Un voilier monotype né en Finlande
Le Requin voit le jour en 1930 sous le crayon de l'architecte finlandais Gunnar L.Stenbäck. Baptisé le HAJ (requin en suédois), ce voilier monotype de 9,60 m a la vocation de démocratiser la plaisance. En effet, dans les années 30, la voile se pratique essentiellement sur des bateaux à quille dans le cadre de jauges internationales relativement bien établies : 6 M, 8 M, 6,50 M, 8,50 M. Mais ces bateaux sont couteux et réservés aux yachtmen.
"Il fallait créer un bateau monotype, qui puisse être fabriqué en série et relativement bon marché. Les bateaux de propriétaires à l'époque étaient grands et onéreux" nous explique Philippe Petit-Jean, président de l'A.F.P.R (Association Française des Propriétaires de Requin).
Modification de gréement pour le marché français
Repéré par le français Jean Savoye, grande ponte de la navigation en Seine-Maritime, membre du Club House de Duclair, le Requin (traduction française du nom HAJ) est importé en France en 1934. Mais à son arrivée, les Français souhaitent y apporter des modifications. En accord avec l'architecte, des modifications sont apportées aux plans. Si la coque et la quille rapportée sans galbord restent à l'identique, le gréement est changé : mât transperçant et rehaussé, bastaques et génois d'une surface plus importante. La voile s'ornera d'ailleurs du fameux animal.
"Les Finlandais avaient besoin d'un bateau plus simple à manœuvrer pour naviguer entre les îles. En France, nous cherchions un bateau plus apte à la mer", argumente Philippe Petit-Jean. Les plans sont fournis à une dizaine de chantiers qui construit alors sont propres Requins, d'abord en bois, puis en polyester en enfin en strip-planking.
La France, plus grand producteur de Requin
La France devient le plus grand producteur du voilier, ce qui lui permet en 2020 de recenser 499 exemplaires. Le chantier Pouvreau, en Vendée, en construit d'ailleurs plus de 300 exemplaires.
Si le marché de l'occasion est le plus propice à l'achat d'un Requin, certains chantiers construisent encore des unités neuves. C'est le cas de Skol ar Mor, école de charpente marine à Mesquer (44) qui il y a 4 ans, dans le cadre d'un projet pédagogique a construit un Requin, ou encore des Vieux Safrans d'Annecy, qui ont un construit un exemplaire en strip-planking.
"En ce moment, il y a beaucoup de restaurations. Dans le prochain bulletin (journal annuel de l'A.F.P.R), nous allons parler de 4 bateaux, dont un qui s'appelle le Belone et qui date des années 50, qui a été très bien restauré avec un joli rouf et qui va être mis à l'eau prochainement. Les Requins sont vraiment très bien restaurés et c'est tant mieux. Aujourd'hui, on trouve de belles occasions entre 18 000 et 20 000 €" nous explique Philippe Petit-Jean.
De bateau de croisière à dayboat
À l'origine quand il a été dessiné dans les années 30, le Requin est considéré comme un bateau de croisière. Il l'est encore jusque dans les années 70, grâce à ses deux couchettes qui permettent de dormir à bord.
"En 1952, deux cousins de 18 et 20 ans sont partis de La Trinité pour La Finlande pour assister aux Jeux Olympiques d'Helsinki" s'amuse le président de l'association. Dans le livre qu'il a co-écrit et qu'il consacre à l'emblématique voilier en bois — Le Requin, une légende, d'hier à aujourd'hui — il raconte d'ailleurs les nombreuses croisières et raids organisés à Dakar, dont le club nautique comptait de nombreux exemplaires du bateau.
L'avènement des bateaux en polyester a mis fin à cette notion de croisière, aujourd'hui le Requin étant un pur dayboat. "Quand on part sur le National Requin — championnat annuel organisé en France — certains équipiers vivent à bord de leur bateau, mais l'aménagement est très spartiate, car il y a très peu de hauteur sous barrot" commente Philippe Petit-Jean.
Pas de moteur sur le Requin
Dans le strict respect de la jauge, vous ne trouverez pas de moteur à bord du Requin. Si à l'époque, le système consistait à installer sur le tableau arrière une chaise pour un moteur hors-bord, aujourd'hui, le président conseille un arbre long électrique à installer sur le roof, notamment pour les manœuvres de port, où les entrées et sorties au sous voile sont de plus en plus rares (et pas forcément acceptée par les capitaineries).
Le bateau de la Marine Nationale
Outre son utilisation pour la plaisance, le Requin devient également pendant 30 ans le bateau emblématique des officiers de la Marine Nationale. C'est ainsi que le Requin français est exporté à travers la France et le Monde. On retrouve des exemplaires à Toulon, à Brest mais aussi au Liban ou à Dakar.
Pourquoi un tel succès ?
Si lors de sa naissance, le Requin est lancé en même temps que deux autres voiliers, le Tumlaren (norvégien) et le Dragon (suédois), c'est lui qui est choisi pour la France. Alors pourquoi un tel succès ?
"Il a une silhouette qui est très reconnaissable, avec cette forme qui part de la pointe et vient mourir jusqu'au safran. Il possède une ligne indémodable et unique. Il n'y a pas d'autres bateaux de ce style, même si on le compare souvent au Dragon, son cousin germain. Mais ce dernier est doté d'une quille sabot qui hors de l'eau n'est pas très esthétique. Notre bateau est aussi beau dans l'eau que hors de l'eau. C'est d'ailleurs pour ça qu'on l'expose chaque année au Salon Nautique de Paris.
Ça rappelle des souvenirs aux plaisanciers d'un certain âge. Tout le monde a navigué un jour ou l'autre sur un Requin, ou l'a croisé dans un port, d'autant plus qu'il était le bateau officiel de la Marine nationale. C'est un bateau légendaire", conclut le président de l'association.