"Adolescent", nous expose Nicolas, "je rêvais de faire le tour du monde. Mon enfance a été bercée de récits d'histoires, de Stevenson à Jules Verne. J'ai eu la chance de rencontrer Heidi, une amoureuse des voyages, qui a accepté de rejoindre mes rêves et mes envies, mieux, elle y a adhéré." Nicolas nous exprime leurs différences, bénéfiques d'ailleurs à leur projet. "Heidi ne possédait aucune expérience de la voile. A posteriori, je crois que c'est une chose favorable. Nous sommes chacun montés en compétences sur les mêmes sujets (mécanique, navigation, secourisme, météo) avec comme objectif que chacun puisse remplacer l'autre en tout temps et, ainsi, que l'un comme l'autre profite au même niveau du voyage."
Se lancer reste le plus compliqué de l'aventure
Le plus compliqué, dans cette aventure de 7 années, aura été de se lancer et de ne pas revenir en arrière sur ce qui a été décidé. Ne pas se laisser influencer, aussi, ni par l'entourage inquiet ni par les envieux passifs. "On peut classer les difficultés en 2 grandes catégories" détaille le voyageur : "Les contingences, vivre sur un bateau, partir avec suffisamment de stock, mais pas trop, gérer l'insécurité, se préparer à subir des tempêtes ou du mauvais temps extrême. Ce sont là des éléments pragmatiques et factuels qu'on peut gérer en s'organisant."
Au-delà de ces difficultés aisément gérables reste le facteur humain, l'autre, celui que l'on va abandonner représente une difficulté, comme nous l'explique Nicolas. "Il faut entreprendre des choses qui impliquent profondément. Démissionner de son travail représente le premier acte fort qu'on pose. Ensuite, se demander ce qu'on fera après le voyage. Même si 7 années, c'est beaucoup, ça passe vite, très vite, il faut ainsi prévoir cet après ou au moins, y penser. Les proches sont inquiets, c'est compréhensible et rassurant, car cela montre qu'ils tiennent à nous."
Surtout ne pas partir en fuyant
Les proches pensent généralement que le départ pour une telle aventure est motivé par une volonté de quitter son quotidien. "Si on part pour une telle aventure avec comme seule idée de fuir, le voyage est voué à l'échec. Au lieu d'une fuite, nous étions mûs par une envie de découverte. Nous voulions voir l'autre, qu'il soit un pays, un paysage, un humain ou un mouillage. Cet autre est passionnant et captivant."
Séance bihebdomadaire de reproches
À propos de cette vie en commun permanente, comment le couple gérait-il les coups de stress inévitables et les tensions que peut engendrer la promiscuité ? "Les disputes font partie de la vie et donc elles font partie du voyage. Un ami nous avait conseillé d'organiser des séances de reproches, tous les 15 jours, sur le principe d'une bonne engueulade toutes les 2 semaines. En fait, ça ne marche pas, car on n'a en aucun cas de reproche à se faire à ce moment-là."
L'espace restreint d'un bateau, propice à la dispute ? "Lorsque nous avons acquis le bateau, tout nous semblait parfait. J'ai fait remarquer à ma femme que nous ne serions en aucun cas à plus de 10 mètres l'un de l'autre. Y compris lorsqu'on se ferait la tête." explique Nicolas, avant d'ajouter : "Elle m'a répondu que non, c'était une quinzaine de mètres en fait [NDLR la hauteur du mât]. Et ce n'est pas moi qui monte !"
Comment gérer le retour ?
Après les aventures, il faut raisonnablement rentrer un jour. Ce retour, Heidi et Nicolas l'avaient prévu dès le premier jour et savaient qu'il aurait lieu. Un compte à rebours a ainsi démarré lors du départ. "La dernière année de l'aventure, nous l'avons passé à remonter dans des latitudes plus européennes. Elle a été une période d'atterrissage, une sorte de retour lent et progressif à la météo, aux habitudes et aux horaires que nous connaissions. Cela nous a permis de revenir en douceur, sans heurt et sans pleurs." Le retour est aussi celui des contingences de terriens, chercher et trouver un travail, avec les difficultés que ça induit. C'est ce que Nicolas nous détaille : "Heidi a été bien plus rapide que moi à se procurer un travail. Du coup, je restais tout seul à la maison dans la journée. Ça a été une des difficultés aussi, que de passer beaucoup moins de temps ensemble. Nous étions restés ensemble pendant 7 années 24 heures sur 24 et le travail nous a séparés du jour au lendemain."
