D'un projet de moniteur de voile à la course au large
"J'ai un parcours un peu atypique, comme il y en a toujours eu dans l'histoire du Vendée Globe", débute Clément Giraud avec son franc-parler et son sourire dans la voie.
Antillais, originaire de Martinique, il débarque en France à 18 ans dans l'objectif de passer son brevet d'état d'éducateur sportif. S'il n'a aucun diplôme dans le monde de la voile, il a passé ses jeunes années sur l'eau à naviguer, à surfer et à plonger. Il est embauché dans une voilerie dans le sud de la France en parallèle de sa formation.
"À cette époque, ce n'était pas le plan de faire de la course au large", explique Clément, qui régate pourtant grâce à son métier en voilerie.
Alors qu'il navigue avec Lionel Van der Hoeven (équipier de Paul Vatine), qui deviendra malgré lui son mentor, ce dernier lui confie : "Tu peux vivre de la voile en étant prof, mais il y a aussi l'aspect course. Je t'ai engagé sur un bateau, tu fais ton sac et tu pars pendant 3 jours."
Si cette première expérience n'est pas fructueuse, tout s'enchaine très vite pour le Toulonnais : Tour de France à la Voile puis Mini Transat en 2005.
"J'ai toujours rêvé de faire la Mini Transat. On les voyait arriver en Guadeloupe et ça me faisait rêver. Alors que je convoyais un bateau en solitaire, sans GPS, dans de grosses conditions, je me suis dit que c'était vraiment ça que je voulais faire…"
Il termine à la 11e place de la Mini Transat 2005 sur un bateau prêté par Sébastien Roubinet. Avec seulement 10 000 € pour changer ses voiles, il en retient néanmoins "une super expérience". Il souhaite continuer dans cette voie, mais ne sait pas trouver les fonds pour financer son projet. "Je n'étais pas doué pour me vendre."
Skipper professionnel sur les plus beaux bateaux du monde
Finalement, il commence à naviguer en tant que skipper professionnel avec des équipages, invité par des amis. Et pendant 15 ans, il navigue sur les plus beaux bateaux du monde, payé pour ce qu'il aime faire. "Je faisais ce que j'aimais et c'était cool. J'ai vécu plein de belles choses. J'ai navigué en Class America avec Betrand Pacé, en GP42, sur la Volvo Ocean Race avec Lionel Péan, sur le trimaran Sopra-Group avec Laurent Bourgnon et Philippe Monnet…"
En tant que N° 1, il apprend à manœuvrer ces gros bateaux et se forme sur de nombreuses choses. "J'avais beaucoup de feeling sur plein de trucs. Les manœuvres ne me gênaient plus ni l'anticipation. Je manquais un peu de tactique et de stratégie, mais tout le reste je maitrisais."
L'attrait de la course au large le reprend lors d'une sortie RP sur le Multi50 Ciela Village de Thierry Bouchard. En 2 jours, il fait visiter le bateau à 400 personnes et fait découvrir la navigation sur ces bolides à 60 personnes.
"On était sur un patin et je voyais le sourire sur les lèvres des gens et ça me rendait heureux. J'avais envie de retourner à la course au large, mais dans l'idée de le faire partager. Je sais que les bateaux coutent cher et que c'est un monde élitiste, mais j'avais envie d'ouvrir les bateaux à tout le monde."
Comment participer au Vendée Globe 2020 ?
Il y a 3 ans, se pose alors la question de participer au Vendée Globe. Clément aimerait s'y engager, mais en partageant sa passion avec le public. "On va faire ce qu'on aime, mais en mettant en avant les valeurs exceptionnelles de la mer, des valeurs d'engagement, de transmission et de partage."
Avec sa chef de projet Julie Rocher, il monte alors un projet et crée une association. De fil en aiguille, il trouve un premier sponsor, prend en main son premier bateau et se lance dans une première saison portée par des valeurs associatives qui lui sont chères, en faisant partager ses navigations.
