Quatre ans d'évolution pour les IMOCA à foils
La précédente édition du Vendée Globe en 2016 mettait déjà à l'honneur des foilers. Ces IMOCA dotés d'appendices leur permettant de "voler" sur l'eau. Mais en quatre ans, les cabinets d'architecture navale ont travaillé pour créer de véritables bolides volants ! Des bateaux ultras technologiques dotés de très grands foils !
Aujourd'hui, les vitesses de ces machines sont telles que les skippers ont plutôt tendance à tirer sur le frein qu'à mettre les gaz ! Cette édition 2020 va permettre d'éprouver ces nouveaux bateaux dans des conditions parfois très difficiles, notamment dans les mers du sud. Car crise sanitaire oblige, les IMOCA n'ont pu participer qu'à une seule course, la Vendée Arctique avec des conditions plutôt légères. S'ils la génération d'IMOCA la plus technologique, ils sont aussi ceux qui ont le moins navigué.
"Les bateaux ne sont pas plus fragiles qu'avant. Ce qui a changé par rapport à la génération 2016 - Banque Populaire ou Hugo Boss qui avaient été conçus avec des foils – c'est que les bateaux sont vraiment un cran plus loin que ce qui se faisait auparavant. La taille des foils a augmenté et donc le comportement du bateau a changé. Ils ont été échantillonnés sur des critères assez sévères. Les saisons 2019/2020 ont permis de rééchelonner tout ça. La plupart des teams ont d'ailleurs renforcé leur bateau. Pas pour une question de fragilité, mais en raison de la façon d'utiliser les bateaux, des vitesses et des performances. Les bateaux sont soumis à des stress mécaniques et structurels différents de ce que l'on avait anticipé" explique Sam Manuard, architecte de l'IMOCA L'Occitane en Provence.
Un gap de vitesse impressionnante entre deux générations d'IMOCA à foils
À l'heure où tout le monde a les yeux rivés sur ces superbes bateaux se pose la question de savoir s'ils pourront résister sur le long terme à des conditions soutenues, à d'aussi grandes vitesses. Car tout va être une question de mesure.
"Concrètement, les skippers en IMOCA ont toujours eu la capacité d'endommager leurs bateaux. Ce sont des prototypes de course très optimisés et ça a toujours été une réalité. En 2016, les premiers foilers possédaient des petits foils, qui leur ont permis d'augmenter les performances sur certaines allures, mais les bateaux n'étaient pas aussi extrêmes et engagés qu'en 2020. La différence entre les petits foils et les grands foils, c'est que même en cas de casse, les bateaux étaient capables de tenir le rythme, comme on avait pu le voir avec Alex Thomson, 2e de l'édition 2016" explique Quentin Lucet, du cabinet VPLP.
Ce ne sera désormais plus le cas. Si la casse d'un foil peut ne pas endommager le bateau – notamment avec l'ajout de caissons étanches dans le puits de foil – les vitesses avec et sans foils sont désormais trop importantes.
Si sur la précédente édition, le gap de vitesse entre les bateaux archimédien et les "petits" foilers n'était pas énorme, ce n'est plus le cas aujourd'hui, comme l'explique Quentin Lucet.
"Aujourd'hui, on a conçu des bateaux qui ont la capacité d'aller vraiment très vite et beaucoup plus tôt. La différence de vitesse entre un bateau à dérives droites ou avec des petits foils est astronomique. Il y a environ 10 nœuds d'écart de vitesse entre un bateau archimédien et un bateau de génération 2020. C'est d'autant plus vrai que les régates d'avant saison ont permis de le confirmer. On a pu voir sur la Vendée Arctique Les Sables-d'Olonne ou sur le Défi Azimut qu'un skipper qui faisait marcher son bateau à 80/90 % de son potentiel avait une vitesse supérieure à 5 nœuds qu'un marin qui faisait des réglages par exemple. C'est énorme ! Cette différence de vitesse dans les conceptions de bateau 2020 est assez nouvelle."
Et justement, avec des bateaux qui vont beaucoup plus vite qu'avant, le sens marin aura encore plus de réalité qu'avant.
"Les skippers ont la capacité d'aller très vite. Même parfois trop vite par rapport à la résistance des bateaux. Il y a un dosage à faire entre les concurrents autour, l'état de la mer, du vent et la condition physique du marin" ajoute l'architecte de chez VPLP.
Un avis partagé par Sam Manuard : "Il va falloir savoir où positionner le curseur pour ne pas abimer sa machine. Les stratégies de route vont également refléter ça. Certains vont choisir de rallonger la route pour rester dans des conditions de mer favorable. Aujourd'hui, même si ça a toujours été le cas, la grosse difficulté, c'est la mer. On a des modèles de vagues de plus en plus précis et les skippers ont intégré le plus possible le paramètre vague dans leur stratégie de routage."
Savoir où positionner la jauge
Justement, pour gagner le Vendée Globe 2020, il faudra composer avec des bateaux aux potentiels de vitesse énorme.
"Ils ne pourront pas pousser leur bateau à 100 % tout le temps, dans toutes les conditions, sinon il y aura un problème de robustesse et de solidité. Ils devront trouver les moments où ils sont en bonne forme, avec un état de mer qui leur permet d'accélérer et compenser les phases de fatigue et les mers "casse-bateaux." C'est comme en Formule 1, si on est à fond tout le temps, on termine dans le mur. C'est à la fois très sain et assez complexe. On n'a pas encore de livres pour donner ce mode d'emploi. Ça va se jouer à pas grand-chose. La génération 2020 est capable d'aller très vite avec des forces de vent assez faible. Dès 15 nœuds de vent, ça part ! C'est toute la subtilité et la finesse de pilotage qui va consister à trouver le bon rythme par rapport aux conditions rencontrées " détaille Quentin Lucet.
