Le 22 octobre 2020 à Saint-Malo, la température extérieure est de l'ordre la douzaine de degrés, l'humidité flirte avec les 100 %. L'ambiance de cet automne est… automnale. Heureusement, nous avons ce soir Isabelle et Jean-Benoit pour discuter au téléphone et nous partager leurs conditions. Ces deux Malouins ont décidé de prendre leurs retraites à 53 ans pour partir faire le tour du monde.
Au mouillage à Porto, en pleine Ribeira, nous retrouvons ces deux plaisanciers. La température est de 23 degrés en ce début de soirée encore baigné par le soleil portulans. Ils sont partis de la cité corsaire mi-septembre dernier.
Isabelle commence par se présenter, "Isabelle, 53 ans. Retraitée de la fonction publique, j'ai eu la chance de pouvoir m'arrêter jeune pour me lancer dans cette aventure avec mon mari." Elle continue, "J'aime la liberté, j'adore voyager. J'ai beaucoup pratiqué la montagne, j'y ai appris à vivre avec peu et de peu, comme, c'est le cas sur un bateau."
La difficile question du confort
À propos du confort à bord d'un voilier, elle explique "La famille comme les amies, surtout les femmes ont peur de la vie sur un bateau, parce que trop petit, parce qu'il n'y a que peu de confort, et c'est totalement rédhibitoire pour beaucoup de femmes. Vivre sur un bateau, c'est un style de vie particulier", ajoute-t-elle, "Remplie de liberté certes, mais qui présente des contraintes, cette exiguïté en est une importante." Lorsque le besoin d'un petit peu plus de confort se fait ressentir, Isabelle nous explique "Les marinas sont une solution, elles proposent le confort minimum et permettent de se poser un petit peu."
Pas de manque matériel à bord
Pour Isabelle, rien de matériel ne manque à bord "Les relations sociales manquent, mais rien de matériel. J'ai le minimum, mais j'ai l'essentiel." D'ajouter "Je n'ai pas le petit café avec la copine du vendredi matin. Je compense en ayant conscience de la chance que j'ai par rapport à mon ancienne vie." Elle conclut "Et la copine, elle viendra bien passer quelques jours à bord, on fera mieux que boire juste le café à bord !"
Une vie de bord bien organisée
À bord, la vie de couple est organisée. "JB en tant que capitaine ? Je n'ai pas à me plaindre", nous explique Isabelle, "Il ne me donne pas d'ordre, on travaille de concert. Lorsqu'une tâche est à réaliser en urgence, il m'explique ce caractère urgent. Je ne suis pas navigatrice, donc je fais les choses et il m'explique ensuite les points sur lesquels j'aurais pu faire mieux ou différemment lorsqu'il ne pouvait expliquer auparavant." Isabelle s'inspire de son expérience montagnarde "En altitude, lorsqu'une action nécessite d'être réalisée en urgence, il ne faut jamais se précipiter ou vouloir aller vite, c'est alors qu'arrivent les accidents. Il en va de même en mer, se précipiter ou courir, c'est aller vers l'accident. En tant qu'ancien pompier de Paris, Jean-Benoit a l'habitude de gérer le stress et la tension et sait ne pas les transmettre aux autres. Lorsque nous avons le temps" nous explique Isabelle, "nous préparons les manœuvres par les explications et des essais à blanc. Plus ça va, plus je progresse." Leur secret ? "Nous nous connaissons et savons comment l'un et l'autre réagira dans une situation donnée. Cela permet de maintenir le stress au plus bas."
Une organisation pensée sécurité
Prudent et prévoyant, le couple a établi des normes de sécurité auxquelles ils se tiennent autant que possible "Ni JB ni moi n'allons jamais sur le pont avant seul la nuit. Au besoin, nous réveillons celui qui n'est pas de quart pour qu'il garde un œil sur l'autre. Et, de nuit, le gilet est permanent, quelle que soit la météo rencontrée. En journée", nous explique Isabelle, "dès que l'un ou l'autre sent que la sécurité est un peu juste, nous nous harnachons, ligne de vie à poste, gilet sur le dos. Si la sécurité n'est pas une obsession, nous faisons en sorte qu'elle devienne un automatisme", ajoute-t-elle.
Une autre approche du temps
"La gestion du temps est revue. Nous n'avons pas d'obligation, sauf de grandes idées de destinations, le Cap-Vert en 2021, le Brésil en 2022. Pour le reste, ce sera selon nos envies selon la météo, selon nos familles et nos envies de revoir la terre, de revoir des visages connus." Au quotidien, aussi, le temps prend une autre dimension "Si du mauvais temps est donné sur une route prévue, nous restons là où nous sommes et décalons le départ. Ce ne sont pas 2 ou 3 jours de décalage qui changeront quoi que ce soit à l'échelle de dix années de rêve !"
La vie à bord proche de la vie à terre
Les rôles de bord ressemblent à s'y méprendre à la vie à terre "Je gère la cuisine et l'intendance à bord. Jean-Benoît a l'habitude de la médecine et des blessures, j'ai suivi un stage de médecine d'urgence avant d'embarquer. On ne sait jamais lequel des deux peut se blesser." Ce stage, d'ailleurs, Isabelle le recommande fortement, "Il est organisé en concours avec le Centre de Consultation Médicales Maritime de Toulouse, qui édicte les produits et accessoires utiles à bord et à qui il est recommandé de communiquer la composition de la pharmacie de bord. Ainsi, les médecins avec lesquels nous pourrions être mis en relation savent précisément ce dont nous disposons à bord." Un vrai atout sécurité, là aussi.
Conseils aux candidates navigatrices
Aux femmes qui auraient, elles aussi, ce rêve et voudraient le concrétiser, Isabelle recommande : "Préparez-vous à vivre sommairement. Surtout, ne pensez pas à partir du jour au lendemain ou sur un coup de tête. Analysez vos habitudes de consommation à terre (eau, produits ménagers …) et transposez cette consommation à celle que vous pourriez avoir au milieu d'un océan, sans possibilité de ravitaillement. Vous vous apercevrez rapidement qu'il y a énormément d'accessoire dans ce que nous consommons." Pour se préparer concrètement, Isabelle donne une astuce aux autres femmes aventurières "Faites du camping et voyez si vous supportez la promiscuité, l'absence de confort et les températures. Je pense que c'est une excellente formation à la vie en mer."
Au total, Isabelle est heureuse, épanouie et elle navigue avec l'homme qui partage sa vie. Elle nous a expliqué que les amis, la famille manquent, sans aucun doute. Qu'il y a et qu'il y aura des moments de cafard, des instants manqués. Mais que dans tous les cas, elle et son mari sont convaincus d'avoir fait le bon choix. Et de l'avoir fait pour eux.