à nos enfants."
Yorick a 25 ans quand il découvre le monde de la mer pendant ses études dans les Landes, par quelques régates sur Class 8 et par une navigation de plusieurs jours entre le Cap Breton et l'Ile d'Yeu sur un monocoque de 12 mètres. Cette passion naissante trouve son écho dans le couple qu'il fonde avec Vanessa, rencontrée à Nantes où il s'est installé pour son activité professionnelle. Les nombreux clubs nautiques locaux (CVAN, CMN puis CNP) leur permettent d'explorer cet univers sur des 420 et des J80. Tous les aspects du métier de marin sont appréhendés : les termes techniques, les allures d'un voilier, la météo, l'amarrage, les manœuvres de port, la navigation en sécurité…
L'achat de leur premier voilier, Pépito un Aquila 8.50, sera comme une évidence et le point de départ de l'aventure familiale. Il est alors temps de découvrir des notions complémentaires comme le carénage, les énergies à bord, la mécanique du moteur in-bord, la navigation de nuit, la prise de ris en autonomie…
"La vie en bateau, la voile nous apportait énormément", raconte Vanessa. Les blogs de voyage en voilier nourrissent alors la passion du couple.
Lou pointe le bout de son nez en 2018 et la famille s'organise autour du boulot, de la nounou, et des week-ends à bord de Pépito, basé au Crouesty. Le terrain de jeu en baie de Quiberon est plaisant, mais le temps file trop vite, et laisse un goût d'inachevé. "On ne profite de rien. C'est le bon moment, il ne faut pas attendre. On a les capacités, on fonce !" La décision est prise mais l'espace commence à manquer sur Pépito alors que le dernier moussaillon, prénommé Peyo, est déjà bercé dans le ventre de sa maman par le mouvement de l'océan. Il faut un voilier plus grand pour accomplir ce changement de vie radical avec femme et enfants.
Une rencontre déterminante avec Carmina.
Yorick sait ce qu'il veut ! Repéré sur un site de vente entre particuliers, cet Oceanis 390 de 1987, plan Briand construit chez Bénéteau qui rentre d'une transat autour de l'Atlantique, sera donc le robuste et spacieux compagnon des aventures familiales.
Équipé de 3 cabines doubles, d'un carré spacieux et lumineux ouvert sur la cuisine équipée, avec un maître-bau de 4 mètres, ce monocoque de croisière bien équipé offre tout le confort nécessaire à ce projet.
Des aménagements et équipements complémentaires sont réalisés sur Carmina tels que l'installation de filets de filières, le changement des parebrises et hublots de roof d'origine, un nouveau mat (non prévu au budget…), le changement de la voile de brise gréée sur un étai largable, et des étagères et rangements intérieurs pour optimiser l'espace. Les chambres spacieuses des enfants sont aménagées pour recréer leurs univers, avec profusion de peluches, jeux et livres. Une planche capitonnée au bout des lits est ajoutée pour éviter des chutes en navigation.
Il est temps de couper les ponts en juin 2020, dans un contexte sanitaire tendu.
La vie sur un voilier : un long fleuve tranquille ?
Le financement de cette vie sur le voilier est possible grâce à des années d'économies et au congé parental de Vanessa. "En faisant attention, un SMIC mensuel suffit pour vivre à 4". En effet, les postes de consommation les plus importants que sont les énergies à bord sont produites grâce aux énergies naturelles, panneaux solaires et éolienne, et permettent une autonomie à 100 % en été.
Les réserves d'eau douce sont précieuses à bord : il faut y être très attentif. L'eau de mer est une ressource à profusion et sert pour les vaisselles, les WC, et les douches au mouillage. Dès lors qu'il y a des travaux à réaliser sur un voilier, le budget peut rapidement exploser (en cas de coup de vent, de mauvaise manœuvre, d'incident moteur…). "Pour l'instant ça se passe très bien. D'ici un an, il faudra sans doute trouver un boulot pour alimenter la caisse de bord."
Il y a aussi les mauvaises surprises : "Peyo a eu le mal de mer entre le Crouesty et Pornic au près avec 25 nœuds et une mer formée : 9 heures avec le petit qui te vomit dessus... !"
Il y a donc des moments de doute, mais à chaque difficulté, il faut essayer de trouver des solutions, s'adapter sans abandonner.
"C'est un gros engagement, ce choix de vie. Cette vie différente et assumée nous recentre sur l'essentiel qui est notre famille, et nous permet de projeter un regard différent sur la société, regard partagé avec nos enfants. Plus simplement, avec moins de choses, on devient minimaliste, et plus proche de la nature.
Il a fallu que nous vivions sur un voilier pour en prendre conscience et nous questionner sur notre impact sur la faune marine. Nous nous interrogeons chaque jour sur nos actes et leur impact sur l'environnement." Le voilier est le moyen de vie et de transport idéal pour montrer qu'à bord, il est essentiel et possible de produire le moins de déchets possible.
Ce couple de trentenaires avec deux jolis bambins rieurs et joufflus de 3 ans et 18 mois a donc trouvé une forme d'harmonie sur Carmina, et renoué un lien privilégié avec la nature.
Est-ce le nouveau modèle de la famille moderne du 21e siècle, engagée et assumée ?
Leur association, rebaptisée "Projet Horizons" NAVIGUER ET PARTAGER, permet de pérenniser de ce rêve. Une première étape et un départ de Lorient le 13 mars 2020 sonnent le début d'un périple de plusieurs mois sur les côtes françaises, du Nord au Sud, un tour de France vertueux et écolo durable avec de nombreuses escales.
Grandir en flottant - Eve MASSART
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