On aime les passagères de bateau qui, lorsqu'on leur demande "Plaisancière ou femme de plaisancier ?" répondent sans détour, comme Catherine : "Plaisancière avant tout !"
Catherine a 52 ans, 2 enfants, expert comptable. Elle a toujours vécu à Caen jusqu'à son remariage en 2003. Avec une peur bleue de la mer jusqu'alors. Depuis mai 2019, elle navigue autour du monde avec son mari François sur Storia Storia, un OVNI 455. Une place qu'elle ne laisserait pour rien au monde.
Premier contact
Pourtant, tout n'avait pas commencé sous les meilleurs auspices. "En 2003", nous explique Catherine, "je n'avais absolument jamais mis les pieds sur un bateau. François me propose de prendre place sur un catamaran, accompagnée d'une dizaine d'autres personnes, pour faire le tour des Petites Antilles. Dans ma tête, je me voyais sirotant des cocktails sur le pont d'un splendide voilier, brise légère et soleil, le navire glissant sur l'onde avec le vent. Le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai eu un choc lorsque j'ai vu mon époux, à deux heures du matin la première nuit, sortir prendre un ris au milieu d'un grain. Et le voir rentrer heureux et joyeux, alors que j'avais eu la peur de ma vie, m'a fait douter de sa santé mentale. Pour moi, un bateau, la nuit, ca n'existait pas. Je n'avais pas conscience de la navigation nocturne."
"Ils sont tous fous ! On vit avec des gens qui n'ont pas la même perception que les Terriens." C'est avec cette image en tête que la future plaisancière regagne la terre ferme.
Et la suite ne sera pas pour la rassurer. Quelques semaines, ensuite, son époux lui annonce louer un petit voilier de 6,50 m pour aller de Dielette à Chausey, dans la Manche. "Une petite, toute petite traversée", lui annonce-t-il. C'est oublier le bien nommé passage de la Déroute et ses courants bien connus. "Route aller, ça pouvait aller", avant d'ajouter, pour la rime "Mais route retour, au secours !" [éclat de rire]. Car c'est une des qualités de Catherine, cette bonne humeur permanente. "Le bateau penche, il va tomber !", c'est ainsi que la navigatrice va découvrir la gîte, dans la panique et le stress.
Entrainement et amarinement en Bretagne
Les années passent, les navigations s'enchaînent : en Bretagne, Normandie. Puis plus loin la Manche Nord, les côtes Anglaises. Catherine va s'amariner et devient accroc. Le projet de tour du monde à la voile qu'elle et son époux se met sur pied. Elle veut qu'il soit leur projet à eux deux.
Achat du bateau, préparation… Madame la plaisancière a sa place à bord. "Il reste le chef, car il faut qu'il y en ait qu'un, mais j'aime naviguer. Je veux et j'ai besoin de prendre part à la navigation. J'aime les traversées, changer de mouillage et me déplacer. Le voyage est aussi important que la destination à mes yeux, je veux avoir ma responsabilité à bord. Je suis la barreuse officielle, je me charge de toutes les manœuvres."
Elle nous explique "Je ne vois pas de symbole dans les voyages. Je pense que la notion de traversée d'un océan, passage d'un cap ou, encore, traversée du canal de Panama sont des symboles de voyage très masculins, auxquels les femmes ne sommes pas sensibles. Dans l'idéal, pour ces longues traversées, j'aimerais m'endormir au deuxième jour pour me réveiller la veille, pile au moment où il faut redevenir actifs à bord. Beaucoup de femmes aiment la vie à bord et détestent la navigation. Je ne suis pas l'inverse, j'aime vivre dans le bateau, mais c'est avant tout la navigation que je recherche."
Et de conclure, sur les passages : "L'homme est un aventurier, la femme est plus casanière. C'est ainsi depuis des centaines d'années, il sera compliqué de changer ces codes".
Envie de découvertes
À propos de destinations, Catherine nous explique : "Chaque nouveau mouillage est une découverte, un plaisir. J'adore arriver dans des endroits nouveaux. On a la chance de voir ça. On n'est jamais déçu quand on arrive quelque part. On est en bateau, on peut aller où on aime. Si un endroit ne nous plaît pas tant que cela après quelques heures sur place, il nous suffit de lever l'ancre et d'aller ailleurs. Nous avons, François et moi une approche de la plaisance qui cherche la facilité et le plaisir avant tout." Elle rassure aussi : "En général, nous sommes sur la même longueur d'onde, si un endroit ne me plaît pas, il ne lui plaît pas non plus, et vice-versa."
Voyager en couple ?
"Il faut être en phase quand on part en couple : manière de naviguer, fréquence d'arrêts, étapes, rythmes de sommeil des uns et des autres. Il faut partir pour les bonnes raisons, les siennes. Surtout pas pour faire plaisir à un conjoint plaisancier insistant. J'ai vu tant de couples se déchirer une fois parvenus aux Antilles. Un bateau, c'est la promiscuité. Parfois du mauvais temps engendre de la tension. Tout cela peut exacerber des situations latentes. Il faut donc être certaine de vouloir partir avec son époux, certes, mais pour son propre voyage, pas pour celui de l'autre."