En parallèle, il se prépare sportivement en participant au Trophée Guyader, à la Bermudes 1000 Race jusqu'à la Transat Jacques Vabre 2019, à laquelle il ne participera finalement pas… Le ciel lui tombe sur la tête ! Son bateau prend feu et son sponsor se désiste.
"Mon bateau était bien assuré et je pensais qu'on allait le réparer, que mon sponsor allait suivre, mais tout est tombé à l'eau."
Une générosité incroyable
C'est alors qu'il reçoit un message d'Erik Nigon, skipper en IMOCA lui aussi. "C'est une histoire de dingue ! Erik me prête son bateau ! Dans la vie, quand on donne, on reçoit, et pourtant je ne suis pas matérialiste pour un sou."
Un mois avant le départ de la Transat Jacques Vabre, Clément est contacté par Erik Nigon qui cherche une voile pour son bateau. Clément lui propose alors de lui prêter un jeu de voile qu'il n'utilise pas. La rencontre s'arrête là jusqu'à un fameux message envoyé par Erik alors qu'il navigue au large de Ouessant. Ce dernier a appris pour l'incendie du bateau de Clément. "Inscris-toi vite au Vendée Globe avec mon bateau !"
Clément refuse la proposition, toujours dans l'espoir de voir son bateau réparé. Mais finalement, Erik revient à la charge en lui intimant de continuer et lui propose de lui prêter son bateau au moins pour la qualification obligatoire au Vendée Globe. "On verra plus tard pour les dérogations auprès de l'organisation de course."
Finalement, les deux hommes concluent un pacte. Chacun de son côté, ils cherchent des financements et le premier capable de réunir les fonds fera le Vendée Globe. Grâce à ses sponsors – Compagnie du Lit et Jiliti – Clément se lancera à l'assaut de son premier tour du monde.
Un gros chantier pour optimiser son bateau
Naviguant plutôt en amateur, Erik n'a pas fait de gros chantier sur son bateau depuis des années. "Il a fallu faire un travail de deux ans en un mois et demi", plaisante Clément.
Tout a été changé pour adapter le plan Farr de 2006 à ce nouveau tour du monde : safrans, ballasts, voile de quille, réduction du bulbe, électricité, circuit hydraulique, gréement, voile, rigging (bouts), système d'aspiration d'eau…
"On a fait une redondance sur les pilotes, la télécommunication, la technique et l'hydraulique. Le bateau est préparé pour que son prochain propriétaire puisse y installer des foils. On aurait eu un an de plus, c'est ce qu'on aurait fait. Ça a été un gros chantier et forcément ça a réduit mes temps de navigation."
Prêt à prendre du plaisir !
Aujourd'hui, Clément se sent suffisamment prêt pour prendre le départ de son premier Vendée Globe. "Vu l'aventure que c'est depuis des années, je prends les choses calmement. Ça va le faire. On a des supers partenaires, Compagnie du lit qui a déjà l'habitude du sponsoring et Jiliti, une société récente, mais avec des gens passionnés. Je suis dans de bonnes conditions, des super conditions même. Financièrement ça va passer. Maintenant, il faut que j'aille prendre du plaisir. J'ai hâte d'être 4 heures après le départ sans bateau suiveur."
Justement, comment se retrouve-t-on sur la ligne de départ d'une des courses les plus dures du monde ? "C'est une forme d'attraction qui se crée. J'adore la puissance de ces gros bateaux. J'ai adoré le Mini, mais pendant 15 ans à naviguer sur des Maxi, j'ai découvert la puissance et aimé la machine.
J'aime les bateaux et j'ai toujours aimé les bateaux sur lesquels j'ai navigué. J'ai un amour pour la technique et la machine. C'est une source inépuisable de savoir et de compromis, comme dans la vie.
C'est un compromis permanent. Entre ta façon de naviguer, la possibilité qu'il peut t'offrir, ce que tu peux en tirer au maximum et au minimum, tes exigences. C'est une machine forte et sa puissance influe sur ce que tu es et la manière dont tu navigues.
