Gérard Petipas est un habitué de la course en mer. Il connaît les histoires et les anecdotes d'à peu près chaque course des deux hémisphères qui se soit tenue au cours des 50 dernières années. Mais il ne demeure pas qu'un historien passif de la course en mer. Il a personnellement, en tant que navigateur, participé à nombre d'entre elles. Notamment la fameuse Sydney Hobart, une course pas si simple qu'il y paraît.
Une mer dure, organique et vivante.
"Aucune course n'est jamais simple ni facile". C'est ce que nous explique Gérard Petipas à propos de la classique australe "Mais la Sydney Hobart représente une course compliquée. C'est une course longue, qui requiert une attention permanente et soutenue. En 1967, nous avons éprouvé une météo défavorable en arrivant dans le détroit de Bass." À propos des mers du Sud, le navigateur complète "La mer y est dure et lourde. Elle est vivante. Lorsqu'elles viennent frapper l'étrave du bateau, les vagues sont agressives et méchantes. C'est une mer organique." La météo changeante participe à cette sensation "Lorsqu'on quitte Sydney, on est en plein été, manches courtes et short. À peine deux jours plus tard, on entre en plein hiver, parkas et cirés. Il n'y a pas de transition comme on peut les observer sur des courses Nord - Sud classiques."
Erreur de rating au classement
Le classement de la course a d'ailleurs été chamboulé, comme nous l'explique le navigateur "Nous voulions arriver premiers au temps réel. Le temps compensé a fait son œuvre, nous avons été classés seconds. Sauf que, quelques mois après, Éric [NDLR Tabarly] s'est rendu compte que le rating appliqué à Rainbow II était incorrect. Bien que le classement officiel soit demeuré le même, nous avons, en fait, remporté la course sur les deux tableaux, temps réel et compensé." Une course remportée en 4 jours et 4 heures par le jeune équipage.
Invités à prendre part à la course par l'Australie
Ce sont des conditions comme souvent surprenantes qui ont provoqué le skipper à embarquer son Pen Duick III sur la course. Son navigateur nous raconte "Nous avions couru toute la saison du RORC, en Angleterre, en Suède et en France. Éric a accepté une invitation des Australiens. Une équipe de l'Admiral's Cup nous a invités à venir courir la Sydney Hobart. C'est l'une des 3 fameuses courses du monde avec le Fastnet et les Bermudes. Bien sûr, ça nous tentait d'aller la courir." Seulement, les conditions matérielles étant ce qu'elles étaient alors, les choses n'allaient pas être aussi simples qu'il y parait. "Il fallait aboutir à des solutions. Pour déplacer le bateau d'une part. Puis pour déplacer l'équipage d'autre part. Seules deux personnes de l'équipage avaient une situation, j'étais officier de marine marchande et Éric, officier de Marine Nationale. Tous les autres étaient soit des étudiants soit des appelés du contingent, sans revenus donc. Éric a trouvé une solution, il a passé un accord avec la compagnie des messageries maritimes pour transporter le bateau jusqu'à Sydney. Pour l'équipage, grâce à M. Messmer qui était ministre des armées et parce qu'Éric était d'active encore, nous avons pu bénéficier de place à bord des vols réservés aux militaires à bord des avions qui allaient à Nouméa. Nous avons ainsi bénéficié de billets à tarif extrêmement réduit pour nous rendre en Nouvelle-Calédonie."
Un équipage en surnombre
Un équipage jeune et hétéroclite à bord de la goélette, en surnombre d'ailleurs comme nous explique le marin. "L'équipage d'été était constitué de Monsieur Tabarly Père et Patrick, le frère d'Éric. Olivier de Kersauson et Michel Vanek étaient deux appelés du contingent à bord. C'était un des accords d'Éric avec l'armée que d'embarquer des appelés, pour leur formation. Pierre English, Philippe Lavat, Yves Guégant, Éric Tabarly et moi [NDLR Gérard Petipas] complétions la partie marins. En surnombre, nous étions accompagnés de Jean Pierre Biot et Claude Durieux, tous deux journalistes à Paris Match, nous accompagnaient."
Gagner, mais avec élégance
Le sentiment de remporter la course est toujours grisant, quelle que soit la mer affrontée. La victoire est d'autant plus motivante lorsqu'elle s'inscrit dans une série, comme nous le raconte Gérard "Nous avions déjà remporté 6 courses, l'équipage était super motivé et soudé. Rapidement, lors de la transmission des positions par BLU nous nous sommes aperçus que nous menions la course en tête." Une course qui se termine en grande pompe d'ailleurs "Nous, les petits français, habitués aux arrivées en catimini, remportons une course à Hobart devant des milliers de spectateurs à l'autre bout du monde. On était chez eux, chez les Australiens, et on a gagné. L'Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore la Tasmanie représentent des terres de Marins. À l'époque, déjà, ils possédaient une conscience véritable de ce que signifiait remporter une course. Ces gens possèdent la conscience de l'équipage." Tradition française oblige, notre équipage national ne pouvait se contenter du premier prix, il fallait aussi qu'il remporte un autre trophée "Nous avons remporté le prix de l'élégance en supplément. Avant le départ, j'étais allé rencontrer Bernard Lacoste, il nous avait fourni gratuitement des shorts, des polos et l'ensemble des tenues que nous allions porter. Nous étions tout beaux, ça s'est remarqué !"
