Après avoir visité la base anglaise de Loctroy, l'équipage de la goélette en acier de 15 m avec à son bord Dominique et Carole aborde une base ukrainienne. Mais avant de déguster la vodka locale, il faut résoudre quelques soucis techniques.
Toujours de gros problèmes avec le moteur
Nous avons rendez-vous à une trentaine de milles au sud, à la base ukrainienne de Vernadsky, avec Le Boulard, un bateau-ami qui vient d'arriver en antarctique et que le capitaine avait contacté par Iridium afin qu'il nous apporte de Ushuaia des filtres de rechange, une pompe de gavage électrique et du WD-40. Nous démarrons le moteur, mais celui-ci de nouveau cale immédiatement. Sans filtre de rechange, sans pompe de gavage électrique, mes options de réparation sont limitées. Et pour comble de misère, nous arrivons au bout de notre réserve de WD-40. Encore une fois, Neptune est avec nous. Sans nous mettre en danger, le moteur finit par redémarrer.
Après la journée radieuse dans La Salpetrière, il fait aujourd'hui très froid avec de la neige et de la brume. Nous croisons cette fois-ci L'Austral, un autre bateau de croisière de la compagnie du Ponant, et ce sont des pains au raisin fraichement sortis du four que nous apportent les chefs d'expédition dans leur zodiac rapide au large de l'île Peterman. Il n'y a vraiment rien de tel que de rencontrer un paquebot français dans les eaux antarctiques !
Vodka dans la base ukrainienne
Contrairement à Lockroy et à Videla, la base de Vernadsky est ouverte toute l'année. Les scientifiques ukrainiens qui l'animent sont très accueillants. Après les heures de travail, ils disposent d'un bar très convivial où la vodka "faite maison" coule à flots... ce qui revigore l'équipage transi, car il fait maintenant très froid et il neige.
Éviter la dérive des icebergs
Nous sommes mouillés dans un étroit canal où, au gré des marées et de la brise, les gros morceaux de glace font des allers-retours incessants, nous obligeant à des manoeuvres d'évitage (en utilisant les tangons comme gaffes) ou de libération des blocs qui viennent se prendre dans nos amarres à terre. De jour comme de nuit (surtout la nuit !), il faut promptement sauter dans sa salopette et ses bottes quand la personne de veille appelle à la rescousse.
Un matin, c'est un morceau de "shelf" qui vient ébranler tout le bateau par le seul effet du courant de marée. Ce morceau de glace parfaitement plan, d'environ 20 m x 20 m sur 50 cm d'épaisseur dépasse les 200 tonnes et vient percuter les 20 tonnes de notre voilier dans un combat inégal. Il faut le laisser passer à tout prix. Heureusement qu'il n'y a pas un souffle de vent, sinon le bateau et tout son mouillage à terre seraient emportés comme un fétu de paille.
Un moteur mal entretenu
Le moteur continue à nous jouer des tours. Il démarre et cale dans la foulée. Au-delà du problème de filtres occultés, il y a vraisemblablement un problème de prise d'air. Mais comment s'y retrouver dans un circuit de gasoil fait de tuyaux rigides et souples de diamètres différents (apparemment d'origine – 43 ans – donc poreux), forcés les uns sur les autres ou sur des embouts de raccord du mauvais diamètre ?
Finalement, Le Boulard nous rejoint et nous apporte 2 filtres RACOR (10 microns) et la pompe de gavage 12 V. J'installe la pompe de gavage en amont du système de carburant, avec l'idée de pressuriser l'ensemble pour éliminer le problème de prise d'air. Ça fonctionne beaucoup mieux. Il n'est plus nécessaire de garder un équipier à califourchon sur le générateur pour activer la pompe manuellement afin de le maintenir en marche (voir épisode 2). Le moteur, lui aussi, démarre, mais après 2h la jauge de dépression du RACOR dans lequel j'ai installé l'un des nouveaux filtres indique presque "15", soit un filtre pratiquement bouché. Notre gasoil doit être extrêmement sale… Et dans la hâte de dernière minute, Le Boulard n'a pas pu se procurer du WD-40. Le capitaine fait un tour d'horizon des quelques bateaux au mouillage, mais personne ne souhaite se départir de son WD40.
Trop de glace pour poursuivre vers le Sud
Notre projet initial était de tenter d'atteindre la Baie Marguerite, à une centaine de milles plus au sud. Mais un bateau belge avec qui nous partageons le mouillage de Vernadsky revient au bout de 24h annonçant le passage infranchissable, saturé de glace. Pis encore, ce bateau en acier a même fait un trou dans sa coque en percutant une grosse glace. Heureusement, il dispose de l'équipement de plongée adapté aux eaux glaciaires ("dry suit") et ils peuvent juguler cette voie d'eau à l'aide de mastic époxy.
Nous sommes maintenant mi-février et il va donc falloir reprendre la route du nord avant l'arrivée de l'hiver début mars. Nous repassons par Pléneau où, en pleine nuit, avec un vent établi à 25/30 nœuds, il faut faire une manœuvre catastrophe pour rattraper le bateau dont une amarre à terre a ripé sur son rocher.
Un moteur hors-bord électrique vraiment inadapté
Le lendemain, nous partons explorer la roquerie à un bon mille du mouillage. Le temps est parfaitement calme, mais je ne suis pas à l'aise avec la faible autonomie du hors-bord électrique. Par temps absolument calme, la distance à couvrir - 2 milles aller-retour - aura raison de la charge de la batterie, mais si le vent et la houle se lèvent sur le chemin du retour, nous n'arriverons jamais à regagner le bord. La gestion permanente du risque devient une deuxième nature quand on vit longtemps à bord d'un bateau, mais j'ai l'impression que Carole et moi sommes les seuls à penser ainsi à notre bord.
Notre prochaine étape est Port Charcot, là où Charcot à bord du Pourquoi Pas a hiverné. Nous y trouvons difficilement un mouillage, car c'est très profond, et nous passons la nuit à jouer à cache-cache avec de très gros icebergs qui ne cessent de nous prendre pour cible. Une nuit épuisante.
En quittant Port Charcot, la remontée du Canal Lemaire est très délicate, car le canal est lourdement chargé de glaces. Il faut tenter de se frayer un chemin grâce aux directives de la vigie, et là encore, une coque en acier épais est bienvenue pour résister à la violence des chocs qui arrêtent le bateau sur lui-même à intervalles réguliers. Nous repassons une nuit à Lockroy.
Glace et mouillage précaire
Le lendemain, le capitaine décide de mettre le cap sur l'île Useful à une trentaine de milles de Lockroy, pour retrouver le bateau Podorange qui peut nous donner une bouteille de gaz et un filtre RACOR. Vive Iridium qui nous permet de communiquer par courrier électronique. Comment aurions-nous fait dans l'ère "pré-Iridium/internet" ? Nous remontons ainsi le Canal Neumeyer aux paysages spectaculaires.
Le mouillage de Useful est encore une fois précaire, comme c'est assez monnaie courante en Antarctique quand on doit se fier à sa seule ancre et quand la configuration des lieux ne permet pas de mettre des amarres à terre. Le sondeur indique 18 m sur l'étrave et 60 m en poupe et nous n'avons que 50 m de chaîne… Mais le temps est parfaitement calme et ça tient, même s'il faut faire des quarts toute la nuit. Merci Neptune !
A suivre...