Même le retour est excitant
Le choc du retour existe réellement, mais il est de courte durée. C'est avec le temps qu'on prend conscience de ce qu'on a vécu comme nous l'explique le navigateur : "Aujourd'hui, nous avons acquis la satisfaction d'avoir réalisé un rêve et d'avoir bénéficié de la chance exceptionnelle que la vie nous laisse le réaliser. Tout le monde a des rêves en tête et nous avons conscience que peu de personnes ont les moyens de les concrétiser. Nous sommes reconnaissants à la vie de nous avoir permis de le faire." Avec des émotions aussi au rendez-vous. "Les retrouvailles sont émouvantes et joyeuses. Nous avions clairement conscience de notre chance, et enfin, après tout ce temps, revenir chez soi est agréable. Home Sweet Home."
Continuer à rêver ?
Peut-on néanmoins continuer d'avoir des rêves et de les poursuivre lorsqu'on a accompli le plus grand de tous qui est la liberté ? Sans doute, selon Nicolas : "On recrée des projets de dimensions différents, mais pas moins importants pour autant. Trouver du travail d'abord. Mine de rien, après 7 années avec d'autres types de contraintes, ce n'est pas neutre. Et faire, aussi les livres, dont un ami nous a donné l'idée [NDLR Hedi et Nicolas ont déjà publié 2 livres : le tour du monde en 80 îles et le tour du monde en 80 ports]." Et se remettre dans l'ordinaire après cet extraordinaire, comme nous explique Nicolas : "Je vis une expérience très prenante dans une entreprise junior actuellement, surtout dans la période actuelle. C'est extrêmement motivant de participer à une construction nouvelle, mais dont l'essence demeure proche de ce tour du monde."
Et sur l'eau ?
On peut imaginer qu'après 7 années passées en mer, l'un sur l'autre, le couple aurait du mal à poser de nouveau les pieds sur un bateau. Qu'en est-il vraiment ? "Nous n'entretenons pas de projet à court terme. Après 60 000 milles passés sur l'eau, "Fleur de Sel" a besoin d'une remise en état." Pas de projet, peut-être, mais des idées bien précises néanmoins selon les explications du capitaine : "On aimerait retourner en Europe du Nord, naviguer sur la baltique. Et aussi explorer le Danemark, la Suède, la Finlande, la Pologne, l'Estonie … Nous voulons des aventures différentes, peut-être moins éloignées de la terre mère. Mais nous repartirons probablement, pour des navigations plus courtes, en été."
On sent bien que s'il est physiquement revenu - et réellement revenu d'ailleurs - Nicolas a changé, il a laissé des petits morceaux de son ancien lui au large. "Je suis revenu, oui, mais différent, grandi et conscient de ma chance. Je connais d'autant mieux mes racines que je m'en suis éloigné, longtemps. J'ai acquis la citoyenneté du monde. C'est une expérience sensible à qualifier, presque mystique. Je savais dès le début qu'il y aurait une fin et un retour, donc il n'y a eu ni douleur ni déchirement. Je tempère la notion de retour, car je ne sais pas ce que signifie revenir. Je n'ai que cessé d'être un nomade, je me suis de nouveau sédentarisé. Mais ce retour à la maison m'a permis d'accompagner certains proches dans leurs derniers jours, c'est le positif que je retiens. Je craignais énormément que cela m'arrive pendant le voyage, je ne sais pas comment je l'aurais vécu alors."
Philosophe, à propos de son aventure, Nicolas continue : "On n'a pas étanché notre soif, mais on a beaucoup bu et c'est agréable." L'aventure a formé, aussi, le navigateur à la vie à terre. "J'ai appris à vivre au jour le jour. Je me contente de plus de simplicité et de simples bonheurs. Je ne souffre plus pour les mêmes choses."
