Trouver un embarquement pour naviguer à la voile vers l'Antarctique est possible. Ce rêve est accessible. Mais il convient de prendre quelques précautions avant de s'engager à l'aventure sur un bateau que l'on ne connait pas. L'histoire de Dominique, Carole et Sara, contraints de débarquer après un talonnage ayant entrainé une voie d'eau dans une zone hostile, est une expérience riche en enseignements.
Nous avons sélectionné quelques points de problèmes techniques rencontrés à bord pour voir comment ils étaient traités sur d'autres voiliers navigants dans ces contrées éloignées. Les réponses sont souvent édifiantes…
La longueur du mouillage
La goélette utilisée par Dominique avait 50 m de chaine de mouillage. Dans de nombreuses situations celui-ci a semblé bien court. À titre de comparaison, Jean-François Delvoye du chantier Boréal, spécialiste dans la construction de voiliers d'expédition polaire prévoit au moins 100 m de chaine dans la baille à mouillage de ses bateaux, des voiliers en aluminium plus légers qui font pourtant moins de 50 pieds.
Pièces détachées
Naviguer dans les régions reculées comme l'Antarctique, où l'assistance n'est plus possible, oblige à avoir à bord de nombreuses pièces de rechange afin de faire face à toutes les situations d'urgence. Les pièces moteur indispensables vont bien au-delà des "consommables" (filtres/huiles). il est indispensable d'avoir aussi : une pompe de gavage, une pompe à eau-de-mer pour le refroidissement, une pompe de circulation d'eau de refroidissement, un jeu complet d'injecteurs de rechange, un thermostat… Sur la goélette, il n'y avait même pas de filtre à gasoil de rechange. Une pièce qui constitue pourtant la base des pièces mécanique. Un moteur irréparable en Antarctique ou dans les canaux de Patagonie, c'est tout le bateau qui est perdu !
Eric Dupuis qui navigue sur Vaïhéré en charter dans cette zone-là depuis 1992, nous précise qu'il n'est "même pas capable de dire combien il a de filtres de rechange, tellement il y en a à bord !" De même Brice, le skipper de Podorange un second bateau professionnel qui navigue dans ces eaux, précise qu'il possède même une pompe à injection complète de rechange. On est loin d'un fond de bouteille de WD40 qui se trouvait sur la goélette…
L'annexe et son moteur
Une annexe est obligatoire pour débarquer à terre. Dans ces eaux où la météo peut changer très rapidement, il faut une annexe qui tient bien la mer et bien motorisée. La goélette est équipée d'une Bombard AX300 qui est homologuée pour 3 personnes par son constructeur pour un équipage de 6 personnes. De même ce semi-rigide peut recevoir un moteur hors-bord de 8 ch maximum. Celui du bord qui a fini par définitivement tomber en panne était un 9,9 ch, beaucoup trop lourd et puissant pour cette petite annexe !
Les accompagnateurs sur les bateaux à passager qui débarquent des touristes, débarquent même du matériel pour réaliser un bivouac au cas où ils ne pourraient pas revenir à bord, faute à une mer trop forte (tentes, nourriture, trousse médicale…). Sans aller jusque là, avoir un bon moteur en état de marche est aussi primordial pour la sécurité. Sur Vaihiere, Éric Dupuis précise que chaque annexe a un kit de réparation d'urgence à bord en plus d'un mouillage, d'une ancre flottante et des feux de détresse. Mais surtout, les annexes sont souvent la cible des Léopards de Mer qui peuvent crever les boudins avec leurs dents. C'est pour cela que l'annexe de Vaïhéré ne navigue jamais seule, mais toujours accompagnée d'une seconde capable de récupérer rapidement tous les équipiers en cas d'attaque.
Une combinaison sèche et des bouteilles de plongée
Aucun matériel de plongée n'était disponible à bord de la goélette. Plonger dans des eaux très froides (proche de zéro) demande un matériel adéquat même pour une très courte plongée peu profonde. Pourtant à naviguer dans ces eaux mal cartographiées, le risque d'échouement est grand. C'est ce qui s'est passé sur la goélette qui n'était pas en mesure de vérifier l'état de sa coque après l'échouement sur un rocher.
À bord de Vaïhéré, il y a toujours une combinaison sèche et une bouteille de plongée. C'est toujours utile pour "enlever un bout dans l'hélice ou résoudre un problème d'ancre coincée au mouillage", précise Éric Dupuis, "Et nous avons même 2 hélices de rechange à bord et de l'époxy pour faire une réparation sous l'eau…".
