C'est à Portsmouth, en Angleterre, qu'elle naît, en 1974, dans une famille de marins. Son grand-père était même commandant de sous-marins. À 24 ans, elle débute dans la compétition à la voile en bouclant un premier tour du monde en équipage, le Trophée Jules Verne de 1998. Depuis, elle a collectionné les transatlantiques, plus de vingt-cinq à son actif, et a fait deux fois le tour du monde. Depuis 2017, avec son bateau Initiatives-Cœur, elle défend les couleurs de l'association Mécénat Chirurgie Cardiaque qui permet aux enfants souffrant de graves malformations cardiaques d'être opérés en France quand cela est impossible dans leur pays. En 2019, elle est arrivée, avec son coéquipier Paul Meilhat 7e à la Transat Jacques Vabre. Souvenirs sensoriels…
La vue
Je pense que depuis que je fais de la course, ce sont mes voiles que je regarde le plus ! Je cherche, à tout moment, à les régler le plus précisément bien sûr. Et puis, mon bateau est unique, à mes yeux, puisqu'il porte les couleurs de l'association Mécénat Chirurgie Cardiaque… alors ses voiles le sont aussi ! Et particulièrement pour moi, la grand-voile. Depuis 2017, c'est le portrait d'Ardacha qui la décore. Il s'agit d'une petite fille africaine d'une dizaine d'années, qui a été opérée en 2016. Elle rayonne, car cette photo a été prise alors qu'elle était guérie et s'apprêtait à retourner dans son pays, et à retrouver sa famille. Ardacha est le symbole de tous les autres enfants ainsi aidés par cette association. Je suis fière de la voir afficher sur ma voile… Je trouve ça incroyable de pouvoir contribuer à sauver des jeunes avec mon projet et l'aide du grand public. En effet, pour chaque clic d'un internaute sur mes réseaux sociaux, mes partenaires donnent un euro à l'association. Regarder ce visage ne peut que me dynamiser dans les moments durs…et me motiver !
Le toucher
Le toucher, c'est un peu ma vision nocturne sur mon bateau. Dans la nuit bien sûr je m'éclaire, mais pas trop non plus, pour ne pas être éblouie. Alors, comme je ne vois pas toujours précisément les choses, je m'aide de mes doigts pour identifier ce qui m'entoure. Ce peut être un bout à saisir, par exemple. À vrai dire, j'arrive à reconnaître tous les objets du bord, car je connais mon bateau, et j'ai acquis des automatismes avec mes mains. C'est un peu comme les malvoyants avec la vision : ils utilisent plus leurs autres sens, dont le toucher. Pour moi, voir avec les doigts représente aussi, malheureusement, un risque de me blesser si je n'ai pas bien estimé ce que j'avais sous les mains. Comme je sollicite énormément mes mains en course, elle sont souvent douloureuses : alors, au moindre choc, elles peuvent me faire vraiment mal…
L'ouïe
C'est connu, nos bateaux de course génèrent beaucoup de bruits. Parfois, je pense que ça peut même devenir dangereux pour moi. Alors, je me protège les oreilles avec un casque ou des bouchons d'oreilles. Un peu comme dans les usines, oui ! Nous naviguons sur des machines à la mécanique poussée et fragile. Elles peuvent révéler des points de faiblesse et réserver de mauvaises surprises… dont les signes avant-coureurs s'avèrent la plupart du temps sonores ! L'eau sur la coque qui produit un son différent, le vent dans les voiles qui souffle autrement, les appendices qui vibrent d'une nouvelle manière… peuvent annoncer des problèmes. Il me faut entendre tout cela. C'est pourquoi je ne peux pas non plus me couper de tous ces sons. C'est la vie de mon bateau que je dois conserver en tête, dans mes oreilles ! Quand je suis en communication radio ou téléphonique, je mets un casque, sinon je n'entendrais rien. Ce qui étonnant, c'est que, parfois, durant des moments très tranquilles, au contraire de m'apaiser, le silence relatif m'empêche de dormir, notamment : c'est trop calme… En fait, le bruit normal me rassure, me berce même !