Car si les bateaux sont capables d'atteindre 28 nœuds au près océanique débridé, ils sont potentiellement plus soumis à la casse.
"L'interrogation sur cette édition du Vendée Globe c'est la capacité des bateaux à supporter la fatigue. On sait qu'ils peuvent être poussé un certain nombre d'heures. Or 28 000 milles, c'est très long. La différence fondamentale entre les bateaux de 2016 et la génération 2020 c'est la contrainte mécanique. Sur l'édition précédente, les foils étaient beaucoup plus petits. Les zones limites d'utilisation arrivaient beaucoup plus tard. Avec les grands foils dès 18/20 nœuds, par mer formée, les conditions maximums de charge sur le gréement, les foils et sur tous les périphériques baissent. Quand le bateau commence à être très contraint mécaniquement, il y a un phénomène de fatigue. La génération 2016 pouvait supporter ces contraintes jusqu'à 25/27 nœuds de vent, aujourd'hui ils atteignent leur limite à partir de 20/22 nœuds. Donc forcément la fréquence va être bien supérieure. Les nouveaux bateaux vont se retrouver plus soumis à ces conditions et seront-ils capables de tenir dans la durée ? C'est le gros point noir" ajoute Sam Manuard.
Écouter plus que jamais son sens marin
Si les skippers ont bien cette problématique en tête depuis le début, ils doivent écouter leur sens marin et être conscients également de leurs propres limites et de celles de leur bateau. "Celui qui va sortir son épingle du jeu, c'est celui qui saura lever le pied et accélérer au bon moment. Il faut trouver le bon rythme pour être suffisamment devant les autres sans se mettre en danger. Les bateaux sont assez violents, à la fois pour l'humain et le matériel. Les navigateurs sont complètement au courant de ça. Après, il y a des approches différentes. Certains marins s'interdisent d'atteindre de trop grandes vitesses" explique Quentin Lucet.
"Sur la configuration de la course, tous les skippers ne vont pas mettre le curseur au même niveau. Jérémie Beyou, Alex Thomson et Charlie Dalin sont supers entrainés. Ils ont beaucoup navigué sur leur bateau. Alex Thomson va surement s'exposer plus à la casse en y allant fort. Armel Tripon va forcément aborder le risque matériel différemment. Il va forcément moins tirer dessus. C'est sûr que les premiers navigateurs à tirer fort sur leur machine casseront quelque chose. Chacun va établir sa stratégie en fonction de ce risque de casse" explique Sam Manuard.
Adapter sa stratégie au risque de casse
Pour justement s'adapter à ce risque "casse", chaque architecte en collaboration avec les teams et les skippers ont fait des choix propres pour s'adapter aux conditions dantesques.
"Nous, on a choisi avec Armel et l'Occitane des foils qui se relèvent suffisamment pour naviguer en mode dégradé dans le gros temps. C'est notre choix pour intégrer ces conditions un peu extrêmes" ajoute l'architecte naval.
Si les bateaux de dernière génération sont donc capables d'atteindre des vitesses folles, l'objectif n'est pas pour autant de s'y jeter corps et âme.
"L'objectif n'est pas d'aller à des vitesses incroyables à des allures dangereuses pour l'homme. De toute façon, les paires de foils doivent s'adapter à des contraintes données par la jauge. On travaille sur des points qui concernent les allures de reaching et de portant, tout en restant performants sur d'autres allures. C'est sûr qu'il y a une possibilité de se mettre dans le rouge, c'est une des conséquences de la géométrie dessinée" détaille Quentin Lucet.
Prendre en compte l'humain
Au-delà de la vitesse hallucinante des bateaux, la différence avec les générations précédentes porte également sur le bien-être humain. Avec ces bateaux semi-volants, les chocs sont assez aléatoires.
"Sur les bateaux principalement archimédiens avec la coque dans l'eau, on ressentait l'état de la mer à bord. Lorsqu'une vague était plus grande que les autres, on s'accrochait. Mais sur ces nouveaux bateaux, c'est assez dur pour les marins. Ils vont très vite et de façon aléatoire, on peut se retrouver avec une vague qui tape à un endroit auquel on ne s'attendait pas. C'est assez dur. Finalement, on est vraiment dans un autre fonctionnement du bateau. Alors que le bateau avance bien, une vague peut venir projeter le skipper. Il va falloir dompter les machines pour que ce soit vivable et que les bateaux puissent avancer", raconte l'architecte du cabinet VPLP.
"L'homme est un animal qui s'adapte à beaucoup d'environnements compliqués. Cette nouvelle façon de naviguer est très dure pour les marins. Ils vont s'habituer de plus en plus, aux mouvements, aux chocs. Il va falloir parfois lever le pied. C'est important pour eux. Chacun mettra le curseur où il veut, où il peut. Ça les aidera à préserver les bateaux et à se préserver eux-mêmes. Mais c'est sûr qu'il est difficile de savoir où mettre le curseur" ajoute Sam Manuard.
Les foilers à l'honneur
Pour les deux architectes, aucun doute ne se fait sur le fait que le vainqueur du Vendée Globe soit un foiler, et que le podium lui-même mette à l'honneur ces bateaux volants.
"A priori, il y a de fortes chances que le vainqueur soit un foiler. Mais il faut quand même scrupuleusement regarder les bateaux de génération précédente, mis à jour avec des foils type 2020 comme PBR, MACSF, SeaExplorer – Yacht Club de Monaco ou encore Initiatives-cœur. Ils sont un peu plus lourds que les bateaux conçus avec des foils nativement, mais ont des performances ultras intéressantes", conclut Quentin Lucet. Un avis partagé par Sam Manuard : "Aucun doute que c'est un foiler qui va gagner cette édition."