Regard sur le confinement
Catherine et son époux ont passé leur confinement au mouillage de l'Île fourchue proche de Saint-Barthélemy. "Sur le bateau, je remonte le moral de François quand il a un coup de mou. Il est venu naviguer et, d'un coup, se retrouve interdit. Je comprends sa difficulté. Ce confinement a été un moment de promenades, de baignades et de pêche. Nous avons eu deux phases : Inquiétude au début avec la crainte de cette épidémie bien-sûr et crainte de ne pas savoir gérer cette privation relative de liberté. Nous avions peur de nous ennuyer. Puis le rythme a changé. Nous nous sommes levés un petit peu plus tard chaque jour et avons restreint nos activités par nous-mêmes, nous concentrant sur l'essentiel. Évidemment, la perte de liberté de mouvement n'est pas une sensation agréable, mais nos conditions de confinement et l'endroit où nous nous trouvions alors étaient loin de ce que certains pouvaient vivre. C'est donc un assez bon souvenir, pas une douleur." Elle conclut : "Et ça a fait passer à François l'idée d'aller vivre à la Robinson Crusoë sur une île déserte, chose que je me savais incapable de supporter. Se confronter à ses rêves, ça peut reconnecter à la réalité." [Nouvel éclat de rire]
Que manque-t-il à la navigatrice sur un bateau ?
"Définitivement, absolument rien de matériel. Nous avons à bord tout ce qu'il nous faut pour vivre. C'est le lien social dont je me languis. Nous avons beaucoup d'amis de bateau que nous croisons une ou deux fois et que nous ne reverrons peut-être jamais. Il est compliqué de créer des relations sur le long terme, profondes, sur l'eau. Nous n'avons qu'un seul couple d'amis, venant de Caen eux aussi, qui étaient d'abord des amis de bateau et sont devenus de vrais amis par la suite."
Et les relations avec la famille ?
"Les nouvelles technologies sont un super outil pour rester en contact, mais un Skype ou un appel WhatsApp ne permet pas de passer les émotions. Je suis maman, j'ai besoin de toucher mes enfants. À distance et via un écran, on filtre inévitablement les émotions, on s'autocensure inconsciemment." nous explique-t-elle.
Des conseils ?
La plaisancière nous explique "À une femme de plaisancier, je recommanderais de bien savoir pour quoi elle entreprend ce voyage. Si ce n'est pas pour elle, si c'est juste pour le suivre lui, elle risque d'être déçue. Autant laisser partir son époux avec des amis plus enclins à ce faire. Pour toutes les plaisancières, je conseille de vivre les choses pleinement en étant dans l'instant. Posez les soucis à terre en montant à bord et prendre son temps. Toujours. Ne jamais vouloir aller plus vite que la musique pour éviter les erreurs. Sachez aussi jouer des coudes avec le skipper pour vous imposer en tant qu'équipier à part entière. Pour savoir ce qu'on peut lui apporter et comment on peut l'aider, il est important de répartir les rôles clairement à bord avant de débuter." Nous explique-t-elle. "Si le chef de bord est un compagnon ou un proche, utilisez cette compétence que nous avons les femmes à remonter le moral et à être plus optimistes, souvent, que ces messieurs. Ils ont besoin de nous sur l'eau !"
Le bateau de Catherine et son mari est actuellement en carénage aux Antilles. Elle nous fait bien comprendre son impatience lorsqu'on lui pose la question. "Pressée de repartir, Catherine ?" "S'il faisait beau là-bas et qu'on m'offrait un billet d'avion, je suis à bord demain !". Malheureusement, la situation actuelle avec la crise sanitaire est ce qu'elle est. Nous devons attendre les événements et les décisions. Tout change vite, très vite. Il faut faire preuve de patience et d'attention en ce moment."
Faire des compromis pour le couple
À propos de navigation à deux, il y a sans doute des compromis de la part de l'une ou de l'autre des parties à bord. Catherine nous explique. "L'étape que je veux faire et que François ne veut pas : Los roques, au Venezuela. Il y voit un détour d'une part, d'autre part des risques de piraterie. Ici encore, pas de stress ni de pression. La décision est expliquée et claire. Nous ne le faisons pas pour le moment, nous le ferons un autre jour."
Pour conclure, la navigatrice aujourd'hui expérimentée ajoute "J'ai appris à naviguer en Manche et Bretagne. Où que ce soit, je n'ai trouvé nulle part les mêmes conditions de mer. Aussi coupée, dure et violente. Il n'existe nulle part un tel marnage, un tel courant. On sent, quand on en croise, les navigatrices formées en Manche et celles formées en méditerranée n'ont pas les mêmes comportements ni les mêmes propos. Passez le Raz Blanchard avec des vagues arrière de 4 mètres, ça fait relativiser ce que c'est qu'un bateau qui bouge..."
Et Catherine éclate de rire, une fois de plus.
Catherine et François prévoient de reprendre la mer aux alentours de novembre ou décembre 2020. Souhaitons-leur, à l'une comme à l'autre, de bons quarts !