Obligé d'abandonner le Vendée Globe 2020 suite à un démâtage, Nicolas Troussel avait rejoint Mindelo, au Cap Vert. Depuis le bateau a été rapatrié à Lorient pour un chantier hivernal. Parmi lequel, un renforcement de la coque. Un chantier qui avait déjà été effectué en septembre 2020, suite aux navigations réalisées au cours de l'année.
Conscients de ne pas pouvoir beaucoup naviguer en raison de la crise sanitaire, la team avait pris le parti de naviguer hors course dans toutes les mers et fronts possibles pour "tirer sur le bateau" le plus possible.
Pourquoi renforcer la coque de l'IMOCA Corum l'Epargne ?
"D'une part, on a constaté à quelques endroits de la coque des impacts internes qui avaient altérés le sandwich. On avait déjà renforcé la coque en septembre dernier, suite à nos navigations de l'année passée, notamment quand on a navigué dans 35 nœuds. D'autre part, on explore de nouveaux horizons et on découvre de nouveaux comportements de bateaux avec ces foilers de dernière génération. Ces problèmes de coque ne touchent pas seulement ces nouveaux bateaux puisque même des bateaux sans foils ont rencontré des problèmes de coque sur le Vendée Globe.
Notre bateau va évoluer dans son comportement, donc on a décidé de faire un renforcement plus global. Dès le début de la construction notre cahier des charges était de construire un bateau le plus solide possible, encore plus que les générations 2020 déjà renforcé.
Il faut garder à l'esprit qu'on explore de nouvelles voies de navigation. On ne navigue pas en plan d'eau protégé comme sur la Coupe de l'America, on n'a pas de plans porteurs comme sur les Ultimes."
Des difficultés à modéliser le comportement du bateau
Aujourd'hui – même si ça a toujours été le cas – les bateaux sont soumis à de violents impacts, à la différence qu'aujourd'hui, les IMOCA sont de plus en plus rapides, juchés sur leurs grands foils.
"Il y a plusieurs notions d'impact, ce n'est pas seulement quand le bateau tape sur les vagues, il y a aussi la manière dont les vagues déferlent sur la coque. Pour l'instant, la notion d'impact est encore méconnue et impossible à simuler. Il suffit d'un petit angle de gîte, de vague… Un impact même très léger peut avoir des impacts différents. C'est bien plus complexe que juste un bateau sur l'eau, il y a des phénomènes d'impact, de torsion… C'est difficile de modéliser des comportements de bateau, on ne sait pas modéliser parfaitement les choses. Mais c'est ce qui rend la chose passionnante."
Quand on a conçu Corum, on a fait les choses de la manière la plus responsable possible, conscients d'envoyer un ou des marins loin des terres, au large, et surtout avec un objectif de finir la course. Et la solidité du bateau est importante. Avec Michel Desjoyeaux et Juan Kouyoumdjian (NDLR : l'architecte du bteau), on voulait un bateau costaud et fiable. Ils ont pris des marges significatives mais elles s'avèrent insuffisantes sur certaines zones du bateau, ce sont aussi des zones que l'on découvre.
Malgré tous les outils et développements informatiques, il est difficile de modéliser parfaitement le comportement des bateaux. On pense prendre des coefficients de sécurité conservateur, mais on s'aperçoit qu'ils ne sont pas suffisants. On ne peut s'en prendre à personne. On explore de nouveaux modes et de nouveaux horizons, ça fait partie de notre sport."
Si l'équipe de Corum l'Épargne a donc pris l'option de renforcer sa coque, c'est sur un choix délibéré de leur part, et non d'une consigne de la classe IMOCA. D'ailleurs, le team réalise régulièrement des inspections par ultrasons de la coque.
Pourquoi retourner le bateau pour effectuer des réparations ?
Mais alors, pourquoi retourner le bateau pour effectuer les travaux ? Autant avait-on l'habitude de voir des bateaux couchés sur la tranche, mais à l'envers…
"On l'a retourné parce que l'on voulait voir s'il était aussi joli à l'envers qu'à l'endroit. Et puis il n'y a plus de test à 180°" s'amuse Greg Evrard.
Plus sérieusement, il s'agit avant tout d'un choix ergonomique, comme nous l'explique le Directeur de l'équipe.
"On va effectuer les travaux par le fond de coque, par l'extérieur. C'est donc beaucoup plus ergonomique d'avoir le bateau dans ce sens-là. Ça permet aussi d'utiliser la gravité pour tout ce qui est imprégnation. C'est une source de qualité supplémentaire."
Pour renforcer la coque de l'IMOCA, le team a fait le choix de remplacer l'âme par une mousse plus dense, pour renforcer et homogénéiser la coque. Si des renforts structurels avaient déjà été opérés à l'avant du bateau l'année passée, il n'est pas impossible d'en rajouter, même s'il n'y a pas de "nécessité structurelle." Avec ces travaux, le bateau va prendre un peu en poids, ce n'est pas un souci pour Greg Evrard
"L'âme est plus dense donc ça va avoir une contrepartie sur le poids. Mais ce n'est pas le souci. Entre la fiabilité et le poids, on a toujours choisi la fiabilité. On n'est pas des joueurs inconscients. Quand j'entends qu'on a décidé de construire une Formule 1 des mers, ce n'est pas véridique, l'objectif premier c'est d'abord d'avoir un bateau solide pour faire un tour du monde.
Les bateaux de cette génération-là sont les bateaux les plus solides jamais construits jusque-là mais comme ils vont plus vite et, avec des notions d'aériens, il faut gérer ça, et c'est ce qui est le plus difficile à modéliser. Ça concerne toutes les catégories de bateaux, et pas seulement ceux avec des grands foils. Les nouveaux foilers n'ont pas le monopole des problèmes de structures. De toutes les générations, tous les bateaux ont toujours eu des problèmes de structure.
Le cas des foils
Si les bateaux doivent être renforcés pour supporter les impacts, c'est aussi parce qu'ils vont beaucoup plus vite qu'avant, notamment grâce à leurs foils.
"Aujourd'hui, on cherche à aller plus vite. Les foils sont absolument géniaux et on est loin d'être au bout. C'est la préparation des marins qui a été trop courte en raison de la situation sanitaire, les échanges techniques réduits. L'évolution des bateaux est magique. Ça me passionne et ça se fait de manière raisonnée en course au large. Mais oui on explore. Quand on regarde le paysage, il y a des problèmes de structure sur tous les bateaux, des problèmes de chocs avec des OFNI sur tous les bateaux. Ce n'est pas apparu sur ce Vendée Globe. Ce ne sont pas les foils qui causent des chocs. Les foils permettent d'aller plus vite, c'est pour ça qu'on les installe.
En 2016, on n'y croyait même pas aux foils. Et finalement, sur ce Vendée Globe, ils sont 5 foilers de dernière génération sur 8 à terminer la course, même s'ils ont rencontré des problèmes ou ont eu des contretemps. On va plus vite, on progresse, on continue à évoluer, à échanger et je ne crois pas que l'on soit dans un délire, pas quand l'objectif principal est de terminer le Vendée Globe."