Le goût
Quand je suis en course, me nourrir, c'est primordial pour moi. Et même vital bien sûr, mais au-delà, c'est important de prendre soin de son corps, tout simplement, pour rester dans la meilleure forme possible, pour conserver de l'énergie... De ce point de vue là, on peut dire que ça fait partie de mon boulot de skippeuse ! Les repas me permettent aussi de couper ma journée de navigation. Ils cadencent un emploi du temps, basé sur le rythme du soleil, que j'essaie de suivre le plus possible. Ainsi, je peux décompter les jours, les heures, et me fixer des objectifs dans la journée, dans la semaine. Bien sûr, tout cela dépend des conditions extérieures. Je ne m'impose pas non plus d'heures fixes, car la priorité pour moi reste la vitesse du bateau. Alors, parfois, ces pauses pour manger, je les décale un peu… ! Manger peut aussi m'apporter des moments de plaisir, et par conséquent également me booster le moral. Ça joue sur la partie psycho de l'aventure, c'est vrai. Ce que je préfère, c'est toujours du salé. Pas un plat en particulier : ça dépend de mon état de fatigue notamment. Je peux choisir du chaud ou du froid…
L'odorat
Le plus étonnant pour moi concernant l'odorat, c'est l'odeur de la terre. Quand je passe une longue période en mer, sans terre à l'horizon, ce que j'ai à sentir, à part l'air iodé, est restreint, car la mer génère assez peu d'odeurs. Alors, souvent, après de grandes traversées, quand j'arrive à proximité de pays différents avec des climats variés, je sens la terre avant même de la voir ! C'est une incroyable sensation. À environ 50 miles de l'Irlande, j'ai ainsi respiré un air empli d'herbe, de vaches, bref d'agriculture ! Ça a été furtif, comme une boucle odorante passée sous mon nez… Mais si intense, que même si je n'avais pas eu de carte, j'aurais su qu'il y avait une terre là. En arrivant aux Antilles, ça a été aussi fort, mais avec un autre parfum, celui de la terre sous un climat tropical. Ça fait le même effet que lorsque l'on sort d'un vol long-courrier : une espèce de bouffée de chaleur imprégnée de senteurs exotiques qui monte au nez soudainement. Quand on est en mer, bien sûr, ça dure beaucoup plus longtemps. J'aime bien cette sensation parce que je l'associe à l'aventure, au voyage, à l'exploration… Et j'imagine nos ancêtres qui naviguaient sans carte et qui découvraient d'inconnus rivages en premier à travers ce sens de l'odorat. Ça a dû être incroyable pour eux !
Et la peur ?
En fait, c'est plutôt quelque chose qui me donne confiance dont je voudrais vous parler ! Quand on part à la journée, on se pose plein de questions bien sûr sur la navigation elle-même : les ris à prendre ou non, les voiles à changer, la trajectoire entre deux récifs à suivre… et bien entendu, on ne choisit pas toujours la bonne option. On se fatigue, par exemple, à changer et rechanger les voiles, car on a mal estimé le vent… Mais quand on passe beaucoup de temps en mer, j'ai l'impression que l'on développe un sixième sens qui aide à mieux comprendre ce qui se trame, à anticiper. J'ai l'impression moi, de tisser une sorte de lien avec le bateau et les éléments météo, de parvenir à entrer en connexion avec eux. Si les questionnements sont toujours là, les hésitations semblent s'estomper. Je sens, par exemple, plus sûrement, venir le changement de sens du vent, et je peux donc décider quels réglages faire, et les mener plus clairement. Et plus de temps je passe en mer, plus cette sensation de savoir s'intensifie. Je trouve ça très étonnant, je vous l'avoue, et d'ailleurs je ne saisis pas exactement de quoi il retourne, d'où ça vient… Il y a sans doute un rapprochement à faire avec l'hypnose, que je pratique moi-même un peu. Au début, je ne croyais pas possible cette connexion. Mais j'ai fini par accepter que ce 6e sens marche vraiment ! Je suis assez fière et contente aujourd'hui de son efficacité, de son utilité. C'est quelque chose qui m'a apporté confiance. Bien sûr, ce mystère, ça m'a fait un peu peur (la voilà la peur !), mais ça m'apporte tant en matière de performance maintenant !