Interview / IMOCA à foils ou dérives : pourquoi de si faibles écarts dans le Vendée Globe 2020 ?

© Stéphane Maillard #VG2020

Personne n'aurait pu imaginer le scénario qui se déroule actuellement sur le Vendée Globe 2020. Les foilers de dernière génération, naviguant au contact des IMOCA à dérives droites… Alors, comment expliquer ce regroupement d'une flotte hétéroclite ? Les foils sont-ils toujours l'avenir de l'IMOCA ? Quentin Lucet, architecte chez VPLP répond à ces questions.

Un Vendée Globe 2020 qui suscite le questionnement

De mémoire de Vendée Globe, jamais aucune course n'aura été aussi imprévisible… Temps de course rallongé, flotte compactée, diverses générations d'IMOCA regroupées…

"C'est sûr que le déroulement de la course ne faisait pas vraiment partie des scénarios envisagés au départ, par qui que ce soit…" débute Quentin Lucet, architecte chez VPLP.

Il faut dire qu'avant le départ de la course, tous les architectes ne démordaient pas sur la suprématie des foilers de dernière génération… Alors, comment expliquer ce tel regroupement et une navigation au contact entre des bateaux à dérives droites de 2007 et des foilers né en 2019… Certes, la météo est responsable pour beaucoup de ce schéma jamais-vu, mais ce n'est pas la seule explication, comme nous le détaille l'architecte.

"Sur toutes les régates d'avant-saison et les transats qui ont pu avoir lieu, la hiérarchie était respectée en fonction des bateaux archimédiens, à petits et grands foils, les foilers de dernière génération étant bien devant sur les courses. Or sur ce Vendée Globe, il y a pas mal de choses qui ne se sont pas déroulées selon les enseignements tirés de ces années de suivi des bateaux avant le départ" explique Quentin Lucet.

Le foiler Hugo Boss, génération 2019
Le foiler Hugo Boss, génération 2019

Des conditions de vents et de mer non favorables aux foilers de dernière génération

"Nous n'avions pas d'éléments de réponse, avant le départ, quant au comportement des nouveaux foilers, mais aussi de la génération 2016, dans les océans pacifique et indien. On s'est rendu compte que les trains de vagues qu'ils ont rencontrés dans l'océan Indien n'étaient pas forcément représentatifs de ce qu'ils avaient vécu sur une transatlantique. Concrètement, les bateaux ont des potentiels de vitesse vraiment forts, nous n'avons aucun doute à ce sujet, mais ce n'est pas facile de trouver le rythme qui va bien pour ménager à la fois l'humain et le bateau dans ces systèmes de vagues de ces deux océans."

Car si les marins avaient bien en tête les conditions rencontrées sur le dernier Vendée Globe, tous déclarent aux vacations ne pas retrouver ce qu'ils avaient imaginé.

"On se base sur des statistiques de vent ou de vagues pour dessiner les bateaux, et chaque édition du Vendée Globe a ses spécificités. Avant le passage du Cap Horn, les conditions n'ont pas été favorables aux nouveaux designs. En 2016, on s'était vraiment rendu compte de l'utilité des foils et de la différence de performance avec les bateaux à dérive droite. En 2020, on n'a jamais vu une flotte aussi compacte.

Sur les 3 dernières éditions, le temps de parcours réduisait environ de 4 jours. Cette année, même Maitre Coq au Cap Horn, avait près d'une semaine de retard sur Armel le Cléac'h alors qu'il est réellement dans une configuration de bateau de la génération 2016. On se rend bien compte que cette édition du Vendée Globe 2020 n'a pas été favorable à exploiter le potentiel des bateaux. Il y a eu beaucoup plus de phases où les skippers étaient en mode survie."

Apivia, 1er de la flotte ce 19 janvier 2021, génération 2019
Apivia, 1er de la flotte ce 19 janvier 2021, génération 2019

Les foils remis en question ?

Alors justement, cette édition 2020 va-t-elle remettre en question l'avenir des foilers ? S'ils démontrent toute leur puissance sur des traversées de l'Atlantique, sont-ils vraiment adaptés pour un long tour du monde ? Les premiers de la flotte ont désormais passé le Pot au Noir et si les conditions sont celles que l'on rencontre habituellement dans l'Atlantique, alors les foilers devraient tirer des bénéfices par rapport aux bateaux sans foils.