Briefing de sécurité
Pas besoin de naviguer dans l'Antarctique pour savoir qu'un briefing de sécurité s'impose à tous les nouveaux arrivants à bord. Rien de tel n'a été pratiqué sur la goélette, pas la moindre information donnée malgré la demande de l'équipière Sara. Rien sur l'emplacement des gilets, du matériel de pyrotechnie, sur la balise de détresse ou sur le radeau. Peut-être que cette petite vérification aurait pu mettre en lumière les dysfonctionnements des gilets ou bien encore l'absence de la révision de la balise à la date indiquée ? Même quand ils ont été embarqués pour quelques jours à bord du Ocean Atlantic, Dominique, Carole et Sara ont reçu ce fameux briefing sur leur nouveau bateau d'accueil…
Respect de l'environnement sur la zone antarctique
Pour avoir l'autorisation de naviguer en Antarctique, le capitaine de la goélette a du envoyer une demande aux TAFF (Terres australes et antarctiques françaises) dans lequel il indique la composition de l'équipage, l'équipement du voilier ainsi que le programme prévu. Dans ce document, il est indiqué les consignes pour limiter l'impact sur l'environnement (faune et flore). Il est par exemple demandé de vider ses cuves à eaux noires au-delà de 12 milles de toutes côtes ou présence de glace. Visiblement la goélette n'en était pas équipée…
De même, il est largement stipulé qu'il ne faut pas approcher les animaux à moins de 5 m quand on débarque à terre, toujours s'écarter sur leur passage et ne jamais les stresser. Quand un paquebot de croisière débarque ses touristes (souvent par groupe de 100 – le maximum autorisé), ceux-ci sont guidés sur un parcours matérialisé par des piquets et des cônes. Un scientifique posté tous les 10 m, renseigne les passagers, mais surtout évite de gêner les animaux ("Attention, monsieur, vous devez laisser passer ce pingouin avant de vous engager"). Ainsi les passagers sont nombreux, mais leur impact à terre est vraiment limité.
Éviter les contagions
En toute logique, et comme c'est strictement demandé par les TAAF, il faut nettoyer tous les équipements qui ont touché terre après chaque retour à bord. Ainsi pour chaque débarquement, les passagers des paquebots sont équipés de gilets de sauvetage, de bottes et pantalon de ciré (voire de veste) avant chaque débarquement à terre. À leur retour à bord, ils laissent tout ce matériel dans la cale afin qu'il soit nettoyé avant le débarquement suivant. Cette rigueur est importante pour ne pas véhiculer de microbes au sein des colonies animalières.
Sur la goélette, tout juste le capitaine demandait de rincer les semelles des bottes au retour, non pas pour les microbes, mais pour ne pas salir le bateau avec des excréments de pingouins, en effet cette odeur est forte et désagréable.
Assainir ce marché du charter
Eric Dupuis de Vaïhéré nous précise qu'il est de plus en plus difficile d'armer un voilier pour faire du charter en Antarctique. En effet, pour avoir une activité professionnelle sur cette zone l'assurance (celle qui manque à la goélette ?) coute 25 000 € par an. En plus, la visite de sécurité Securitas coute 12 000 € dans ces eaux. Quiconque aimerait découvrir les splendeurs de ce continent de glace, peut tout à fait demander ces documents à l'organisme qui lui propose un embarquement. Il peut aussi réclamer les diplômes du (ou des) skipper. Dans le carré de Vaïhéré, tous ces documents sont affichés à la vue de tous. Sur ce voilier, l'équipage professionnel est toujours composé de 2 skippers diplomés et d'un équipier tout aussi compétent. Eric raconte que lors de sa dernière campagne 2019-20 en Antarctique, un bateau charter très connu dans cette zone a vu son skipper évacué d'urgence pour une hémorragie. Les clients se sont retrouvés seuls pendant 5 jours avec comme "second" la petite amie du capitaine dont c'était le premier voyage en Antarctique. Il a fallu attendre que le propriétaire du bateau, qui était en Australie, prenne l'avion pour rallier Ushuaïa, saute sur le premier bateau de croisière en partance pour l'Antarctique et finisse par reprendre les choses en main, heureusement avec succès.
Face aux bateaux professionnels, des associations proposent des croisières soi-disant "sans but lucratif", travaillant souvent par passion. Mais ce n'est pas suffisant pour assurer la sécurité des passagers qui ne sont pas au fait des dangers encourus. Naviguer vers l'Antarctique reste un voyage engagé, une aventure certes, mais que l'on peut maitriser un tant soit peu en frappant aux bonnes portes.