Finalement, c'est un peu comme une histoire de couple. C'est un rapport quotidien un ajustement quotidien. Il faut toujours réajuster, mais aussi fermer sa gueule parfois, car l'autre est plus fort. J'aime la machine et trouver des solutions pour aller dans le bon sens."
Du trac, mais du bon trac !
Aujourd'hui, ce rêve qu'il pensait inatteignable quand il a commencé dans le monde de la voile s'offre enfin à lui. "Ce n'est pas anodin d'aller faire le tour du monde. J'ai le trac, mais comme je l'ai aussi quand je vais surfer des vagues de 4 m de haut. Le Vendée Globe c'est aller se mettre dans la gueule du loup et trouver des solutions à chaque fois."
Ce qu'il redoute le plus, c'est de devoir aller récupérer quelqu'un victime d'un naufrage ou de tomber à l'eau et de voir continuer son bateau sans lui… "Je sais que je vais avoir la peur au ventre, notamment pendant les coups de tabac, et j'en ai une certaine envie tant que ça reste vivable. Ce que je veux surtout chercher, ce sont ces moments de grâce et de cohésion avec ces bateaux. Ce sont des locomotives lancées à pleins gaz dans l'océan. Tant que tu n'as pas navigué à 20 nœuds, sous pilote automatique, tu ne peux pas comprendre. Ces grands moments quand le bateau avance, il fend les vagues, t'avales des milles, ça trace, t'es pas crevé, t'as bien mangé, tu passes une bonne nuit… C'est magique !"
S'il a attendu aussi longtemps pour y participer, c'est aussi pour acquérir les indispensables compétences techniques dont il aura besoin pour se "dépatouiller" en solitaire.
"Aujourd'hui, j'ai un ensemble de cordes à mon arc qui me permettent de me dire que je suis légitime pour le faire : technique, stratification, hydraulique, maniement des voiles… C'est une forme d'accomplissement de mon milieu. Un accomplissement fait de 20 ans de travail et de sacrifice. On se laisse aspirer par un truc et on se retrouve finalement sur la ligne de départ du Vendée Globe."
Repartir dans 4 ans ?
Son objectif – remonter le chenal – conditionnera la continuité de son projet. "Si j'ai pris du plaisir et que j'arrive à terminer le Vendée Globe, je continue !" Mais pas dans les mêmes conditions. "J'ai envie de continuer avec sérénité. On a tout fait rapidement. Cette année, je fais le tour, mais si je me fais plaisir, j'ai envie de continuer avec un plan sur 4 ans. De faire les choses calmement, et avec un projet sportivement intéressant pour la suite."
Son bateau a terminé 7e du dernier Vendée Globe (2016/2017) et connait le chemin. "Il est grand et agréable, même s'il faut le forcer de temps en temps, car il est un peu lourd. Ma force, ce sera de prendre du plaisir. Techniquement, je n'ai aucun souci et je vais capter chaque moment essentiel de dopamine. J'espère que toute notre préparation et nos choix seront à l'image de la course."
Partager son projet
Grâce à son partenaire Inmarsat (NDLR Téléphonie satellite), Clément compte bien faire partager son aventure. Notamment auprès des écoles, avec qui il a prévu d'organiser des visioconférences avant le départ en pendant la course.
"J'ai envie de faire partager le plus simplement possible, avec du cœur. Je me ferais plaisir aussi en écrivant un peu. J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire mes quelques news pour l'équipe sur ma dernière course. J'avais besoin de décharger mes conneries. J'essaierai de refaire ça."
Son pronostic
"Je n'en ai pas. J'ai dans la tête 5 ou 6 personnes qui peuvent gagner. Il y a deux ou trois équipes qui peuvent être surprenantes. J'ai envie qu'ils gagnent tous, il y en a aussi que j'aime bien. Mais je ne suis pas à Lorient, et je ne connais pas les états de préparation de chacun. Alors, que le meilleur gagne !"