"Ça va remettre des choses sur la table. Il n'y a aucun doute sur le fait qu'il faille faire des bateaux à foils pour rendre les bateaux plus performants. Mais on doit tirer des conclusions du fait que les skippers ne tirent pas forcément des bénéfices de ces appendices tout le temps. Ça amène d'autres questionnements, notamment sur les phases où ce n'est pas intéressant d'avoir un bateau sur ses foils. Comment peut-on autoriser un fonctionnement performant sans avoir de pénalité dû aux foils ? L'escamotage, la robustesse sont des réflexions à mener…"

Apivia, 2e de la flotte ce 19 janvier 2021, génération 2008
Apivia, 2e de la flotte ce 19 janvier 2021, génération 2008

Repenser la génération d'IMOCA 2024

"Dans le cadre de la conception des nouveaux bateaux, c'est intéressant d'analyser le coup de boost apportés par ces foils. Il faut maintenant trouver le bon fonctionnement en mode dégradé, quand la mer ou le vent ne permettent pas d'exploiter le fonctionnement des foils.

On devrait rester à priori sur des grands foils. Peut-être que le compromis va se trouver entre des foils de génération 2016 et 2020. Nous avions déjà eu des discussions pour la génération 2020, sur le fait que les foils étaient encore peut-être trop proéminents à l'extérieur du bateau, une fois rétractés.

Alex Thomson avait choisi une configuration qui lui permettait d'escamoter ses foils quand il ne voulait pas les utiliser. C'est une configuration choisie également par Sam Manuard sur l'Occitane en Provence. Une fois rétractés, les foils ne trainent pas dans l'eau et ne génèrent pas des comportements de bateaux qui ne soient pas maitrisables. C'est une des voies de travail pour ne pas se retrouver dans des situations compliquées."

Une chose est sûre, les foils ont encore un bel avenir dans la conception des IMOCA. La preuve en est avec Linked Out, privé de son foil bâbord et pourtant toujours dans la course.

"À mon avis, le bout de foil qu'il reste à Thomas Ruyant est plus grand que ceux de la génération de 2016, ce qui veut dire que, possiblement, il peut atteindre des vitesses similaires à celle de Bureau Vallée 2, même avec un foil amputé."

Cette édition du Vendée Globe, si elle n'est pas une course de vitesse comme imaginée avant le départ, aura au moins le mérite de soulever de nombreuses questions.

"On a franchi une énorme marche technologique depuis la génération de 2016. Tous les skippers étaient bien conscients qu'ils n'avaient pas eu la possibilité de naviguer dans toutes les conditions que l'on rencontre sur un Vendée Globe. C'est super riche d'échanger avec eux et de remettre en place un cahier des charges d'utilisations et de performances. Ce n'est pas le bateau le plus rapide en vitesse maximale qui s'en sort. C'est que l'on peut voir sur ce Vendée Globe."

Bureau Vallée 2, 4e de la flotte au 19 janvier 2021, génération 2015
Bureau Vallée 2, 4e de la flotte au 19 janvier 2021, génération 2015

Car finalement, si le potentiel des nouveaux foilers est vraiment supérieur aux anciennes générations, les marins ne peuvent l'exploiter au maximum. Ils s'évertuent d'abord à préserver leur monture et leurs corps.

"Les prochains objectifs vont être d'étudier comment faire pour mieux exploiter son bateau. Il semblerait qu'aujourd'hui les choix tactiques aient été prépondérants à la vitesse du bateau. Exploiter un Bureau Vallée 2 à 90 % de son potentiel ou un Linked Out ou un Malizia à 70 %, fait partie de ces problématiques à creuser pour sortir le futur bateau de la génération 2024 qui soit le plus performant possible.

Sur les dernières transats (Jacques Vabres ou Route du Rhum), la question ne se posait même pas. Les grands foils étaient évidents. Les retours des marins confirmaient également la nécessité d'avoir de grands foils pour figurer dans le Top 5."

Aujourd'hui, il va donc falloir travailler sur un compromis entre des bateaux performants sur des transats et sur un tour du monde. Et si le travail sur les foils est une piste de réflexion, il va falloir également travailler sur l'ergonomie des bateaux.

"Du fait de la vitesse, le mieux-être à bord est aussi un gage de performance. C'est un peu plus nouveau et présent dans les conceptions des nouveaux bateaux. Ils sont vraiment durs et si l'on sait ce que les hommes sont capables d'encaisser sur une transat, sur un Vendée Globe, une course vraiment longue, c'est surement différent."

La conclusion ?

"Il faut prendre un peu de recul par rapport à la situation. Il n'y a pas vraiment de doute sur le fait qu'un bateau à foils soit plus performant sur une course, même un Vendée Globe. Mais il va falloir s'assurer de l'utilisation d'un foiler en mode dégradé ou survie, trouver la bonne configuration pour que le bateau puisse avancer sur des vitesses plus élevées que les non foilers. Les grands foilers passent de vitesse de 30 nœuds à 15 nœuds. C'est très violent, très dur, et potentiellement, les skippers lèvent le pied parce qu'ils ont l'impression de malmener leur bateau. Ils sont vigilants par rapport à ça.

Finalement, il n'y a pas vraiment de projection et ça fait partie du jeu. Quand les conditions ne permettent pas d'exploiter tout le potentiel de son bateau, il est seulement à 70 % de ses capacités."

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