La mer demeure identique, quelle que soit l'époque
Le navigateur voit-il des différences essentielles entre la course 1967 et celle qui prendra le départ ce 26 décembre 2020 ? "Les bateaux ont réalisé des progrès spectaculaires. Comme tout, la voile est un éternel recommencement. Après que les multi eurent fini de tuer les monocoques, Éric disait "Un jour les architectes vont se réintéresser aux monocoques et il va y avoir un bond en avant dans les performances de ces bateaux". L'histoire lui a donné raison, les monocoques embarqués sur de telles courses sont phénoménaux, dans leurs dimensions comme dans leur conception. Mais ne négligeons pas une chose qui, elle, demeure identique. La mer est toujours aussi impitoyable et exigeante. Elle était là, identique, il y a 50, 100, 200 ou 1000 ans. Quand les navigateurs de l'antiquité prenaient la mer, ils se confrontaient aux difficultés semblables de navigation que nous en 1967 ou que les coureurs de 2020."
Se débrouiller pour financer le bateau
C'est une capacité à se débrouiller importante qui a permis à ce bel équipage de participer et de financer la course, comme nous l'explique l'ami de Tabarly "Nous avions tous un devoir de trouver des solutions et des astuces. Tel épicier nous offrait du pâté, tel boulanger du pain ou bien tel caviste du vin. Nous arrivions à avoir une cambuse complète à coût réduit. C'est ce qui allait nous permettre de disposer d'un bateau dans le meilleur état possible. Tout ce qui rentrait était injecté dans le bateau. Renault nous avait offert un moteur diesel et un accastilleur nous avait offert, lui, l'ensemble du cordage". Chercher du financement, un travail à temps complet hier comme aujourd'hui, donc. Il conclut "Regardez Jean le Cam sur le Vendée Globe 2020. Il est un brillant marin, mais il a eu toutes les peines du monde à financer Yes we Cam !." Il n'y a pas de corrélation entre les qualités du marin et les financements dont il bénéficiera en somme.
Comment préparer sa course ?
"Les conseils ne se donnent pas." Nous explique Gérard lorsqu'on lui demande ceux qu'il prodiguerait à un débutant aujourd'hui. "A chacun de préparer sa navigation, à sa façon. Ne pas se jeter sur la technologie et le modernisme. Ils sont des aides, mais ne font pas tout. Rappelez-vous que le marin reste, à bord, celui qui travaille. C'est lui qui va serrer les fesses et exécuter les choses. Il n'y a plus de vraie course sans assistance aujourd'hui. En cas d'avarie, il suffit de décrocher son iridium pour obtenir l'assistance du bateau. Ce n'est ni bien ni mal, mais il faut aussi penser à savoir faire sans."
Une sorte d'expérience mystique
À propos de communication d'ailleurs l'ami du taiseux Éric Tabarly nous explique : "Trop parler, c'est gâcher l'aventure. La course au large revêt quelque chose de mystique. Partir en mer, c'est une retraite spirituelle pour la plupart des marins. Certains navigateurs ne veulent pas de moyens de communication. D'autres vont là-bas pour se retirer. C'est le cas de Parlier ou Poupon. À l'opposé, d'autres sont extrêmement doués pour communiquer. Prenons Loïc Peyron par exemple. C'est plus qu'un communicant, c'est un expliquant. Il serait certainement aussi doué pour parler de Formule-1 que de course au large, il sait enseigner les choses et les rendre compréhensibles au plus grand nombre."
Hasards et coïncidences sont le sel de la vie
L'une des anecdotes de la vie passionnante de Gérard est liée au mutisme marin de Éric Tabarly. "À l'arrivée de la Sydney Hobart de 67, Philippe Gildas m'avait demandé d'accompagner Éric pour une interview à Hobart lors de l'arrivée. Comme à son habitude, Éric n'était pas extrêmement loquace, c'est moi qui ai répondu aux questions et mené l'entretien. C'est ce qui m'a mis le pied à l'étrier des ondes. Gildas a remarqué un talent radiophonique en moi, je suis rentré à RTL où j'ai travaillé 5 ans, puis sur Europe 1, pendant une quinzaine d'années..."