En faisant toujours un cap vers le sud en Antarctique, Dominique continue son récit et nous partage son journal de bord dans cet épisode 5. Un récit où se mêlent découverte de la glace et de la faune qui survit dans ces régions.
En route pour la base anglaise de Lockroy. Le temps est très brumeux et très froid. La visibilité est très réduite. Il pleut, il neige toute la journée; toutes nos tenues sont trempées. Nous traversons une zone de glace solide, suffisamment fine pour que l'étrave la perce encore, mais en repensant aux mésaventures de Shackleton pris par les glaces dans cette partie du monde (en mer de Wedell) il y a un peu plus d'un siècle, nous sommes ravis d'en sortir !
La base de Lockroy est la plus visitée de toutes les bases de la péninsule antarctique. Contrairement aux autres bases, la base de Lockroy n'a qu'une vocation strictement commerciale. Pendant les 3 mois d'été, Lockroy accueille 18000 touristes et son échoppe à souvenirs, doublée d'un bureau du "Her Majesty Royal Mail", établie dans les locaux originaux de la station scientifique ne désemplit pas.
Il nous faudra attendre 2 jours pour pouvoir visiter la base de Lockroy qui a un quota maximal de 350 visiteurs par jour. Les bateaux de croisière qui se succèdent quotidiennement réservent d'une année sur l'autre leurs visites de la base, et nous devons attendre un trou dans le planning. Il y a beaucoup de vent dans le mouillage où nous sommes, mais nous tenons bon sur nos 4 amarres frappées à terre (même si un léopard de mer se prend d'envie d'en croquer une).
Le moteur de l'annexe qui rend l'âme
Le navire est équipé d'une seule petite annexe nous limitant à 4 adultes maximum pour naviguer en toute sécurité. Elle est équipée d'un lourd hors-bord essence de 9,9 ch. Pour nous rendre à la base distante d'un demi-mille et débarquer, le moteur hors-bord est indispensable afin de réaliser plusieurs aller-retour. Mais celui-ci, qui déjà nous avait donné quelques inquiétudes à Whaler Bay avec des problèmes de tenue de ralenti, rend l'âme définitivement. Il n'a pas voulu redémarrer malgré des tentatives aussi frénétiques que multiples. Heureusement, nous étions assez près du bord pour finir à la rame, car avec le vent fort qui soufflait de terre, nous aurions pu être entrainés vers le large.
Le hors-bord ne sera pas réparé d'ici la fin de notre expédition, nous obligeant à nous rabattre sur un petit hors-bord électrique. Il ne nous reste donc plus à ce stade pour nous déplacer, qu'un Torqeedo d'une puissance de 1,5 ch, doté d'une autonomie (par temps parfaitement calme et en charge réduite) de 30 min pour 3 heures de recharge.
Pour ma part, je considère que ce type de moteur n'a pas sa place sur un bateau qui navigue dans le Grand Sud. Son hélice en plastique peut se briser au premier contact avec un glaçon, et sa faible autonomie et sa petite puissance sont parfaitement inadaptées aux conditions brutales de vent et de houle qui peuvent soudain apparaître et exiger que l'on mette "la gomme" pour regagner le bord, surtout avec l'annexe chargée.
La générosité des équipages sur la zone
Le bateau de croisière Le Lirial mouille devant Lockroy et débarque ses passagers. Les chefs d'expédition, intrigués par ce petit voilier solidement arrimé à la côte dans son anfractuosité rocheuse, nous rendent visite entre 2 rotations et nous apportent du pain et des croissants frais.
Pénurie de gaz…
Cela tombe fort bien, car nous venons de nous rendre compte qu'une des 3 bouteilles de gaz prévues pour cette expédition n'a pas été chargée correctement. Nous avons encore 1 mois à tenir, et il ne nous reste qu'une seule bouteille de gaz. A 6 personnes, en faisant le pain chaque jour, c'est trop court. En réserve, nous avons un petit réchaud de camping et une douzaine de cartouches de gaz. Si nous faisons très attention, et employons en particulier la cocotte-minute pour tous les aliments nécessitant une longue cuisson, nous devrions pouvoir nous en tirer.
Juste à côté de Lockroy se trouve le mouillage de Dorian Cove, l'un des plus beaux mouillages que nous rencontrerons en Antarctique. Les lumières de coucher du soleil se mirant sur l'inlandsis y sont exceptionnelles, hypnotiques.
À terre, il reste une cahute argentine que l'on peut visiter, gardée par quelques manchots pas du tout décontenancés par notre présence.
Navigation sous haute tension dans les glaces
Nous attendons le "all clear" pour tenter de franchir le canal Lemaire qui est fermé par les glaces. Le Lemaire est un des passages les plus spectaculaires de la zone, mais les bateaux de croisière contactés nous confirment qu'il est à ce stade infranchissable pour eux. Le capitaine décide cependant d'essayer. Le barreur doit se concentrer sur les seules instructions de la vigie à poste sur le toit de la capote pour louvoyer entre les brash, floes, shelves, growlers et autres formes de glace dérivante (il y a 27 appellations différentes, suivant la taille et la configuration des glaces) pour minimiser les impacts sur la coque. Malgré cela, les chocs sont parfois sourds et ébranlent tout le bateau jusque dans son gréement. Une coque en fibre de verre serait vraiment mise à mal dans un tel environnement.
Sur les traces de Charcot
A la sortie du Lemaire, nous débouchons sur la Salpêtrière, un cimetière de gros icebergs venus s'y échouer sous la pression conjuguée des vents et de la marée. Charcot, qui avait hiverné juste à côté en 1904, avait ainsi nommé cet endroit en l'honneur de son père, alors directeur de l'hôpital parisien du même nom. Sous un ciel d'un bleu aussi parfait qu'intense, dans la douceur du soleil et sur une mer d'huile, nous passons l'après-midi à louvoyer entre ces gigantesques masses de glace immobiles, au milieu de nombreuses baleines affairées à leur festin de krill.
Nous finissons par trouver l'étroit passage qui mène au mouillage de Pléneau, où une fois le bateau bien calé sur ses 4 amarres à terre, nous sommes en parfaite sécurité, car les icebergs les plus gros s'échouent sur les hauts-fonds qui ferment la passe. Et c'est une bonne chose, car le lendemain un vent debout se lève et des mastodontes de glace qui nous écraseraient en un clin d'œil se dirigent sur nous, pour s'arrêter brutalement à quelques encablures du mouillage.
A suivre...