La période actuelle, faite de limitations de nos libertés est certainement compliquée à vivre pour cet épris de liberté ? "Le confinement, nous l'avons vécu pendant 7 années lors des traversées. Je dirais quasi que nous nous y sommes habitués. Puis le premier confinement [NDLR mars 2020] m'a permis d'achever notre second livre [Le tour du monde en 80 ports] . Ça n'aura pas été du temps inutile pour nous. D'autant plus que ces livres ont bien mieux marché que nous ne pouvions l'imaginer initialement !"
Maintenir le contact avec les rencontres
Au cours d'une telle aventure, les rencontres sont nombreuses. Pour autant, garde-t-on le contact avec celles et ceux qu'on a rencontrés. Nicolas nous expose les raisons de cette distension des contacts. "La plupart sont des locaux. Si certains sont proches géographiquement, d'autres sont à l'autre bout du monde. Malgré les moyens de contact modernes, on est loin. Et comme le dit le proverbe, "loin des yeux loin du cœur". Lorsqu'on ne partage plus le chemin de l'autre, on ne vit que sur les souvenirs. L'élastique se distend un peu. Mais ce n'est pas dramatique, le destin est ainsi fait que, inévitablement, on croisera leurs chemins de nouveau dans cette vie." La qualité des contacts est un enrichissement complet au cours d'un tel périple. "Nous avons eu la chance de rencontrer des personnes si différentes, dans leurs cultures, dans leurs métiers ou dans leurs quotidiens, c'est inimaginable. Depuis le routier qui partait travailler 2 soirs par semaine pour délivrer le courrier à l'autre bout de l'Australie jusqu'au villageois du fond de l'Amérique du Sud. Tous les regards que nous avons croisés représentent des cadeaux."
Des conseils pour les marins voyageurs ?
Avec le recul, comment Nicolas conseillerait-il ceux qui, aujourd'hui, aimeraient faire ce qu'il a fait ? "Je ne veux pas donner de leçon. Chacun construira et endurera son voyage. Il ne faut pas essayer de réaliser le même voyage qu'un autre, mais se construire sa propre expérience. Vivez votre aventure et votre voyage, pleinement et selon votre envie. Soyez vous-même, faites votre voyage à votre image. Soyez libre et autonome, toujours prêt à changer d'avis ou d'option, c'est garantir votre liberté sans entraves. Lorsque vous êtes à terre, vivez comme un local, en respectant la manière dont les locaux vivent et en faisant en sorte d'admettre la manière dont ils vivent. Il ne s'agit pas d'imitation, mais de respect du mode de vie de ceux que vous visitez."
Le temps, richesse infinie
Vous l'aurez compris, si Heidi et Nicolas se sont accordés un luxe, c'est celui de la disposition du temps. Nicolas nous cite une anecdote. "À Buenos Aires, on a rencontré un gars qui nous a filé un coup de main pour réparer une pièce époxy. Il nous a dit "ménagez votre temps dans le grand sud. Soyez patients, ne sortez pas par mauvais temps". Il ne s'agissait pas d'un conseil de vieux loup de mer, mais d'une implacable logique. Prenez le temps de le faire et ne le faites pas si vous ne le sentez pas. Il vous reste du temps, c'était là le sens profond de ce conseil. Nous avons eu le luxe de pouvoir nous accorder notre temps, richesse absolue." Pas de contrainte du tout ? "Ça ne veut pas dire que nous n'éprouvons pas de contrainte du tout, mais que nous avons appris à nous projeter sur du long terme. Nous n'étions pas capables de dire où nous allions être la semaine suivante, mais nous savions que nous serions de l'autre côté de l'atlantique six mois plus tard."
Il faut bien conclure une discussion, comme un voyage. Nicolas nous livre la quintessence de son voyage, sa philosophie du mouvement. "Voyagez à la première personne, dans le respect des autres cultures et de la planète."
Le journal de bord d'Heidi et de Nicolas, à retrouver et dévorer sur :